I. contexte
Si les premiers gangs ont été observés aux XIVème et XVème siècles comme l’ont notifié les premiers écrits sur le phénomène. Cependant, le monde n’a connu son premier pic en matière de formation des gangs de rue qu’à la faveur de la révolution industrielle du XVIIIème siècle dans des pays comme l’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne, l’Amérique, la France… Avant cet avènement, la délinquance était plus individuelle que collective ; elle était menée seule jusqu’au groupe Thrasher (1927). Cette flambée de la délinquance de groupe est due au grand écart économique et social entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Thrasher (1927) sera le premier à proposer une étude détaillée sur les gangs. Il sera suivi dans cet élan par d’autres auteurs comme Shaw & Mackay (1931). Des thèmes aussi variés que la formation, la composition et la structure des gangs de rue, les caractéristiques personnelles et sociales des personnes qui les composent, leurs activités délinquantes et les stratégies d’action pour faire face au phénomène sont traités, année après année, par des scientifiques de tous horizons : sociologues, criminologues, psychologues, ethnographes et anthropologues.
En Afrique, à l’instar de la Côte d’Ivoire, le Congo RDC connaît ce phénomène sous le vocable de « Kuluna ». Comme les « microbes », ce gang d’adolescents opère à l’aide d’objets tranchants de tous les ordres : machettes, scies, pointes, lames de rasoirs, barres de fer (Mujinya, 2015). Au Congo-Brazza, ils sont plutôt appelés « bébés noirs » et ils y opèrent de la même manière (Douniama, 2019). Le Madagascar connaît également ce phénomène sous un autre vocable : « les foroches » (OMS, 2016). Nonobstant toutes ces études, il convient de dire que le sujet des gangs de délinquants demeure inquiétant et dangereux pour beaucoup de chercheurs à cause des risques auxquels on est enclin quand on décide de l’étudier scientifiquement (Akindès, 2018).
En Côte d’Ivoire, la délinquance des gangs d’adolescents dits « microbes » a fait l’objet de quelques études. Les variables telles que l’exclusion d’enfants soldats reversés à la vie civile sans avoir été resocialisés (Bah et Niamké, 2016), l’importance de la drogue (Gaulithy, 2015), la crise post-électorale (Kouassi, 2014), l’indigence économique des familles, l’exclusion de la société globale (Crizoa, 2019), la responsabilité de la famille (Zady et al., 2019) etc. ont été mentionnées pour expliquer le phénomène. Si ces études sont pertinentes, elles ne privilégient pas suffisamment une approche ou une analyse multifactorielle pour rendre compte de la persistance de ce phénomène à partir de facteurs de type social et individuel. Peu d’études en effet, traitent de ces déterminants du phénomène des gangs de jeunes dans le contexte ivoirien.
Cependant, il nous est donné de constater que les études sur les groupes de jeunes délinquants sont tournées essentiellement vers des variables beaucoup plus visibles alors qu’il n’y a de sciences que de ce qui est caché (Bachelard, 1949, p. 38). La recherche portant sur la place des objets mystiques portés et utilisés par ceux-ci, dans le succès de leur passage à l’acte, est donc d’une grande importance. En Afrique, la criminalité a un lien avec les pratiques occultes (Bazaré, 2021). Les membres de gangs feraient recours à ces pratiques occultes à travers l’usage des gris-gris pour devenir ou se sentir invulnérable avant d’opérer sur le terrain. Une telle étude dans le champ de la tradition et de l’occultisme vient élucider un aspect aussi important dans la compréhension de cette délinquance juvénile groupale, pour comprendre et expliquer les contributions de ces gris-gris dans l’activité criminelle des gangs de rue dits microbes.
En Côte d’Ivoire, selon le sociologue Rodrigue Koné (2014), le phénomène des gangs ou bandes n’est pas nouveau ; mais a été accentué par l’influence des crises politico-militaires récentes. Pour lui, c’est la conséquence de la marginalisation socio-économique. Au cours des années 1990, les bandes existaient déjà et rivalisaient surtout à travers des compétitions sportives appelées localement : « comité». A la même époque, dans le quartier d’Abobo, un trafiquant de drogues surnommé« Zaadi » fut l’un des premiers à recourir aux services d’enfants en rupture familiale ou déscolarisés pour son réseau de distribution à travers ladite commune. Toutefois, il convient de noter que ce phénomène particulier des bandes de très jeunes enfants recourant aux gris-gris dans leurs activités criminelles violentes dans les rues des quartiers, est apparu au lendemain de la crise post-électorale de 2011.
Cette situation chaotique que crée ce phénomène nouveau d’enfants microbes au lendemain de la crise post-électorale de 2011, n’a cessé de susciter plusieurs études scientifiques tentant ainsi de l’analyser afin de comprendre ses manifestations, ses facteurs explicatifs et faire des recommandations pour réduire son ampleur. Cependant, de nombreux chercheurs dans le monde se sont plutôt intéressés aux variables famille, école, conditions sociales, consommations de drogues et stupéfiants pour comprendre et expliquer le phénomène des gangs de rue et sa persistance.
Les facteurs d’adhésion des jeunes aux gangs de rue s’étendent à plusieurs sphères de leur vie. Notons que le cumul de plusieurs facteurs de risque (pauvreté, immigration, chômage, maltraitance, fort engagement envers les amis délinquants, consommation de drogue etc.) constitue des indices quant à la probabilité d’adhésion à un gang (Pierre, J., 2008). Aussi, des chercheurs après des investigations, sont arrivés à la conclusion selon laquelle les jeunes qui s’investissent dans la criminalité sont en général ceux qui sont en mal d’insertion sociale, ceux qui ont connu la maltraitance dans la cellule familiale et ceux qui n’ont pas achevé leur cursus scolaire (Hamel et al. 1998 et Danyko et al. 2002). Latour (2001) trouve plutôt que les jeunes vivant dans des conditions sociales précaires, ne pouvant pas faire face à leurs besoins immédiats, sont amenés à intégrer le milieu de la violence pour subvenir à leurs besoins. L’adhésion des jeunes à la violence en Côte d’Ivoire est favorisée par la crise économique, la paupérisation des familles, la rupture des liens communautaires, la déscolarisation, la pauvreté exacerbée par le besoin de consommation à l’occidental, la drogue et la violence (Latour, 2001).
Cinq ministères se sont donc impliqués dans la lutte contre cette forme de délinquance juvénile dans le pays. Mais il est difficile pour ces ministères engagés dans la même cause, d’identifier sous la même dénomination ce profil d’enfants, ce qui est de nature à provoquer une incohérence et une inefficacité des actions engagées. En effet, pour le ministère de la Promotion de la famille, de la femme et de l’enfant ; l’enfant « microbe » est un enfant en difficulté. Pour le ministère de l’Education nationale, c’est « un enfant en danger ». Pour le ministère des Affaires sociales, c’est « un enfant en voie de radicalisation ». Pour le ministère de la Justice, c’est « un enfant en conflit avec la loi ». Pour le ministère de l’Intérieur, c’est « un enfant dangereux ».
Au vu de toutes ces recherches sur la question des gangs, rares sont celles qui ont orienté leurs objets sur la place des sciences occultes en général et des gris-gris en particulier auxquels recourent ces jeunes appartenant aux gangs dits microbes, dans l’activité criminelle qu’ils mènent. Comme les autres variables, cette variable mérite d’être prise en compte même si elle a un aspect occulte, car elle pourrait constituer l’un des facteurs déterminants du phénomène des enfants dits microbes.
Eu égard à tout ce qui précède en termes d’étude effectuée sur le phénomène des gangs de jeunes délinquants en général et de ceux dits « microbes » en particulier, l’étude sur : « le recours aux gris-gris dans l’activité criminelle des gangs de rue dits microbes à Abidjan. » paraît une nécessité, afin de comprendre et d’expliquer le rôle que jouent les gris-gris dans le succès de leurs activités criminelles.
Cet article s’articulera donc autour des pouvoirs surnaturels des gris-gris utilisés par les enfants dits « microbes » ou encore appelés enfants en conflit avec la loi, dans les communes les plus touchées de la ville d’Abidjan afin de comprendre la place de ces objets dans ce phénomène criminel particulier de par ces acteurs et son mode opératoire.
II. Méthodologie
A. Sites et participants à l’enquête
Notre choix s’est porté sur la ville d’Abidjan parce qu’elle est la plus touchée par le phénomène des gangs de rue dits microbes. Presque toutes les actions criminelles menées par ces jeunes délinquants sont circonscrites dans la zone d’Abidjan (Crizoa, 2019), ville cosmopolite qui compte beaucoup de communes, de quartiers et de sous-quartiers surpeuplés selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat 2014 (RPGH 2014) tant des Ivoiriens estimés à 3 401 763 que des non-Ivoiriens estimés à 993 480 pour la ville d’Abidjan. Avec les crises socio-politiques et militaires que nous avons connues successivement, la population Abidjanaise est, selon l’Institut national de statistiques (INS), passée de 3 200 000 habitants en 1998 à 4 395 243 habitants en 2014. Aussi, Abidjan compte 1 318 811 enfants de moins de 18 ans et connaît une croissance constante du fait de son industrialisation et concentration des administrations phares du pays au sein de la capitale économique. Cette surpopulation et cette rapide urbanisation déterminent la hausse de sa criminalité.
Selon Touré & Kouamé (1994), Abidjan subit environ 40 % de l’ensemble des crimes commis sur le territoire national « entre 1999 et 2000, le taux de criminalité est passé de 98 pour 1 000 000 habitants à 151 pour 100 000. En 2001, il atteint 178 pour 100 000 habitants. Cette tendance couvre aussi bien les crimes contre les biens (les larcins, les vols de voiture), les crimes violents (les cambriolages, les hold-up, les homicides, les vols à mains armées) et les délits liés à la drogue. Le crime contre la propriété représente plus de 76 % des décisions de justice, dont 80 % sont d’origine violente. Les estimations sur la délinquance des gangs de rue dits microbes n’étant pas spécifiées dans les banques de données des institutions, nous regrettons de ne pas pouvoir faire ressortir la proportion de la délinquance de ces gangs dits microbes dans cette globalité.
Le total des individus qui ont pris part à cette recherche est de cent quatre-vingt-dix, dont soixante-dix jeunes « microbes et ex-microbes », quinze victimes d’enfants microbes, vingt-cinq mystiques, vingt intervenants clés, dix parents des victimes et trente de population tout-venant.
Diagramme 1: Composition de l’échantillon
B. Recueil et analyse des données
Cet instrument nous a donc permis de collecter les motivations personnelles du recours aux gris-gris par ces jeunes délinquants dits microbes et aussi le rôle qu’ils jouent dans la réussite de leurs opérations criminelles par des entretiens semi-directifs avec un guide de questionnaires composé de questions ouvertes. L’analyse qualitative nous a permis de privilégier le point de vue des sujets et l’analyse quantitative a été usitée pour les données recueillies sur terrain en fonction des différentes modalités afin d’en faire des représentations graphiques avec les logiciels Sphinx plus et Excel.
III. Résultats
Les résultats de l’étude sont structurés autour des points suivantes : « Les faiseurs et les fournisseurs de gris-gris, mode et lieux d’acquisition », « Les types et les caractéristiques de gris-gris et les sources » et « Le recours aux gris-gris et la croyance en leur efficacité ».
Résultat 1 : Faiseurs et fournisseurs de gris-gris, mode et lieux d’acquisition
Pour comprendre l’usage des gris-gris dans l’activité criminelle des microbes, il est primordial d’investiguer sur tout le mécanisme avant l’usage de ces gris-gris à proprement dit. Il est important de savoir d’où et de qui ils obtiennent ces gris-gris pour déterminer l’accès à ces objets, avant de s’intéresser à la place qu’ils occupent dans leurs passages à l’acte.
Les enfants dits microbes qui ont recours aux gris-gris dans l’accomplissement et le succès de leurs opérations criminelles de groupe, ne sont bien évidemment pas fabricant ou détenteurs des gris-gris qu’ils utilisent. Selon des jeunes de ce gang que nous avons interrogés, ils obtiennent ces gris-gris, ces amulettes ou ces fétiches de protections ou d’agressions chez des mystiques que nous pouvons catégoriser en trois groupes suivant les explications obtenues de ces jeunes : les marabouts, les charlatans et les féticheurs.
Les marabouts
Les marabouts sont des personnes qui utiliseraient des versets coraniques ou autres procédés faisant usage de l’écriture arabe et des connaissances qui prendraient leurs sources dans les secrets de certains Maîtres ou guides de confession musulmane.
Les féticheurs
Le féticheur est également une personne à pouvoir comme le marabout mais la différence entre ces deux faiseurs et détenteurs de gris-gris, se situe au niveau du procédé de fabrication et d’utilisation de leurs gris-gris. Le féticheur, lui travaille avec l’esprit des mânes, avec les génies ou encore les esprits incarnés dans des statues ou idoles qu’il vénère et adore. Il ne travaille pas avec des versets ou sourates du coran comme le marabout. Dans la fabrication de ses gris-gris, il fait intervenir des ingrédients comme du sang de certaines bêtes, des plantes, des morceaux de linceul ou encore d’autres parties de certains animaux comme la peau, la tête, les os…
Les charlatans
Le charlatan utilise tant les procédés des marabouts que ceux des féticheurs pour conférer des pouvoirs surnaturels à des objets inanimés. Il a également recours tant aux versets et sourates coraniques qu’aux esprits et aux fétiches pour transformer des objets banaux en des objets à pouvoirs surnaturels opérationnels. Selon les enquêtés de cette catégorie, les charlatans sont les plus dangereux des trois car détenteurs des sciences surnaturelles des deux autres que sont les marabouts et les féticheurs. Il est considéré à cet effet comme le polyvalent du domaine occulte.
Comment les enfants dit microbes obtiennent-t-ils ces gris-gris ?
Diagramme 1: Répartition des enfants "Microbes" usagers de gris-gris par mode d'acquisition
Source : les résultats de nos enquêtes (2021)
Pour obtenir ces gris-gris aux pouvoirs surnaturels, les jeunes microbes passent par plusieurs moyens. Parfois, ils passent par des pairs délinquants, des amis ou « vié-père » (devanciers dans le milieu criminel) qui sont des « gris-gris man », c’est-à-dire des personnes habituées aux gris-gris et qui en possèdent beaucoup au point d’en donner aux autres ou encore, qui les conduisent à des faiseurs de gris-gris ou mystiques (voir « par personne interposée »). Hormis ce groupe, il y a une autre frange de ces jeunes usagers de gris-gris qui obtiennent leurs gris-gris par le moyen des détenteurs de ces pouvoirs, car tel serait le critère primordial pour certains mystiques avant de donner leurs gris-gris à un individu. D’autres en revanche les obtiennent par un parent qui est généralement le grand-père, le père ou l’oncle du village.
Par personne interposée
Ce premier mode d’acquisition consiste à s’informer auprès des pairs délinquants ou toutes autres personnes susceptibles de conduire à un faiseur de gris-gris, un mystique.
Game, seize ans : « moi j’ai gagné mes premiers sogolitions1 chez un Chao2 dans un campement de Daloa. C’est un frère-sang3 qui a fait le branchement entre moi et le Chao. Il m’a donné les vrais « anti-couteaux » en ceinture. » Par ces aveux du jeune Game, on remarque que l’un des modes d’acquisition de gris-gris les plus courants chez les microbes est l’information de bouche à oreille entre amis gangsters. Quand on constate qu’un ami de la bande a porté des gris-gris qui lui confèrent des pouvoirs surnaturels, alors, les autres lui demandent de les amener au mystique qui est à l’origine de ces prouesses.
Selon Espion : « on ne montre pas tous ces endroits secrets à ses amis sinon le jour c’est gâté entre vous, tu es un homme mort. » On comprend ces propos d’Espion, car, même si les jeunes microbes sont prêts à s’accompagner chez leurs mystiques respectifs, il y a toujours une marge de réserve qu’ils observent vis-à-vis de ceux-ci. Pour eux, on ne doit pas montrer tous les endroits où on se protège à son ami car dans le milieu de la délinquance, l’ami d’aujourd’hui par le jeu d’intérêt ou de leadership de groupe, peut devenir l’ennemi farouche de demain. Aussi, convient-il de signaler qu’à défaut de conduire leurs amis de bande désireux d’avoir des amulettes et des pouvoirs chez leurs marabouts, féticheurs ou charlatans, certains d’entre eux ayant beaucoup de gris-gris, préfèrent en donner à ces amis demandeurs plutôt que de les accompagner à la source de ces gris-gris.
A.K., treize ans nous disait ceci à ce propos : « moi c’est mon vié-père du gbonhi qui m’a donné mes zamous4 contre machettes et pistolets ».
Au-delà de ce mode, il y a l’acquisition de gris-gris par legs.
Par legs
A ce niveau, il s’agit de l’obtention de gris-gris de façon naturelle sans avoir fait assez d’effort tout simplement parce qu’on bénéficie de la providence d’être le fils, le petit-fils, le neveu… d’un mystique dont nous héritons des pouvoirs mystiques à travers la transmission de formules pour faire des gris-gris, fétiches ou amulettes pour s’immuniser contre la vulnérabilité des armes et autres. Ce mode d’acquisition est d’ailleurs celui du tristement célèbre chef de gang des microbes « Zama » de son vrai nom Mamadou Traoré, tué et brûlé vif par la population dans la commune d’Attécoubé. Son père est un marabout du quartier précaire de « Boribana », il est d’origine burkinabé. Zama aurait donc acquis tous ses pouvoirs mystiques et surnaturels, auprès de ce père dont les savoirs mystiques ne souffraient d’aucune contestation au sein de la population. Le fils Traoré n’aurait donc pas eu de difficulté à se « blinder », à se préparer mystique afin d’être craint par tous et de tous.
Comme Zama, le jeune « Sorcier », douze ans, est né dans une famille d’animistes et de féticheurs. Il n’a donc pas eu besoin de quelqu’un pour lui indiquer où avoir des gris-gris de protection (taguannan) ou de soumission (sirikoun). Naturellement, il en eut et en fabriqua lui-même selon ses besoins criminels. Il nous confia qu’à dix ans, il pouvait déjà entrer dans une maison close par le mur. Et son premier usage de gris-gris à des fins criminelles fut celui-ci. Il l’utilisait pour entrer dans des boutiques mauritaniennes du quartier nuitamment pour y prendre quelques articles de boutique prisés par les enfants de son âge tels que : les bonbons, biscuits, boites de sardines...
En outre, nous avons un autre mode d’acquisition de gris-gris beaucoup prisé par les jeunes en conflit avec la loi dits microbes.
Par le « jeu de respect »
L’acquisition des gris-gris à ce niveau se fait par le moyen de la ruse. Le jeune microbe ayant connaissance de la détention de pouvoirs surnaturels par un mystique, cherchera à lancer une opération séduction vis-à-vis de celui-ci en se montrant sage et respectueux envers lui. Cette opération séduction amène certains d’entre eux à abandonner tout pendant un moment pour se mettre au service du mystique détenteur du gris-gris qu’il convoite. Ces jeunes sont prêts à aller dans des hameaux, contrées et campements loin des villes, pour travailler dans les champs de ces mystiques, et ce, parfois toute une saison pour simplement les séduire et les amener à lever l’« embargo » sur de puissants gris-gris que ceux-ci refusent généralement de donner à un jeune ou à toute personne dont ils ne connaissent pas vraiment la moralité ou dont l’âge ne favorise pas la sagesse selon eux.
Par exemple, le dénommé « Wong », dix-sept ans, dit s’être rendu dans un ¨petit¨ village de korhogo au Nord du pays chez un vieux dont il a appris les « merveilles » en termes de pouvoirs surnaturels. Cependant, on lui aurait dit également que celui-ci est peu porté vers l’argent et est plus sensible au respect qu’on lui voue et aux valeurs incarnées par le demandeur de gris-gris. Pour avoir quelque chose de lui, il fallait donc être respectueux et serviable. D’après Wong, quand vous arrivez chez le vieux en question, il feint ne pas savoir les motifs de votre venue et vous observe sur un temps sans vous poser de questions. C’est pendant ce temps d’observation que pour devez le séduire par votre comportement afin de mériter ce pour quoi vous êtes là. Si vous puisez par exemple de l’eau au grand puits du village pour ses femmes et vous cassez leurs fagots sans oublier d’effectuer les travaux champêtres avec lui et ses enfants, au bout d’un certain temps, il vous appellera seul dans sa case un soir au moment où tout le monde dort et vous demandera ce que vous voulez et vous le donnera. Et Wong a réussi cette épreuve et reçu de ce vieux, un bracelet de fer noir, qui lui permettait de disparaître et de réapparaître lorsqu’il le désirait.
Diagramme 2 : Répartition des enfants « Microbes » par lieux d’acquisition de leurs gris-gris
Source : les résultats de nos enquêtes (2021)
Ce diagramme vient détailler des informations recueillies auprès des jeunes « microbes et ex-microbes » sur les lieux d’obtention des gris-gris qu’ils utilisent ou utilisaient selon qu’ils soient « microbes » ou « ex-microbes ».
Cependant, quels sont les types et caractéristiques de ces gris-gris ?
Résultat 2 : Les types et caractéristiques de gris-gris et sources
Selon les données recueillies sur le terrain par le biais des jeunes en conflit avec la loi, dits microbes, et quelques mystiques interrogés sur la question, les gris-gris sont de plusieurs caractéristiques et les usages que font ces jeunes de ces gris-gris sont multiples et multiformes.
De la catégorisation des gris-gris utilisés par les jeunes microbes, deux grandes caractéristiques et types de gris-gris se dégagent. Ces deux grandes caractéristiques de gris-gris sont : les sirikouns et les tanguanans.
Les usages ou recours qu’ils font de ces différentes caractéristiques et types de gris-gris dans le cadre de leurs passages à l’acte sont nombreux. Cependant, tous visent à faciliter l’accomplissement de l’acte criminel afin qu’il soit un succès. Ainsi, avant de voir les caractéristiques et les types de sirikouns et des tanguanans, voyons leur taux de recours ou d’utilisation afin de savoir lequel des deux est le plus utilisé par les enfants « microbes » en unité ou en combinaison :
Diagramme 3 : Répartition des enfants « microbes » en fonction du type de gris-gris utilisé
Source : les résultats de nos enquêtes (2021)
Commentaire du diagramme 3
Le diagramme nous donne de lire qu’au sein du gang des « microbes », ceux d’entre eux qui qui ont recouru aux gris-gris n’utiliseraient jamais les sirikouns uniquement tandis que cinquante-neuf d’entre eux utilisent uniquement des tanguanans. Cependant, six des soixante-cinq usagers de gris-gris définis plus haut du groupe, utilisent uniquement la combinaison sirikouns-tanguanans pour leurs activités criminelles.
Analyse du diagramme 3
A l’analyse, on pourrait se faire une idée plus ou moins claire du fort recours aux tanguanans plus qu’aux sirikouns car les tanguanans protègent et rendent invulnérable alors que les sirikouns sont utilisés pour dompter, hypnotiser et soumettre la victime et l’adversaire (forces de l’ordre). Une infime partie arrive quand même à avoir les deux types de gris-gris et à les utiliser dans le cadre de leurs activités délinquantes. La spécificité de ces deux types de gris-gris, sera mieux explicitée dans le prochain point prévu à cet effet.
Voyons à présent les sirikouns et les tanguanans de façon structurelle mais aussi conjoncturelle :
Les sirikouns. Types & Caractéristiques
Les « sirikouns », c’est l’ensemble des gris-gris qui contribuent à faciliter les opérations criminelles à trois niveaux : au commencement de l’exécution en facilitant l’accès au terrain ciblé même quand celui-ci est surveillé, pendant exécution en rendant dociles les victimes et à la fin de l’exécution pour s’en aller de la scène sans que les forces de l’ordre puissent interpeller la bande ou un élément de la bande.
Ces « sirikouns » se présentent sous plusieurs formes à savoir : un cadenas enroulé de trois fils de couleurs noire, rouge et blanche. Souvent, c’est une corne de bête renfermée par un tissu rouge sur lequel sont placés des cauris. Ils peuvent également se présenter sous la forme d’un canari auquel le jeune microbe parle dans sa chambre afin que les forces de tous ceux qui peuvent faire échouer leur action criminelle soient inhibées.
Les tanguanans Types & Caractéristiques
Quant aux tanguanans, c’est l’ensemble des gris-gris qui ont pour rôle de conférer l’invulnérabilité à son usager face à tout ce qui peut être utilisé contre lui, dans le dessein de l’atteindre physiquement, mystiquement ou psychologiquement. Ces tanguanans sont multiples et multiformes : ils sont en chemisette tout comme un gilet pare-balles à la différence que ces chemisettes traditionnelles et mystiques, ne contiennent pas de métaux ou des packs balistiques comme c’est le cas pour les gilets pare-balles. Cependant, ces chemisettes appelées ¨drékidéni¨ (chemisette en malinké) par ses usagers, arriveraient à jouer les mêmes fonctions, voire plus que les gilets modernes sertis de lourds métaux qui ne protègent que le thorax, l’abdomen et le dos. Pourtant, aux dires de nos enquêtés, cette chemisette mystique que nous avons eu l’opportunité de voir par l’entremise d’un mystique, protègerait tout le corps des balles et autres métaux, au-delà même du thorax, de l’abdomen et du dos comme c’est le cas avec les gilets pare-balles.
En outre, parmi les tanguanans, il en a qu’on porte à la taille ; ceux-ci sont appelés « ceinture de sécurité » par les jeunes microbes ou encore « tafo » pour les ¨ceintures¨ qui sont faites avec des fils de tisserands qui servent à confectionner des étoffes. Ces fils sont utilisés en formant des nœuds, généralement en nombre impair (9, 11…). Parfois, ces ¨ceintures¨ contiennent des écritures sur feuille que les usagers de gris-gris appellent « sèbèdéin », qui désigne un gris-gris fait en écriture arabe. Ces gris-gris portés autour de la taille ou à la hanche sont appelés : « ceinture de sécurité » tout simplement, parce qu’ils sont au même endroit qu’une ceinture ordinaire et le mot « sécurité » car ils sont censés protéger celui qui les porte. Des tanguanans se présentent également en forme de bagues en fer, en bronze ou en argent blanc.
Parfois, ces tanguanans sont recouverts de cuir que l’usager ou l’utilisateur porte au poignet comme un bracelet, au cou comme un collier ou même autour du bras. On voit également certains en chapeau traditionnel avec des amulettes ou non.
Après investigation, on remarque que, dans le cadre de notre étude, c’est-à-dire l’usage des gris-gris par les jeunes microbes dans les activités criminelles du gang des « microbes », les taguanans les plus usités sont ceux contre les atteintes physiques (armes à feu, armes blanches…), au détriment de ceux utilisés contre les atteintes mystiques et autres genres. Cet état de fait se comprend aisément quand on sait que les activités criminelles des gangs de rue dits microbes sont essentiellement physiques et donc, s’ils s’attendent à des représailles, ce sont d’abord des représailles d’ordre physique comme réponse à leurs agissements criminels.
Contrairement aux sirikouns, les tanguanans rentrent en scène lors du passage à l’acte et protégeraient les sujets contre toute vulnérabilité aux armes en renforçant leurs degrés de confiance en soi et leurs engagements sur le terrain. A.S., quinze ans, déscolarisé et enfant microbe détenu au COM au moment de notre enquête, nous dit : « J’ai un tanguanan, c’est une corde que j’attache aux reins. J’ai reçu ça de mon grand-père qui était dozo. Je suis rentré en prison avec cette corde aux reins. Quand le Gormon5 qui nous fouillait avant qu’on nous enferme a vu, il m’a demandé, ça c’est quoi ça ? j’ai tapé son6 pour lui dire que c’était contre une maladie que j’ai depuis petit et qu’on ne devait pas enlever. J’étais serein quand je coumansais7. Il m’a regardé, et il a fini par laisser. Un jour, y avait froufrou8 entre notre gbonhi et un autre gbonhi au quartier. Un élément de l’autre gbonhi est sorti derrière moi avec manhan et l’un de mes gars a crié mon nom, quand j’ai regardé derrière moi, le manhan du morgor de l’autre camp descendait sur moi, c’est bizarre hein mais c’est quitté dans sa main pour tomber sans me toucher. J’ai pris sa machette plus pour moi, et j’ai commencé à le poursuivre. Mes gars m’ont dit de taper l’œil9, je me suis retourné pour venir avec les deux manhans. » L’enquêté nous parlait avec beaucoup d’enthousiasme. Il avait l’air d’avoir une grande confiance en ce gris-gris dont l’efficacité lui aurait été maintes fois prouvé dans des circonstances dangereuses.
Après avoir vu les sirikouns, les tanguanans, leurs caractéristiques et types, il convient de préciser selon les dires des acteurs concernés qu’il existe des gris-gris qui jouent à la fois le rôle de sirikoun et de tanguanan, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de dompter, de soumettre la victime à la volonté du gangster mais également, de le protéger contre les armes à feux et les armes blanches. C’est le cas par exemple d’un cure-dent dont nous parlait l’un des faiseurs de gris-gris que nous avons rencontrés pendant nos enquêtes sur terrain. Il nous confia qu’il détenait un cure-dent : une fois qu’on utilisait ce cure-dent le matin pour se brosser, tout ce que vous demanderez aux gens, ils vous le donneront à moins qu’ils ne possèdent pas ce que vous leur demandez ; en plus de cela, il nous dit que ledit cure-dent avait aussi les vertus d’un « anti-balles ». Il est donc à la fois sirikoun et tanguanan. Beaucoup de gris-gris d’ailleurs joueraient les deux rôles à la fois.
Aussi, bien que les matières utilisées en termes de gris-gris usités par les jeunes microbes soient solides, il existe des gris-gris qu’on ne voit pas sur eux et qui sont des solutions liquides avec lesquelles ils se seraient lavés ou frottés.
C’est le cas par exemple de Rougeo, seize ans, qui nous dit qu’il n’aime pas porter les gris-gris car selon lui, une fois qu’on vous attrape, on peut vous les enlever et vous tuer. Il a opté donc pour les « fladagua » qui sont les canaris comportant des feuilles, des racines et/ou des écorces d’arbres accompagnés parfois de petits éléments additifs selon l’objet poursuivi. Pour Rougeo, quand vous vous lavez avec un gris-gris, il reste en vous et personne ne le voit pour vous le retirer afin de vous rentre vulnérable. On constate juste que vous êtes invulnérable et sans comprendre pourquoi ; ça vous évite d’être exposé. A l’instar des « fladaguas » comme gris-gris en matière liquide, certains d’entre eux utilisent les « nassiji » qui sont des solutions liquides obtenus et écrivant avec de l’encre et un calame, des formules secrètes soit en arabe soit en d’autres écritures codées, sur une ardoise en bois appelée : « walaha » par les marabouts et tous ceux qui sont dans ce domaine ; on lavait cette écriture du « walaha » avec de l’eau, pour avoir le liquide sacré qui devait faire « l’affaire » de son utilisateur. Si l’avantage de ces gris-gris est qu’ils sont subtils dans leurs usages, cependant la majorité des jeunes microbes qui utilisent les gris-gris, préfèrent les gris-gris que l’on porte car selon eux : « si tu te laves avec un gris-gris « anti-fer » pour ne pas que les balles « djô » dans ton corps, et si on doit t’opérer et on n’arrive pas, tu fais comment ? parce-que c’est fer on prend pour opérer aussi. ». Voici donc la raison cardinale qui explique le faible usage des gris-gris avec lesquels l’on se lave par rapport aux gris-gris qu’on porte.
Résultat 3 : recours aux gris-gris et croyance en leur efficacité
L’on a demandé à Noiro, dix-huit ans, s’il savait quelque chose des gris-gris. Il a répondu par l’affirmatif et nous a confié ce qui suit : « moi mon gbogoro10 là, ça rate jahin11. Avec ça, je peux attacher tout le monde et faire ce que je veux. Je bloque même l’eau de robinet avec ça et puis ça coule pas. Le jour on m’a donné ça là, c’est sur l’eau de robinet j’ai essayé. Ça s’est arrêté en même temps que j’ai gbra12. Quand on doit aller opérer là, je ferme ça avec le nom de la foule et ça fait que les clients13 ne gnan pas quand on leur dit de donner. Quand c’est koan14 là, on fait pas trop de crimes et on gagne temps vite ». Ainsi, ce jeune « microbe » nous disait à travers ce verbatim qu’il avait le pouvoir par le biais d’un cadenas mystique, de dompter leurs victimes avant même la descente du groupe sur le théâtre de l’activité criminelle. Dans ce cas de figure, le groupe n’a pas trop d’efforts à faire en menaçant à la machette leurs victimes pour qu’elles se soumettent ou en leurs assenant des coups de machettes ou de gourdins pour avoir leurs biens.
Quant à Kèlè, treize ans, il utilise comme sirikoun, une corne mystique de bouc noir. Selon lui : « La corne que moi j’ai là, c’est un vrai trizeur15 champion. Quand je finis de manger, avant de laver ma main, je vais à côté pour essuyer ma main sur ça. C’est ça seulement ça demande. Et puis quand je parle dessus avant de partir sur terrain et que tout marche là, je viens tuer un coq rouge dessus si je veux. C’est pas obligé hein mais ça donne plus de pissance16. J’ai parlé dessus un jour avant d’aller faire mouvement en gbonhi vers Yopougon-selmer, ce jour-là, si c’était pas mon gris-gris là, on allait nous attraper. Dès qu’on a fini de gbabougou17 pour rentrer dans le quartier pour pan18, CCDO est venu avec beaucoup de cargos. Nous même on était caché mais on les voyait depuis notre position. Quand on est quitté dans ça là, j’ai tué poulet chap-chap19 sur mon sirikoun. En tout cas, quand je tape, ça me répond toujours. »
Par ailleurs, l’étude réalisée sur le recours que font les jeunes « microbes » des gris-gris dans le succès de leurs activités criminelles, montre la grande utilisation de ceux-ci par ces jeunes. En voici l’illustration à travers le tableau ci-après :
Tableau 1 : Réponses des jeunes « microbes » sur leurs recours aux gris-gris
Recours aux gris-gris |
Effectifs |
Fréquences (%) |
Oui |
52 |
74,3% |
Non |
18 |
25,7% |
TOTAL |
70 |
100% |
Source : Les résultats de nos enquêtes (2021)
Analyse du tableau 1
Notre tableau nous permet de constater que, sur les soixante-dix jeunes « microbes » interrogés, seulement dix-huit n’ont pas recours aux gris-gris soit 25,7 %, tandis que cinquante-deux ont recours aux gris-gris soit 74,3 %.
Commentaire du tableau 1
Le constat d’un grand recours aux gris-gris au sein du gang des « microbes » nous permet d’affirmer sans le risque de nous tromper que ces gris-gris occupent une place importante dans l’activité criminelle de ceux-ci.
C’est le cas par exemple de Calao, treize ans : « Je ne suis jahin allé sur terrain sans mes gris-gris. C’est pas question tu dois me poser même monsieur. Pour quoi toi tu es venu ici avec Bic ? C’est pour écrire non ? Donc sans ça, comment tu peux écrire ce que je dis ? nous on a pas pistolet ni fusil, on a seulement nos machettes et nos couteaux. Si un policier sort avec son pistolet ou son fusil pendant qu’on « gbabougou », on fait comment ? si tu n’as pas de gris-gris dans le gang, tu es un homme mort parce qu’à tout moment tu peux recevoir une balle pendant un « montement ». » on comprend par-là que c’est inimaginable pour certains d’exister dans le gang sans avoir des gris-gris. C’est même un outil de « travail » indispensable pour certains à l’instar de Calao.
Cependant, il convient de mentionner quelques rares membres de ce groupe qui ont une autre opinion de l’usage ou du recours à ces gris-gris.
Lama, quinze ans, dit : « Je ne porte rien. Je n’ai jamais porté de gris-gris, mon gris-gris c’est la dose20. Quand je prends ça, je fais des merveilles et je fais l’incroyable. » Si chez Lama la drogue remplace les gris-gris, A.S. douze ans, lui ne croit pas tout simplement à ces gris-gris qui conféreraient des pouvoirs surnaturels.
A.S. :« Je ne crois pas à ces gris-gris. Les féticheurs, charlatans et autres faiseurs de gris-gris sont des menteurs et des escrocs. Si tu comptes sur leurs gris-gris, ils vont te tuer cadeau quelque part un jour. » Lui ne croit pas du tout aux gris-gris et fustige même ceux qui fabrique ces gris-gris.
IV. Discussion et conclusion
Les pouvoirs surnaturels que procurent les gris-gris font que les gangs de rue dits microbes y ont recours pour le succès de leurs activités criminelles comme démontré par les résultats de nos enquêtes. Ces résultats ont des similitudes avec ceux issus d’autres études antérieures à la nôtre ; celles des culturalistes par exemple qui sont de l’ordre de : Boas (1858-1942), Benedict (1887-1948), Linton (1893-1953), Kardiner (1891-1981) et Mead (1901-1978), qui soutiennent l’idée de l’influence et de l’apport significatif de la culture et de la tradition dans le comportement social de tout sujet. Le recours au gris-gris et la foi qu’ont ces enfants à ces objets particuliers, seraient donc fonction de réalités culturelles individuellement ou collectivement vécus par ces enfants usagers d’objets à pouvoirs surnaturels communément appelés : gris-gris, amulettes ou encore talismans. La similitude donc entre cette approche culturaliste et les résultats recueillis au niveau de l’étude, se situe au niveau des aspect culturel et traditionnel pris en compte dans l’explication du phénomène social. Cependant, cette approche culturaliste n’évoque pas forcément l’usage ou le recours des objets traditionnels ou culturels à pouvoirs surnaturels ou occultes. Elle évoque plus l’influence idéologique et psychologique de cette culture sur le développement de la personnalité, et la psychopathologie qui peut en découler ; sans forcément parler des outils physiques à pouvoirs métaphysiques dont regorge chaque culture et tradition. Le livre de Bazaré (2021, p. 129) fruit d’une étude empirique sur la question de la sorcellerie, parle de « charge » ou d’« ondes » en lieu et place de pouvoirs surnaturels. Ses résultats dans la droite ligne de ceux de notre hypothèse 1, stipulent que les fétiches appelés dans le cadre de notre étude sur les gris-gris, sont des objets dans lesquels ont été téléportées des ondes d’animaux comme le crapaud, le lézard… pour avoir des résultats positifs ou négatifs sur un corps. Le professeur Diabaté inventeur de la science indicamétrique qui étudie de façon générale les questions qui ont trait à l’occultisme et à la métaphysique, lors de nos échanges, nous confia que tous les objets animés ou inanimés regorgent de puissance, de pouvoir, qu’il a désignés sous le vocable de « dose énergétique ». C’est cette dose énergétique qui donne les manifestations physiques que l’on pourrait observer. Les résultats de quarante ans de recherche du professeur corroborent l’hypothèse des pouvoirs surnaturels que procurent les gris-gris aux enfants dits microbes, usagers de ces objets mystiques.
Par ailleurs, nous avons une étude menée par Gaulithy (2015) sur l’importance de la drogue dans la délinquance des gangs d’adolescents dits microbes qui comme les pouvoirs que procurent les gris-gris aux « microbes », démontre l’existence également d’un pouvoir lié à l’usage d’un objet qui n’est pas mystique, mais confère également des pouvoirs qui inhibent la peur chez ces enfants en conflit avec la loi et les rendent plus courageux : c’est la drogue. Par cette étude, l’auteur démontre la capacité d’un objet, d’une substance à transformer des enfants en de véritables monstres. Aussi, Cloward et Ohlin (1960) parlant des gangs conflictuels, trouvaient que ceux-ci se constituent dans les quartiers pauvres et instables mais surtout, ils évoquaient la consommation de l’alcool et de la drogue comme les moyens entre autres par lesquels passaient les gangs pour atteindre un certain statut.
Le professeur Diabaté inventeur de la science indicamétrique qui étudie de façon générale les questions qui ont trait à l’occultisme et à la métaphysique nous confia, lors de nos échanges, que tous les objets animés ou inanimés regorgent de puissance, de pouvoir, qu’il a désigné sous le vocable de « dose énergétique ». C’est cette dose énergétique qui donne les manifestations physiques que l’on pourrait observer. Les résultats de quarante ans de recherche du professeur corroborent l’hypothèse des pouvoirs surnaturels que procurent les gris-gris aux enfants dits microbes, usagers de ces objets mystiques.
Le présent article sur les gris-gris, les « microbes » et la délinquance, nous a permis de mettre en exergue l’usage des gris-gris par les enfants dits microbes à des fins criminelles à Abidjan ; car ceux-ci leur permettaient d’être en confiance du fait d’avoir à l’idée qu’ils sont « intouchables » ; mais aussi d’acquérir des pouvoirs d’invulnérabilité pour mieux mener leurs passages à l’acte.
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1 Une autre appellation des gris-gris en langage de la rue.
2 Un vieillard en langage de la rue.
3 Un ami du gang en langage de la rue.
4 Gris-gris.
5 Agent de sécurité en langage de rue.
6 Faire croire quelque chose à quelqu’un en langage de rue.
7 Parler en langage de rue.
8 Bagarre en langage de rue ou nouchi.
9 De laisser : nouchi ou langage de rue.
10 Cadenas en malinké.
11 Jamais.
12 Fermé en langue de rue.
13 Leurs victimes qu’ils considèrent comme des clients.
14 Déformation de : ¨comme ça¨ en langage de rue.
15 Dompteur en langage de rue.
16 Puissance.
17 Opérer en langage de rue.
18 Fuir en langage de rue.
19 Rapidement en langage de rue.
20 La drogue et toutes les substances susceptibles d’inhiber la conscience.