N°4 / Violences contemporaines : la prison en question en Afrique de l'Ouest

Facteurs de risque et impacts sociosanitaires de la violence faite aux enfants en milieu urbain à Dalao

Gniondjibohoui Marc Ounnebo, Enseignant-Chercheur, Ufr Sciences Sociales Et Humaines, Département De Sociologie-Anthropologie, Université Jean Lorougnon Guédé, Daloa, Côte D'ivoire

Résumé

La violence faite aux enfants en Côte d’Ivoire, en général, et particulièrement à Daloa constitue un problème de santé publique aux conséquences potentiellement dommageables pour les enfants victimes. En dépit des initiatives prises par les autorités pour y mettre fin, ce phénomène continue de progresser. Cette situation mérite une attention particulière. La présente étude se propose d’analyser les facteurs de risque et les impacts socio-sanitaires de la violence faite aux enfants en milieu urbain à Daloa. Elle s’inscrit dans une approche mixte à la fois quantitative et qualitative et mobilise l’étude documentaire, l’enquête par interrogation, l’entretien semi-directif et l’observation comme méthodes de collecte de données. Au terme de l’étude, il ressort que la violence à l’égard des enfants à Daloa est la résultante de plusieurs facteurs de risque notamment économique, social, individuel et culturel. Cependant, de par sa nature, elle comporte des conséquences à court et à long termes, souvent graves et dommageables pour la santé et l’avenir des enfants victimes. Dans ce contexte, il importe de mettre fin à la violence à l’égard des enfants afin de leur sauver la vie et préserver leur avenir. Cela requiert des efforts portant systématiquement sur les facteurs de risque et de protection aux quatre niveaux interconnectés du risque économique, sociétal, individuel et culturel.

Abstract : Violence against children in Côte d'Ivoire, in general, and particularly in Daloa, is a public health problem with potentially damaging consequences for child victims. Despite the initiatives taken by the authorities to put an end to it, this phenomenon continues to progress. This situation deserves special attention. This study aims to analyze the risk factors and the socio-sanitary impacts of violence against children in urban areas in Daloa. It is part of a mixed approach that is both quantitative and qualitative and mobilizes the documentary study, the survey by questioning, the semi-structured interview and observation as data collection methods. At the end of the study, it appears that violence against children in Daloa is the result of several risk factors including economic, social, individual and cultural. However, by its nature, it has short and long-term consequences that are often serious and damaging to the health and future of child victims. In this context, it is important to put an end to violence against children in order to save their lives and preserve their future. This requires efforts that systematically address risk and protective factors at the four interconnected levels of economic, societal, individual and cultural risk.

 

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1. Introduction

La violence à l'encontre des enfants est un problème de santé publique, de violation des droits humains et sociaux, aux conséquences potentiellement dévastatrices et coûteuses. C’est un problème mondial dont les conséquences sont d’une extrême gravité non seulement pour les victimes, mais aussi pour leurs communautés et la société en général (Bakayoko-Ly Ramata, 2020). Elle est perçue comme toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé des enfants, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir (OMS, 2020). Elle s’appréhende donc pour l’Organisation mondiale de la santé (2016), comme l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès.

Le risque qu’un enfant soit victime de violence dépend de l’interaction de trois facteurs : personne responsable de l’enfant à risque élevé, enfant très vulnérable et situation de crise. Ainsi, parmi les indicateurs associés à un risque de violence physique, on compte un faible statut socio-économique, le fait d’être de sexe masculin, la maternité à un jeune âge, les familles de grande taille, la monoparentalité, la violence conjugale, le fait d’avoir subi de la violence physique durant l’enfance, un faible soutien social, la déficience mentale chez la mère, le faible niveau de scolarité de la mère, le fait de ne pas avoir assisté aux cours prénataux, la toxicomanie, une faible assiduité religieuse, une grossesse non désirée et l’attitude négative des parents face à la grossesse (DGSPNI, 2010). En Côte d’Ivoire, ce phénomène s’explique par plusieurs causes, notamment, la perte des normes et valeurs, la pauvreté, les guerres et les conflits civils, (Bakayoko-Ly Ramata, 2020).

On estime aujourd’hui, dans le monde, jusqu’à 1 milliard d’enfants de 2 à 17 ans ayant subi des violences physiques, sexuelles, émotionnelles ou des négligences (Hillis S., Mercy J., Amobi A., Kress H. Pediatrics, 2016). En effet, ces dernières années, des études menées à travers le monde ont démontré la forte prévalence de la violence faite aux enfants dans divers pays et cultures. En Côte d’Ivoire, une enquête récente sur la violence contre les élèves du primaire et du secondaire souligne l’ampleur de la violence institutionnelle et de la violence par les pairs, et soulève des préoccupations relatives à la qualité de l’éducation et des possibilités de s’instruire pour les filles, car les parents peuvent considérer l’école comme un environnement dangereux pour l’intégrité physique de leurs enfants et pour le maintien des valeurs culturelles. 40 % des élèves, garçons et filles, sont physiquement punis par leurs enseignants. Approximativement un sur dix élèves (7,1 % dans le primaire et 7,2 % dans le secondaire) s’est déjà vu proposer une relation sexuelle par un enseignant contre des avantages, telles que de meilleures notes. L’enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS) de 2016 a également mis en évidence le fait que 87 % des enfants âgés de deux à quatorze ans ont subi une forme de discipline violente (agression psychologique et / ou punition physique) et 15 % une discipline sévère (lorsqu’un enfant est frappé de manière répétitive avec un instrument tel qu’une ceinture ou un bâton).

Les conclusions de l’enquête VACS (2020) révèlent qu’en Côte d’Ivoire, 58 % des filles et 66,5 % des garçons ont subi au moins une forme de violence pendant l’enfance. Elles établissent également que la violence sexuelle chez les filles pendant l’enfance est de 19,2 % (soit une fille sur cinq), et le mariage d’enfant (mariage avant l’âge de 18 ans) est significativement plus élevé chez les femmes (16,8 %) que chez les hommes (3,8 %). Face à l’urgence de la réponse, le gouvernement ivoirien a entrepris, en 2010, de cartographier son système de protection de l’enfant en vue de l’élaboration d’une nouvelle politique de protection administrative des enfants. En 2012, le gouvernement a adopté et fait le lancement de la Politique nationale de protection de l’enfant (PNPE) afin de prévenir et protéger les enfants contre toutes les formes de violence et d’abus.

La politique décrit le plan du système de protection de l’enfant pour les dix prochaines années, les interventions, les orientations stratégiques et les responsabilités de chaque secteur en vue d’améliorer la prévention, la détection et l’assistance aux victimes et de lutter contre l’impunité. Cette politique exige également des efforts plus systématiques pour évaluer et suivre les tendances de la violence faite aux enfants et aux jeunes. En dépit de ces initiatives, la violence à l’égard des enfants continue de progresser. Comme partout en Côte d’Ivoire, à Daloa, la violence faite aux enfants est de plus en plus préoccupante. Car selon les données statistiques des centres sociaux, dans la période de 2017 à mi-août 2020, Daloa enregistre 79 cas de violences physiques, 119 cas de violences sexuelles, 19 cas de violences psychologiques, 390 cas de négligences. Cette situation mérite une attention particulière et suscite des interrogations : Quels sont les facteurs de risque de la violence à l’égard des enfants à Daloa ? Quelles en sont ces conséquences sur les enfants victimes ?

 

2. Matériaux et méthodes

Notre recherche s’inscrit dans une approche méthodologique qu’il importe d’élucider. Du point de vue méthodologique, nous avons opté pour l’étude documentaire, l’enquête par interrogation, l’entretien semi-directif et l’observation comme méthodes de collecte de données. Notre étude a donc été menée dans une approche mixte (quantitative et qualitative). Cette approche consiste à faire une analyse en profondeur du phénomène. Elle repose avant tout sur la perspicacité des propositions, les constatations faites, sur la finesse des remarques, le sérieux des observations recueillies.

Les investigations sur le terrain ont été menées durant six mois (mai-octobre 2021) notamment dans les quartiers Huberson, Dallas, Garage et Gbeulyville du fait de leurs taux élevés de violence envers les enfants en 2019 et 2020 selon les statistiques du complexe socio-éducatif de Daloa. L’étude a lieu dans la région du Haut Sassandra, plus précisément à Daloa. La ville de Daloa est située dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire. Délimitée au Nord par le département de Vavoua, au Sud par le département d’Issia, à l’Est par le département de Bouaflé et à l’Ouest par le département de Duékoué (voir la carte ci-dessous).

La commune de Daloa est le chef-lieu de région. Elle est également située à 383 kilomètres (km) de la capitale économique (Abidjan) et à 141 km de la capitale politique (Yamoussoukro) selon (Kouakou, 2018).

 

 

Figure 1 : Représentation cartographique de la ville de Daloa

 

2.1. Technique d’échantillonnage

Nous avons opté pour l’échantillon de type non probabiliste, en raison de l’objectif d’étude. Cette approche consiste à extraire de la population totale de Daloa qui constitue la population cible, les personnes concernées par le phénomène. Il s’agit des chefs de ménage (30 = 17 %) et les enfants à risque (60 = 34 %) des quartiers Huberson, Dallas, Garage et Gbeulyville, les enfants victimes de violence (30 = 17 %), les personnes (30 = 17 %) accusées de violence contre les enfants dénoncées auprès des centres sociaux, les responsables d’organisations non gouvernementales (ONG) dont Save the Children (2 = 1 %) et l’ONG VIF (3 = 2 %), les responsables administratifs notamment le préfet de police (1=1 %), les responsables et agents de police chargés des violences faites aux enfants (5 = 3 %), les responsables des centres sociaux (2 = 1 %), le directeur régional du ministère de la Famille, de la Femme et de l’Enfant (1 = 1 %) et le juge d’instruction (1 = 1 %). Le logiciel Sphinx V 4.5 a été utilisé pour la masse de saisie, la construction de diagrammes, de graphiques, et de tableaux d’illustration. Notre échantillon est donc représentatif de 175 individus.

 

3. Résultats

3.1. Définition de l’enfant

L’enfant est la variable la plus déterminante dans cette étude car c’est à elle qu’est associée la violence. Pour mieux circonscrire l’étude, sa définition par nos enquêtés apparaît importante. Ainsi, pour la majorité 57 % des enquêtés, l’enfant est un individu dont l’âge varie entre 0 et 18 ans contre ceux qui admettent 33 % que c’est un individu dont l’âge varie entre 0 et 15 ans ; entre 0 et 10 ans (7 %) et entre 0 et 21 ans (3,3 %).

 

 

Graphique 1 : Définition de l'enfant selon les enquêtés

 

De la définition de l’enfant par les enquêtés, on peut donc en déduire que c’est un individu dont l’âge est globalement compris entre 0 et 18 ans comme l’admettent également l’ensemble des responsables d’institutions de protection de l’enfant interviewés :

Un enfant est un être humain fragile dont les parents ont le devoir et l’obligation de prendre soins. C’est à cause de cette fragilité que le l’Etat ivoirien le protège contre toutes formes de violences. L’âge requis d’un enfant est de 0 à 18 ans. La définition de l’enfant comme le législateur l’a conçu, il y a les mineurs de 10 ans, avant l’âge de 10 ans, il y a les mineurs de 13 ans, c’est-à-dire l’enfant de 10 à 13 ans moins un jour ensuite les mineurs de 15 ans c’est-à-dire 0 à 16 ans moins un jour et les mineurs de 16 à 18 ans moins un jour  (commissaire du 3e arrondissement, Daloa).

L’enfant est une personne vulnérable qui a besoin d’être protéger contre toutes violences car il ne peut se défendre face aux adultes. Son âge varie parfois entre 0 et 18 ans et 21 ans selon le projet que nous avons. Mais dans notre institution l’âge est de 0 à 18 ans  (Coordinatrice des projets de l’ONG VIF).

Cette définition de l’enfant qui tient compte du critère d’âge est consacrée par tous les instruments juridiques internationaux ; notamment la Convention relative aux droits de l’enfant(article 1er), la convention (182) de l’OIT sur l’âge d’admission à l’emploi (article 2), la charte africaine sur les droits et bien être de l’enfant qui définissent l’enfant (article 1er) comme « un être humain âgé de moins de 18 ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Outre, les instruments juridiques internationaux, la législation ivoirienne accorde également une importance à la définition de l’enfant. Selon les termes de l’article premier de la loi n° 70-483 du 3 août 1970 sur la minorité civile, le mineur est l’individu de l’un ou de l’autre sexe, qui n’a pas encore atteint l’âge de 21 ans accomplis. Cependant, au sens de la loi n° 81-640 du 31 juillet 1981, portant sur la minorité pénale (article 14 du Code pénal), le mineur désigne toute personne âgée de moins de 18 ans lors de la commission de l’infraction. Dans cette optique, la législation ivoirienne et les organisations internationales perçoivent l’enfant comme un être vulnérable ayant besoin d’une protection spéciale contre toute forme de violence, de mauvais traitement pour assurer le développement harmonieux et intégral de sa personnalité.

 

3.2. Typologie de la violence faite aux enfants

Selon les résultats de notre investigation, la violence à l’égard des enfants s’exerce sous diverse formes. Il s’agit par ordre décroissant selon les enquêtés des sévices corporels 24 %, des privations de nourriture 18 %, séquestrations 15 %, meurtres 11 %, injures répétées 11 %, privations de soins 6 %, abandons 5 %, défauts de scolarisation 4 %, isolement 4 % et des privations de jeux et loisirs1,6 %.

 

Graphique 2 : Typologie des violences faites aux enfants selon les enquêtés

 

Ces différentes formes de violences à l’égard des enfants à Daloa sont confirmées par les responsables institutionnels de protection de l’enfant interrogés : 

Nous avons comme forme de violences l’abandon des enfants, les violences physiques, les violences psychologiques, la négligence, les violences sexuelles, les mariages forcés des mineurs, mutilations génitales, la non-déclaration de l’enfant à l’état civil, ne pas arriver à nourrir et vêtir l’enfant  (YR, lieutenant de police, Daloa).

Nous avons au niveau de Daloa, les Agressions sexuelles, les viols, le fait de frapper régulièrement les enfants, les blesser, les punir sans leurs donner à manger, les injurier, les priver de soins, les priver de nourriture, ne pas les vêtir correctement, ne pas les scolariser, ne pas leur faire établir un acte de naissance… (KO, responsable protection, MFFE, Daloa).

… Nous accueillons presque tous les jours au centre social ici, les enfants victimes de violences sexuelles, d’abus, de négligence et pratiques traditionnelles néfastes… les viols, les sévices corporels, les mutilations génitales, les abandons d’enfants sont très récurrents…  (DR du Complexe socioéducatif, Daloa).

 

3.3. Facteurs explicatifs des violences faites aux enfants à Daloa

Selon les enquêtés, la violence faites aux enfants est la résultante de plusieurs facteurs de risque notamment économique, social, individuel et culturel. Ainsi, à la question de savoir quelles sont les motivations de la violence à l’égard des enfants à Daloa, ils affirment par ordre décroissant, le fait de donner une meilleure éducation 19 % à l’enfant, l’effet de la colère 17 %, la séparation des parents 13 %, le manque de moyens financiers 10 %, l’irresponsabilité des parents 10 %, la pauvreté économique 9 %, l’alcoolisme 8 %, les antécédents de violences 7 %, le jeune âge des parents 6 % de l’enfant, l’apprentissage de la vie 2 % et la toxicomanie 1 %.

 

 

 

Graphique 3 : Motivations des violences à l’égard des enfants selon les enquêtés

 

A l’analyse des facteurs explicatifs de la violence à l’égard des enfants à Daloa, la socialisation apparaît comme un indicateur de premier plan. En effet, la socialisation désigne le processus par lequel les individus apprennent les modes d’agir et de penser de leur environnement, les intériorisent en les intégrant à leur personnalité et deviennent membres de groupes où ils acquièrent un statut spécifique. La socialisation est donc à la fois apprentissage, conditionnement et inculcation, mais aussi adaptation culturelle, intériorisation et incorporation (Dictionnaire sociologique, 1995). Dans ce contexte, les violences faites aux enfants, selon certains parents interrogés, sont des mécanismes éducatifs pour apprendre certaines valeurs à l’enfant, pour le socialiser. Cette socialisation, généralement, ne se fait pas sans violence selon leurs propos :

« Les enfants ont parfois des caractères (comportements) qu’il faut absolument les emmener à abandonner, quoi de plus efficace que de le corriger ? » ; « Moi je frappe mes enfants hein, je les corrige bien même, je les frappe, il faut dire la vérité. Ce n’est pas pour assouvir une colère mais l’emmener à respecter, et à aller à l’école » ; « frapper son enfant quand il ne respecte pas ton autorité, fait connaître sa place à l’enfant » ; « Les trucs des enfants même énervent les gens » ; « Quand tu ne vas pas au travail et que tu es à la maison, si tu ne fais pas attention tu risques une crise cardiaque, tellement le comportement des enfants est énervant et agaçant à la fois » ; « Mes enfants font des choses qui ne sont pas bien, ça m’énerve je les corrige car l’éducation qu’un enfant reçoit à la maison c’est ce qu’il va montrer dehors. Si je ne suis pas dure, ils feront les choses comme ils veulent et demain quand ça va mal tourner c’est moi que les gens vont regarder ».

Quoi qu’il en soit, cette forme de socialisation de par sa nature est assortie de conséquences négatives. Ces conséquences varient en fonction de la nature et de la sévérité de la violence infligée, et les répercutions à court et à long termes sont souvent graves et dommageables pour la santé et l’avenir des enfants victimes.

 

3.4. Conséquences socio-sanitaires de la violence à l’égard des enfants à Daloa

L’étude révèle que la violence subie par les enfants dans leurs milieux de vie se manifeste sous plusieurs formes. Il s’agit des traumatismes physiques ou sévices corporels 46 %, traumatismes psychologiques qui se manifestent par le repli de l’enfant sur lui-même ou la peur de s’exprimer 35 %, le manque de confiance en soi 15 %. Mais aussi, la reproduction de la violence 5 % comme le soutiennent les spécialistes de la protection de l’enfant interviewés :

« … Trop de violence sur un enfant, lui fait perdre beaucoup de chose hein, il a peur de s’exprimer. Quand il a quelque chose, il a peur de le dire. Car il se dit que s’il dit on le frapper. Alors l’enfant peut même commencer à te dire des mensonges. Il a Peur également de jouer... » ; « Le premier impact c’est d’abord au niveau de la personnalité de l’enfant victime. Il enregistre chaque violence subie afin de pouvoir répondre un jour… Même s’il n’arrive pas à l’exprimer à cet âge mais à un âge plus avancé il le manifestera ».

 

 

Graphique 4 : Impacts de la violence sur l'enfant selon les enquêtés

 

Toute expérience de violence entraîne donc de la souffrance et constitue une atteinte à la dignité et à l’intégrité physique de l’enfant victime. Des lésions physiques comme des cicatrices, des blessures ou des lésions internes, des fractures de membres en sont les manifestations visibles sur le corps des enfants comme en témoignent les photographies prises lors de nos enquêtes :

 

Figures 1, 2, 3 et 4 : Manifestations de la violence à l’égard des enfants à Daloa

 

Au niveau social, ces violences conditionnent les mineurs victimes à l’abandon scolaire en les propulsant prématurément dans la rue où ils n’ont d’autres alternatives que de se tourner vers des activités illicites et dégradantes de survie comme ils le soutiennent eux-mêmes : « Aller à l’école même est ennuyant et tes parents au lieu de t’encourager à [y] aller, ils te frappent quand tu ne veux pas partir, c’est mieux je ne vais plus partir. De toute façon on me frappe pour tout mais école là c’est bon comme ça… ». « Quand tu quittes à l’école il n’y a rien à manger tu dois attendre le soir. Or quand je ne vais pas à l’école je vais aider les femmes au marché pour prendre leurs bagages, elles me donnent l’argent et je mange. Donc j’ai arrêté d’aller à l’école… ».

Ces propos sont également confirmés par les spécialistes de la protection de l’enfant interrogés : « ces violences nuisent gravement à leur épanouissement, entravent vraiment leur développement psycho-social, l’enfant fugue et s’installe dans la rue, manifeste de la violence envers ses amis, le rendement de l’enfant à l’école devient faible » ; « il peut devenir violent envers ses amis, être dans la rue et intégrer un groupe comme les enfants en conflit avec la loi ».

A l’analyse des conséquences socio-sanitaires de la violence à l’égard des enfants à Daloa, on peut en déduire qu’elles sont à la fois d’ordre psychologique, physique et social. Ces conséquences exigent donc des réponses urgentes afin de leur sauver la vie et préserver leur avenir comme l’énoncent les instruments juridiques nationaux et internationaux pertinents.

 

4. Discussion

4.1. De la définition de l’enfant

Les répondants définissent l’enfant comme un être fragile, vulnérable dont l’âge varie entre 0 et 18 ans. Cette définition de l’enfant qui tient compte du critère d’âge est consacrée par tous les instruments juridiques internationaux ; notamment la convention relative aux droits de l’enfant (article 1er), la convention (182) de l’OIT sur l’âge d’admission à l’emploi (article 2), la charte africaine sur les droits et bien être de l’enfant qui définissent l’enfant (article 1er) comme « un être humain âgé de moins de 18 ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Outre les instruments juridiques internationaux, la législation ivoirienne accorde également une importance à la définition de l’enfant. Selon les termes de l’article premier de la loi n° 70-483 du 3 août 1970 sur la minorité civile, le mineur est l’individu de l’un ou de l’autre sexe, qui n’a pas encore atteint l’âge de 21 ans accomplis. Cependant, au sens de la loi n° 81-640 du 31 juillet 1981, portant sur la minorité pénale (article 14 du Code pénal), le mineur désigne toute personne âgée de moins de 18 ans lors de la commission de l’infraction. Dans cette optique, la législation ivoirienne et les organisations internationales perçoivent l’enfant comme un être vulnérable ayant besoin d’une protection spéciale contre toute forme de violence, de mauvais traitement pour assurer le développement harmonieux et intégral de sa personnalité.

 

4.2. De la typologie de la violence à l’égard des enfants

La violence à l’égard des enfants à Daloa se manifeste sous diverses formes notamment physiques, psychologiques et économiques. Elle désigne donc toute forme de mauvais traitements physiques, psychologiques ou sexuels ou d’absence de soins qui cause une blessure ou un dommage psychologique à un enfant. L’abus de pouvoir ou de confiance fait partie des types de violence envers les enfants (CRC, 2022). Il ressort de l’étude de l’Observatoire national de l’action sociale (Odas, 2006-2007), en France, que, parmi les enfants repérés chaque année comme étant en danger dans les services départementaux, 20 % le sont pour cause de maltraitance. Parmi eux, en 2006, les violences se répartissaient ainsi : 33 % de violences physiques, 26 % de négligences lourdes, 23 % de violences sexuelles et 18 % de violences psychologiques. La violence envers les enfants ne connaît pas de frontières. Elle se manifeste dans tous les pays, et dans les lieux où les enfants devraient être le plus en sécurité : à la maison, à l’école et en ligne. Qu’ils soient de nature émotionnelle, physique ou sexuelle, ces actes de violence sont le plus souvent perpétrés par des personnes de confiance. Selon une enquête mondiale dans les écoles menée par l’OMS et les US Centers for Disease Control and Prevention (Pinheiro, 2006), le pourcentage d’enfants en âge d’aller à l’école qui ont été victimes de brimades verbales ou physiques dans les trente jours précédant l’enquête, va de 20 % dans certains pays à 65 % dans d’autres.

 

4.3. Des facteurs explicatifs de la violence à l’égard des enfants

Les résultats de notre étude indiquent que la violence faite aux enfants à Daloa est la résultante de plusieurs facteurs de risque notamment économique, social, individuel et culturel. A cet effet, parmi les indicateurs associés à un risque de violence physique, le fait d’être de sexe masculin, la maternité à un jeune âge, les familles de grande taille, la monoparentalité, la violence conjugale, le fait d’avoir subi de la violence physique durant l’enfance, un faible soutien social, la déficience mentale chez la mère, le faible niveau de scolarité de la mère, le fait de ne pas avoir assisté aux cours prénataux, la toxicomanie, une faible assiduité religieuse, une grossesse non désirée et l’attitude négative des parents face à la grossesse (DGSPNI, 2010). En Côte d’Ivoire, ce phénomène s’explique par plusieurs causes, notamment, la perte des normes et valeurs, la pauvreté, les guerres et les conflits civils, (Bakayoko-Ly Ramata, 2020). Selon l’Unicef (2022), les pratiques culturelles néfastes représentent également un grave danger pour les filles et les garçons du monde entier. Des centaines de millions de filles ont fait l’objet d’un mariage précoce et ont été victimes de mutilations génitales féminines, alors que ce sont deux violations reconnues des droits de la personne. De plus, d’après l’OMS (2006), les enfants issus de pays dont le revenu moyen est faible ou moyen courent deux fois plus de risques de mourir par homicide que les enfants vivant dans des pays aux revenus moyens élevés ainsi que les enfants porteurs de handicaps, les enfants appartenant à des minorités, les enfants qui vivent dans la rue, les enfants en conflit avec la loi et les enfants réfugiés ou déplacés.

 

4.4. Les conséquences socio-sanitaires de la violence à l’égard des enfants

A l’analyse des conséquences socio-sanitaires de la violence à l’égard des enfants à Daloa, on peut en déduire qu’elles sont à la fois d’ordre psychologique, physique et social. Dans cette perspective, selon Pinheiro (2006), la violence a de lourdes conséquences sur les enfants, sur le plan de la santé physique et mentale. Elle peut avoir des effets sur le long terme. Dans les cas les plus graves, elle peut causer leur mort ou leur infliger des blessures profondes. Elle peut également nuire à leur santé et diminuer leur capacité d’apprentissage. Elle peut pousser les enfants à fuir leur famille, ce qui les expose à d’autres risques. Les enfants victimes de la violence courent un plus grand risque de dépression et de suicide. Ceux qui en réchappent peuvent souffrir toute leur vie de problèmes de santé, de troubles cognitifs ou psychologiques. La violence engendre la violence. Les victimes d’actes de violence seront plus susceptibles de redevenir victimes d’actes de violence ou de devenir plus tard des auteurs d’actes de violence. La violence perpétue la pauvreté, l’illettrisme et la mortalité précoce. On peut faire de l’enfant une foule de choses dans les deux premières années de sa vie, le plier, disposer de lui, lui enseigner de bonnes habitudes, le corriger et le punir, sans qu’il arrive quoi que ce soit, sans que l’enfant se venge… S’il lui est interdit de réagir, parce que les parents ne supportent pas ses réactions (cris, tristesse, colère) et les interdisent [...], l’enfant apprend à se taire. Son mutisme garantit certes l’efficacité des principes d’éducation, mais il recouvre en outre les foyers d’infection de l’évolution ultérieure (Tursz, 2013).

 

5. Conclusion

L’étude sur la violence à l’égard des enfants a permis de mettre en lumière un phénomène réel et préoccupant qui touche tous les enfants, dans toutes les couches sociales en milieu urbain à Daloa. La violence n’est pas inévitable. Elle ne devrait jamais être banalisée et rien ne devrait jamais la justifier, quelle qu’elle soit sur un enfant. Nous pouvons et devons donc la prévenir. La prévention de la violence à l’encontre des enfants est possible. Elle requiert des efforts portant systématiquement sur les facteurs de risque et de protection aux quatre niveaux interconnectés du risque (individuel, relationnel, communautaire et sociétal). En effet, Le droit de tous les enfants de vivre à l’abri de la peur et de la violence est consacré dans la convention relative aux droits de l’enfant, le plus largement ratifié des traités relatifs aux droits humains. La communauté internationale a également reconnu que la violence nuisait au développement humain, économique et social, lorsqu’elle a adopté, dans le cadre du programme de développement durable à l’horizon 2030, des objectifs visant à faire cesser toutes les formes de violence contre les enfants car l’élimination de la violence contre les enfants est capitale pour progresser sur l’ensemble des objectifs de développement durable (M’jid M, 2020).

 

Bibliographie

 

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Représentations sociales des pratiques de la police nationale et recours à la violence au sein des populations en période électorale à Abidjan

Kouakou Daniel Yao, Enseignant Chercheur, Université Jean L. Guédé - Daloa, Ufr Sciences Sociales Et Humaines, Groupe D'études Et De Recherches Sur Les Représentations Sociales (Gers), Labaratoire D'études Et De Prévention En Psychoéducatio (Leppe), Kouakou Rodolphe Menzan, Enseignant-Chercheur, Ecole Normale Supérieure, Abidjan, Laboratoire D'études Et De Prévention En Psychoéducation (Leppe-Abidjan), Bakary Ouattara, Université Félix Houphouët-Boigny Ufhb, Ufr Criminologie, Laboratoire D'études Et De Prévention De La Délinquance Et De La Violence (Lepdv-Abidjan)

La présente traite du problème de la persistance des confrontations violentes entre police et populations en période électorale sous l’angle théorique des représentations sociales. Elle a pour objectif de comprendre, sous le prisme des représentations sociales, les rapports des populations aux actions de la police dans un contexte électoral où les motifs de recours à la violence font saillance. La méthodologie adossée au modèle structural des représentations sociales mobilise un échantillon de 72 participants issus d’une approche empirique dans 3...

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