La liberté d’aller et de venir est un droit fondamental du citoyen. Et ce droit ne peut s’exercer que dans la sécurité. Cette liberté, tout comme le droit à la vie lui-même, sont garantis par tous les Etats membres des Nations Unies qui doivent veiller à la quiétude de leurs communautés. Le terrorisme, phénomène criminel planétaire du XXe siècle, qui prend une ampleur certaine en ce début du nouveau millénaire, en apparaissant pour la première fois dans des pays d’Afrique de l’Ouest1, constitue une menace pour la stabilité des Etats mais également pour la jouissance des droits fondamentaux de tout citoyen.
Des écrits sont consacrés de plus en plus au terrorisme. Leman- Langlois (2008 :199) définie ce phénomène comme « une tactique qui cible des civils par des actes violents à caractère coercitif et en vue de réaliser un objectif politique ». Quant à Sagemen (2004) et Pape (2005), ils notent que les individus qui commettent des actes terroristes, n’ont aucune caractéristique psychologique, sociale ou culturelle commun. Cusson (2016) pour sa part, propose un antiterrorisme ciblé et polyvalent en Afrique de l’ouest, s’appuyant sur des facteurs de risques et indices pour détecter un terroriste potentiel. Quant à Yebouet et Yogo, ils constatent une absence d’harmonisation définitionnelle des pays au sud du Sahara, de sorte à entrouvrir des possibles violations des droits de l’homme.
La Côte d’Ivoire, pays ayant connu sa première expérience du terrorisme en 2016, évalue désormais les risques sur son territoire. Les conséquences de l’attaque des plages de ville balnéaire de Grand Bassam demeurent encore vivaces dans les esprits et ont même modifié les habitudes des vacanciers du week-end. De la sorte, le terrorisme influence dorénavant l’exercice des droits des citoyens qui prennent en compte cette nouvelle réalité dans leur quotidien.
Les actes de terrorisme dans les pays voisins de la Côte d’Ivoire comme le Burkina Faso et le Mali entretiennent un sentiment d’insécurité quasi permanent au sein de la population ivoirienne, surtout que la presse demeure alarmiste, faisant craindre un « 13 mars 2016 bis ». Le sentiment d’insécurité qui est une impression diffusive de crainte, influence les comportements, modifie les habitudes et restreint les droits humains notamment en matière de libre circulation. Certes, il ne s’agit pas d’une interdiction émanant des acteurs du terrorisme faisant injonction de ne pas se rendre à un endroit précis, mais de l’influence que ces actes imposent au citoyen au regard du principe de précaution. D’ailleurs, à ce sujet, les alertes et autres messages de prudence des autorités et des représentations diplomatiques notamment américain2 et française concourent à renforcer ce sentiment diffus d’insécurité.
En outre, les autorités policières dans la lutte contre les actes terroristes évoluent à la limite de la légalité, leurs investigations s’opérant « sur un fil de rasoir », basculant parfois dans l’illégalité lorsque la pression, trop forte, exige des résultats. Elles « heurtent » les droits des citoyens qui doivent être préservés par des actes de violence quelles qu’en soient les circonstances.
La noblesse de la lutte ne doit donc pas constituer une entrave voire une menace à l’exercice des droits du citoyen bien que cette éventualité mérite d’être envisagée. De la sorte, la question des droits de l’homme et l’influence qu’exerce le terrorisme sur le quotidien des citoyens ivoiriens, doivent être appréhendées sous une double dimension : d’une part, montrer comment la terreur créée par des fanatiques façonne les habitudes des individus et donc influence la pleine jouissance des droits inaliénables en Côte d’Ivoire. Et d’autre part, prendre en compte le contexte de la lutte contre le terrorisme et les dérives, voire des violences qui peuvent survenir au regard du respect des droits de la personne, de même que ceux du présumé terroriste.
L’étude s’articule dans un premier temps autour du concept du terrorisme, des droits du citoyen et des incidences sur le quotidien des populations (I). Dans un second temps, sera abordé l’aspect relatif au respect des droits de l’homme en lien avec les activités policières dans le cadre de la lutte anti-terroriste (II).
I. Terrorisme et menaces sur les droits fondamentaux en Côte d’Ivoire
Si des spécialistes du terrorisme (Hennebel et Lewkowick, 2009) estiment qu’il est difficile d’en donner une définition du fait de sa réalité multiforme, il convient toutefois de retenir le terrorisme comme un mode d’expression par l’usage de la peur et de la terreur. Résumé plus simplement, le terrorisme est un ensemble d’actes de violence commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité et remettre en cause l’ordre établi. C’est aussi « toute violence à objectif coercitif et motivation politique lorsque les cibles ne sont pas engagées au combat »33.
Tous les pays touchés par les actes terroristes ont vu leur gouvernement, à un moment ou à un autre, prendre position sur une question sensible, s’adossant généralement sur les positions occidentales. La Côte d’Ivoire, en la matière, n’en est pas exempte. Tout attentat terroriste étant donc avant tout une opération de communication politique, le groupe Al Mourabitoune44 avait déjà prévenu la Côte d’Ivoire de cesser ses soutiens à l’Opération française ‘‘Barkane’’. Mais pour les populations ivoiriennes, c’était un autre message très clair : Nul n’est à l’abri de la menace terroriste ! Et maintenant que le contenu du message est connu, il s’agit de voir comment les libertés individuelles sont garantis au regard de la lutte contre ce phénomène.
A. Formes de terrorisme et droits de la personne menacés
Le dimanche 13 mars 2016, à Grand Bassam, des individus investissent une plage très fréquentée à la fois par des nationaux et des expatriés et font feu, à coups de kalachnikov sur tous les présents. Cet attentat fera en définitive, 22 morts dont 3 terroristes et 33 blessés5. L’enquête conduira à l’arrestation de 38 personnes, la plupart en Côte d’Ivoire mais en lien avec des groupes djihadistes sous régionaux ayant déjà sévi au Mali et au Burkina Faso. Si cet attentat fut un électrochoc, au niveau politique et sécuritaire, aucune autorité ne pouvait prétendre être surprise. La menace planait depuis les mises en garde des groupements djihadistes et le dispositif législatif avait été renforcé avec la loi de 2015 sur le terrorisme. Au plan opérationnel, la sécurité avait été renforcée autour et dans les établissements recevant du public (ERP) de la capitale économique (hôtels, centres commerciaux…). Selon l’hebdomadaire Jeune Afrique « les préfets avaient été mis en alerte. La formation des militaires à la riposte antiterroriste avait été accélérée. En moins d’un an, six (6) tentatives d’attentats ont été déjouées et une dizaine de personnes interpellées le long de la lagune Ebrié où des cellules liées au groupe ‘‘Ansar dine’’ -ont par ailleurs été démantelées– ainsi qu’à Bouaké »6.
Dès lors, au-delà des choix de politique criminelle (en matière de lutte contre le terrorisme), il importe de garder à l’esprit la nécessité de garantir en tout temps et en tout lieu les droits fondamentaux de tous les citoyens. Pour François Bernard Hughe, « nous devons – désormais- apprendre à vivre avec l’idée que le terrorisme à défaut d’être éliminable, doit devenir supportable »7 et comprendre que la limite des atteintes « insupportables » que pourrait infliger le terrorisme inspire un autre regard sur le respect des libertés individuelles.
Certes, le terrorisme est une réalité multiforme qui part des dépôts de bombes, aux voitures piégées et passant par la forme utilisée en Côte d’Ivoire dans un quartier de la station balnéaire de Grand- Bassam, celle consistant en une fusillade de baigneurs, donc de civils. Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) dont une mouvance terroriste islamique djihadiste a revendiqué les faits, n’a pas depuis lors, commis d’autres actes. Il s’agit donc pour la Côte d’Ivoire de la seule forme connue bien que d’autres mouvements puissent exister.
Relativement à l’évolution de ce phénomène, trois grandes logiques de l’action terroriste sont connues. Certes, il ne s’agit pas de retourner à l’antériorité mais de voir pour la période contemporaine, les motivations des différents mouvements (Chaliand et Blin, 2015). Le premier type pour la période relativement récente est le terrorisme anticapitaliste des années 1970-1980 à l’image d’’’Action directe’’ en Allemagne. Cette forme visait une cible particulière, des dirigeants d’entreprise. Le deuxième type est le terrorisme indépendantiste qui a pour finalité l’accession à l’indépendance, à l’autonomie ou à la souveraineté régionale ou nationale. On évoquera ainsi l’IRA en Irlande ou l’ETA en Espagne.
Le troisième type est le terrorisme islamiste qui suscite de nombreuses interrogations, en l’absence de rationalité définie. Si elle a donné l’impression au départ d’être une forme de réaction à toute atteinte à l’islam et au peuple musulman, la multiplication de cibles hétéroclites ne facile pas l’appréhension des stratégies adoptées. D’ailleurs, Al Qaeda qui est l’organisation la plus connue a-t-elle, par exemple, les mêmes objectifs que le groupe salafiste pour la prédication et le combat en Algérie ? Rien n’est moins sûr à part la haine que tous ces groupes partagent envers l’Occident.
Par rapport à ces trois tendances récentes, l’action de Grand-Bassam se situerait dans la troisième catégorie. Pour rappel des faits de Grand Bassam, le modus operandi, unique en son genre en Côte d’Ivoire, se présente comme une fusillade de masse, une tuerie de masse. Et ce sont ainsi des droits multiples des citoyens qui sont affectés ; de la simple liberté d’aller et de venir, en passant par le droit à la vie et à l’intégrité physique, la dignité, l’égalité, d’autres droits économiques et sociaux, ce sont autant d’atteintes qui seront ainsi relevées. A ces droits, il faut ajouter les libertés publiques qui se trouvent aussi remises en cause (J. Rivero, 1991, 23).
En choisissant d’agir contre un lieu de grande fréquentation, la station balnéaire, il s’agissait de créer un traumatisme suffisant pour limiter désormais les mouvements des populations notamment leurs activités récréatives. Réduire ou limiter un tel droit impacte forcément les habitudes des populations et c’est l’un des buts visés par les commanditaires de ces actions. Au-dessus de la liberté d’aller et de venir, il y a le droit à la vie. En ouvrant le feu de manière indistincte sur des plagistes civils, l’acte terroriste s’est donné le droit d’ôter la vie de citoyens ; pouvoir qui relève de l’action divine.
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948, en faisant du droit à la vie, un droit inaliénable de tout citoyen, la communauté des hommes en a fait le droit le plus protégé. A contrario, en choisissant de tuer de manière indistincte, il s’agissait de choquer au maximum les populations concernées et celles d’ailleurs. C’est d’ailleurs, l’objectif du monde terroriste : installer la terreur dans le cœur des personnes, créer un sentiment d’insécurité permanent. Certes, l’on pourrait ici évoquer les dégâts matériels qui sont également des droits des citoyens à disposer de leurs biens. Mais dans le contexte de la perte de vie, peut-on répertorier les pertes ou destructions matérielles ? La réponse est affirmative mais elles viennent bien loin après les pertes en vie humaine et blessures physiques. Toutefois, ne pas prendre en compte les dégâts matériels, c’est négliger l’incidence sur l’avenir de certaines activités et partant, sur la vie des acteurs du secteur et notamment, pour le cas de Grand- Bassam, les hôteliers.
B. Impact du sentiment d’insécurité sur les habitudes des citoyens
Les événements de Grand-Bassam ont laissé une trace indélébile dans le cœur des populations notamment les Bassamois et des stigmates aux plagistes de ce dimanche dramatique. Si l’on peut évoquer les incidences sur les activités économiques et touristiques, il faut davantage mettre l’accent sur le sentiment d’insécurité qui est né suite à ces évènements. Les habitudes ont donc changé.
La peur qui s’est installée, a changé les habitudes des Ivoiriens. Le premier changement, c’est la fréquentation des lieux publics. Avec les plages qui ont connu une baisse remarquable des baigneurs, ce sont tous les commerces et espaces recevant du grand public qui ont vu leurs mesures de sécurité s’accroître. Le personnel de sécurité (public et privé) a été renforcé avec le recours aux moyens technologiques de pointe : vidéosurveillance à infrarouge avec système à balayage PTZ, portiques à détection de métaux. La sécurité qui n’était pas déjà de mise dans l’esprit des Ivoiriens qui ont vécu une décennie de crise (2002–2011), s’est transformée en sentiment d’insécurité. Si pour certains Ivoiriens, ce n’était qu’un évènement tragique de plus au regard de ce qu’ils avaient déjà vécu avec la crise militaro-politique, pour d’autres, c’est un évènement de trop. La quiétude tant recherchée disparaissant ainsi, c’est une grande période d’incertitude qui s’installait avec les risques de récidive terroriste. C’est donc, outre les droits communs, l’ensemble des libertés dont jouissent des citoyens qui sont remises en cause. La lutte contre le terrorisme qui appelle l’utilisation de grands moyens pour la protection des biens et des personnes, conduit à des pratiques policières et judiciaires qui sont parfois attentatoires à la bonne application de la justice.
Le fait de décider de combattre le terrorisme comme si l’on rentrait en guerre, loin de rassurer les populations, crée une ambiance délétère et rend l’environnement du citoyen moins sûr. Si les plages de Grand Bassam et les grandes surfaces abidjanaises retrouvent progressivement leurs habitudes de fréquentation –à l’image même du « joyeux luron » qu’est l’Ivoirien- désormais c’est le principe de précaution qui gouverne toutes les activités. Le danger semble permanent et permet aux autorités d’échapper aux regards critiques au prétexte de rendre le monde plus sûr.
En choisissant de renforcer les moyens et surtout les pouvoirs des agents chargés de la sécurité, il s’agit subtilement de réduire les possibilités de tolérance et d’expression des opinions différentes voire contraindre au silence une opposition toujours alerte à la critique, en se servant des peurs de la population. Certes, le cas ivoirien n’a pas permis de tels constats, mais au regard des pratiques politiques, une telle option ne peut être écartée. Ailleurs, les pratiques du pays qualifié de « pays de la liberté » constitue un modèle de violation des droits fondamentaux. C’est ce que dénonçait Irène Khan, secrétaire générale d’Amnesty International lors d’une conférence de presse : « le gouvernement des Etats Unis considère le monde entier comme un gigantesque champ de bataille pour sa « guerre contre le terrorisme ». En 2006, de nombreux éléments sont venus montrer que des suspects sont enlevés, arrêtés, placés en détention, torturés et transférés par ce pays en toute impunité d’une prison secrète à une autre, d’un bout du monde à l’autre, avec l’aide d’alliés ». (Amnesty International, 2007, 3).
Dans un tel contexte, quelles sont les garanties pour les personnes ? En principe, les droits fondamentaux doivent être renforcés. Mais, les craintes, les peurs de citoyens contribuent à renforcer le pouvoir des autorités qui sont désormais le dernier rempart face à un phénomène tentaculaire aux pratiques asymétriques. Pour les autorités, la peur du terrorisme a entraîné de leur part des réflexes vindicatifs, notamment envers des personnes connues ou soupçonnées pour leur différence d’opinion. La descente musclée, dénoncée par le FPI, des forces armées au domicile d’un leader de l’opposition pour motif de recherche d’armes, constitue un exemple des craintes éprouvées en ces périodes8. Cet exemple rejoint les inquiétudes de Van Der Meerschen pour qui « … un arsenal touchant l’ensemble des citoyens, y compris, les personnes qui ne sont pas soupçonnées de faits de terrorisme, se développe dans la précipitation, notamment par l’utilisation des moyens portant atteinte à la vie privée » (B. Van Der Meerschen, 2007, p. 27–28). En présentant le terrorisme comme une menace désormais constante, il est aisé de mener des actions préventives et d’anticipation. Seulement, de tels procédés qui impactent sur les libertés, concourent à développer le sentiment de ne pas être en sécurité et se convaincre que le danger est partout présent.
Le sentiment d’insécurité ou la peur tout simplement ne doivent pas justifier toutes les options sécuritaires car « … le mythe d’une sécurité totale, qui semble avoir été, sinon légitimé, du moins libéré par la guerre contre le terrorisme ‘‘se fonde sur l’illusion qu’il serait possible de prévoir le futur avec certitude et de le contrôler par l’anticipation’’. Or, tout protéger en tout temps et en tout lieu, est non seulement impossible techniquement, mais marque aussi, comme on l’a vu, une rupture philosophique techniquement contraire à l’idée même d’indétermination, donc de liberté individuelle, qui fonde le processus d’humanisation inscrit au cœur de l’Etat de droit. Interprété en ce sens absolu (le risque zéro, cher au discours politique dominant), le mythe sécuritaire est donc incompatible avec l’Etat de droit, compris comme un Etat soumis aux limites du droit » (M. Delmas-Marty, 2010, 30).
En définitive, si la crainte constitue un motif pour le citoyen de changer ses habitudes, modifier ses parcours et fréquentations (éviter les lieux trop de monde), elle ne doit pas être au cœur du débat entre l’ordre et la liberté. Pour autant, « leur conciliation s’opère dans des circonstances qui si elles ne sont pas dépourvues d’enjeux, ne comportent pas toujours le même degré de gravité pour la préservation de l’Etat de droit » (D.A Camous, A. Geslin et al, 2006, 3). Et avec l’Etat de droit, c’est le quotidien du citoyen qui doit demeurer au cœur des préoccupations policières.
II. Droits de l’homme et activités policières dans un contexte de lutte contre le terrorisme
Si l’on prend les expressions « droits de l’homme » et « activités policières », il est loisible de penser qu’il existe une opposition car une activité de police, soit dans un but de prévention soit de répression, présente une menace pour les droits de l’homme, notamment dans un contexte de lutte contre le terrorisme. Pourtant, un examen de ce rapport sous un autre angle, décrit l’activité policière comme une garantie des droits du citoyen en permettant d’éviter et de sanctionner des troubles occasionnés par une minorité.
Dans cette optique, il y a une complémentarité et non une opposition entre droits de l’homme et activités policières. Seulement, pour atteindre un tel objectif, tout en rappelant que dans le cadre de ses missions, la police fonctionne généralement à la limite de la légalité, surtout en matière judiciaire, il faut un respect scrupuleux des règles d’engagement et de procédure policière pour éviter tout abus.
A. Activités policières et respect des droits humains
Suite aux évènements de Grand Bassam, la Commission nationale des droits de l’homme de Côte d’Ivoire (CNDHCI) a organisé un séminaire-atelier sur les « droits de l’homme, terrorisme et dynamique de paix en Côte d’Ivoire »9. Il s’agissait pour elle, d’insister sur la nécessité de préserver les droits et libertés même en situation exceptionnelle comme dans le cas de menaces ou d’attentats terroristes. Bien qu’officiellement, elle n’ait pas dénoncé de cas de violations dans le cadre des enquêtes sur ces évènements, la CNDHCI juge opportun de prévenir ce type réaction policière, en prélude de l’avènement d’autres cas. Car les activités policières visent à faciliter l’exercice des droits humains. Par son pouvoir de coercition légitime, pour reprendre Max Weber, la police veille et se fait respecter. Seulement, en fonction des contextes et de l’environnement politique (insurrection, Etat de siège ou d’urgence), la police voit ses pouvoirs s’accroître et toute mauvaise utilisation ou abus constitue une menace pour le citoyen.
La Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette logique. Depuis la nuit du 19 septembre 2002 où le régime d’antan a fait l’objet d’une tentative de déstabilisation, jusqu’au changement de pouvoir en 2011, les atteintes aux droits de l’homme et libertés individuelles ont été importantes (Yebouet, 2011). Du fait que la crise postélectorale a occasionné officiellement 3 000 morts, cela prouve la gravité de cette période. D’où les réserves qui peuvent être émises quant à l’absence de déclarations ou de productions journalistiques sur des cas de violations des droits de l’homme. En effet, la grande traque qui s’est organisée après Grand Bassam s’est poursuivie au Burkina Faso et au Mali avec l’arrestation d’acteurs de divers niveaux de responsabilités.
Ces activités, dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, affectent à la fois l’honnête citoyen et le terroriste. Parce que l’acte terroriste détériore l’environnement, crée une ambiance délétère, l’agent de sécurité qui opère dans un tel environnement se retrouve sous pression, et cette pression transparait dans ses missions quotidiennes. Dans ses rapports quotidiens avec l’honnête citoyen, un vent de suspicion –légitime- s’installe, rendant distants des contacts qui se veulent cordiaux.
En effet, le premier contact entre citoyens et policiers s’effectue à travers les contrôles et vérifications d’identité. Au cours de cette opération, l’agent s’assure de l’identité de l’individu à travers la vérification des documents administratifs (CNI, passeport, carte consulaire et tout autre document permettant d’attester de son identité). Cette opération a lieu à l’endroit même de l’interpellation du citoyen et ne dure généralement que quelques minutes. La restriction des droits du citoyen, notamment son droit d’aller et de venir, se trouve ainsi peu limitée.
S’il s’avère que le document fourni voire l’absence de document pose problème, l’opération routinière de contrôle d’identité se transforme en une opération de vérification qui peut se faire sur le lieu même de l’interpellation ou généralement au poste de police. Ici la procédure peut être plus longue mais ne doit pas atteindre la durée d’une garde-à-vue. En l’espèce, en Côte d’Ivoire, les vérifications d’identité ont lieu au poste de police et peuvent s’avérer longues, si l’interpellation s’est faite la nuit, avec des risques de tortures lorsque l’agent croit tenir son « terroriste » qu’il faut faire avouer avant le jour. Le respect des droits de l’homme sera plus ou moins fort en fonction de la nature de l’Etat mais aussi de la menace. L’action terroriste s’opérant de manière asymétrique, l’absence d’informations précises préalables sur l’ensemble des acteurs conduit à un renforcement des activités policières, parfois préjudiciables au citoyen. Faut-il, sur l’autel de la protection de l’Etat ou des populations, accepter que les libertés individuelles soient –ne serait-ce que partiellement ou par moment– « écorchées » pour atteindre des résultats sécuritaires ? Pour Philippe Cantie, citant Benjamin Franklin (Cantie, 2006, p.177), « ceux qui acceptent de céder une part de liberté pour accroître leur sécurité n’auront, ni ne méritent, ni l’une ou l’autre ».
Un équilibre est donc à rechercher entre les droits humains et l’activité policière, de la même manière d’ailleurs que l’activité policière doit trouver un équilibre entre la fonction d’autorité et la fonction de service qui doivent apparaitre comme deux facettes différentes de l’activité de police.
Lorsque référence est faite aux droits de l’homme dans l’activité policière, cette prise en compte est conçue comme devant permettre une protection de ces droits. Et lorsque les droits humains sont placés au cœur de l’activité policière, le postulat généralement admis est que le citoyen est respectueux des devoirs et qu’il obéit aux règles établies. De même, l’agent chargé de l’activité policière doit être considérée comme à même d’accomplir son devoir, tout en admettant là aussi quelques hypothèses d’erreurs volontaires ou non (Yebouet, 2001). Peut-on alors concilier les droits de l’homme à la recherche de la sécurité ? En réalité, ce sont des droits différents qu’il faut protéger car en termes de droits fondamentaux, la sécurité en fait partie. Alors, comment vouloir atteindre un niveau maximum de sécurité sans garantir une sécurité maximale ? Si tous les droits méritent d’être protégés, la sécurité semble prendre le dessus dans des contextes de lutte contre le terrorisme. Il apparaît que la sécurité est celle qui permet de garantir les autres droits. Le droit à la sécurité est le droit des droits de l’homme avec le droit à la vie, mais la lutte contre le terrorisme créé un détournement et un usage abusif des mesures préconisées, mesures qui dérogent à de nombreuses libertés. En définitive, l’ordre (ou la sécurité) et la liberté s’équilibrent dans une période normale, l’équilibre s’altère en des périodes de doute.
Dans ce contexte, il faut postuler que aussi bien le policier que le citoyen, correspondent à un profil donné de personnes et donc il faut sanctionner toute dérive de la personne exerçant l’activité policière. Il n’en demeure pas moins que certains types d’activités comme la fouille des personnes et des véhicules sont susceptibles d’entraîner plus facilement des abus dans un contexte de fébrilité lié à des attentats terroristes. Le respect de la liberté individuelle a toujours été une source de difficultés, notamment en période sensible comme celle liée aux attentats terroristes. Ces dérives à la liberté peuvent résulter, entre autres, d’opérations de police qui conduiraient les représentants de l’ordre à sortir du cadre normatif et à porter atteinte à telle ou telle liberté. L’usage de la force est partie intégrante des activités policières et d’elle découle parfois de la violence.
Des difficultés apparaissent également lors des fouilles, des écoutes téléphoniques, et avec l’usage de la vidéosurveillance. Si en France, le Conseil constitutionnel par un arrêt du 12/01/77 s’est prononcé sur les fouilles véhiculaires en l’adaptant comme une pratique policière légale, en Côte d’Ivoire elle résulte d’une autorisation expresse de l’autorité judiciaire ou administrative telle que prévue par la loi n° 96-765 du 03/10/96 relative aux perquisitions en matière de lutte contre la criminalité. Ces dispositions ont vu leur cadre légal renforcé par la loi n°2015-493 du 07/07/2015 portant répression du terrorisme qui donne davantage de pouvoirs aux forces de l’ordre pour agir avec les risques susmentionnés. Toutefois, l’absence de plaintes formellement établies ne permet pas une analyse plus approfondie. Des recours sont envisageables devant la justice et l’inspection générale de la police nationale (IGPN), pour des motifs divers comme les voies de fait, la violence, l’usage excessif de la force... Mais peuvent-ils véritablement s’appliquer à une période où le sentiment d’insécurité est si prégnant dans les esprits, surtout lorsque les dérives ont lieu de nuit ?
Quant à la fouille des individus, un problème de définition se pose au regard de la distinction entre la fouille et la palpation de sécurité. Si ces deux notions ne recouvrent pas la même réalité car étant soumises à des régimes différents, les policiers Ivoiriens les appliquent de manière indistincte lorsqu’ils y ont recours. En ce domaine également, la loi de 2015 relative au terrorisme, a élargi le champ de compétence des forces de l’ordre dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, en permettant aux policiers de mener toutes les investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. En effet, dans une volonté d’adapter la répression à la circonstance, le législateur de 2015 donne les moyens aux officiers de police judiciaire pour procéder à des perquisitions et saisies de pièces à conviction « à toute heure de la nuit et en tout lieu » (art. 13). Pour ce faire, des principes qui, en temps normal, assurent la protection de la vie privée ou professionnelle, peuvent être méconnus. Il en est ainsi du secret professionnel, du secret bancaire, du droit à l’inviolabilité des correspondances, de l’inviolabilité du domicile, du droit à la protection des informations normatives. Ces situations d’exception prévues par cette loi, si elles sont mal appliquées peuvent constituer des menaces pour le citoyen. Certes, les articles 10, 15 et 17 prévoient un encadrement avec le procureur de la République et le président du Tribunal de 1ère instance, mais dans le feu de l’action, des dérives sont possibles.
Pour rappel, la palpation de sécurité apparaît lorsque dans le cadre d’un flagrant délit, la police appréhende une personne suspecte et qu’elle tient à s’assurer qu’elle ne porte pas d’arme afin d’éviter qu’une arme à feu ou une arme blanche ou tout autre objet dangereux puisse demeurer en sa possession. S’agissant de la fouille à corps, elle est une technique destinée à vérifier qu’une personne ne puisse pas dissimuler un objet qui serait une preuve ou une pièce à conviction nécessaire à une enquête.
Il peut y avoir une fouille à corps lorsqu’un individu est soupçonné d’avoir participé à une infraction et pourrait détenir un objet important relatif au fait incriminé. Cette fouille corporelle peut conduire à dévêtir la personne ; les objets trouvés seront placés sous scellés par la police et un procès-verbal est établi. La fouille à corps s’apparentant à une perquisition, elle mérite d’être encadrée par des garanties permettant de protéger les individus qui y sont soumis ; ce qui n’est pas toujours le cas.
Les règles applicables aux écoutes téléphoniques en Côte d’Ivoire sont méconnues et relèvent du domaine de la sûreté de l’Etat. Personne n’en parle puisque personne ne sait concrètement comment la police procède. A l’heure du téléphone portable, l’opinion générale est que ces appareils sont régulièrement placés sous écoute mais personne ne peut le prouver. Dans ces conditions, des risques d’abus sont à craindre et les atteintes à l’intimité et à la confidentialité des communications se trouvent menacées. Or, des dispositions réunies au sein de trois textes récents encadrent cette activité : il s’agit de l’ordonnance n° 2012-293 du 21/03/2012 relative aux télécommunications et aux TIC ; de la loi de juillet 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et la loi de 2016 relative au blanchiment de capitaux et financement de terrorisme. L’ensemble de ces lois textes pose le principe de l’inviolabilité des communications électroniques avec des exceptions clairement définies notamment la réquisition de l’autorité judiciaire. L’absence de récrimination jusqu'à ce jour ne permet pas des analyses fondées sur des faits pour cette activité.
Il en est de même de la vidéosurveillance dont la ville d’Abidjan se trouve aujourd’hui « envahie ». En réalité, contrairement aux écoutes téléphoniques, aucune garantie législative n’existe; le Parlement n’ayant jamais été saisi. Au lendemain de la crise postélectorale, craignant des velléités des coups d’Etat et autres mutineries, les autorités ont discrètement et progressivement installé à des points névralgiques et stratégiques des caméras de surveillance et cela en violation des libertés individuelles. A ce sujet, les Ivoiriens se souviennent du scandale lié aux ébats d’une journaliste télé et de son amant, dans un véhicule, filmés par ces caméras. Les images s’étant retrouvées sur les réseaux sociaux10.
Au-delà des dispositions de droit commun ivoirien, au plan international, le Comité des droits de l’homme, dans son commentaire de l’article 9 relatif au droit à la liberté et à la sécurité de la personne de la convention internationale a déclaré que la période de détention avant que l’individu soit traduit devant la justice ne doit pas dépasser quelques jours. Pour la doctrine, « quelques jours » est le temps nécessaire pour mener à bien les investigations utiles pour la manifestation de la vérité. Or, comment évaluer ce temps nécessaire, lorsqu’il est de notoriété que les moyens techniques d’enquête policière diffèrent selon les pays, voire les continents. C’est à ce niveau que la coopération internationale trouve tout son sens à travers la convention d’Abuja, en ses articles 4 et 5 qui prévoit des secteurs de coopération entre Etats notamment en matière d’échange d’informations et d’aide dans les procédures concernant l’enquête et l’arrestation de personnes soupçonnées de terrorisme, d’échange d’études, de recherches et d’expertises sur la manière de combattre les actes de terrorisme, d’offrir une assistance technique en vue d’améliorer leurs capacités scientifiques, techniques et opérationnelles.
B. Acteurs du terrorisme et procédures judiciaires
La lutte contre le terrorisme étant au cœur des préoccupations et la crainte d’abus venant de la police tout comme des atteintes aux droits individuels, il importe avant d’évoquer les garanties procédurales pour les suspects, d’envisager la protection même des personnes exerçant une activité policière dans le contexte de lutte contre le fléau mondial qu’est le terrorisme. La Côte d’Ivoire, dans le cadre de la loi de 2015 portant répression du terrorisme, a mis en place un comité interministériel de lutte anti-terroriste (CILAT) et acquis du matériel et de l’équipement pour le renforcement des capacités opérationnelles des unités spécialisées (forces spéciales, unités d’intervention de la Gendarmerie nationale et les Forces rapides d’assistance policière).
Les fonctionnaires de police exercent au nom de l’Etat une activité qui a principalement pour but le maintien de l’ordre et de la sécurité ; à ce titre, ils bénéficient du respect et de certains droits et liberté. Ils ont donc par rapport à l’Etat une position particulière qui conditionne les droits et les obligations qui les visent.
Bras séculier du pouvoir exécutif, la police, depuis l’Ancien Régime sous les rois de France, a toujours entretenu des rapports particuliers avec l’Etat. L’évolution des rapports et des systèmes politiques a exigé une soumission plus neutre à l’Etat et plus forte non pas aux autorités mais à la nation. Toutefois, « la violence policière demeure partie intégrante du travail policier, ce dernier étant amené simultanément à déployer, mais aussi à subir en tant que témoin et aussi en tant que victime les affres de la violence et de ses conséquences physiques et psychologiques » (Dieu F., 2017, 2).
S’il n’existe pas de contrat entre l’Etat et le policier qui est un agent public, il existe toutefois un lien d’adhésion qui, par ailleurs, est quelque peu supérieur à celui des autres fonctionnaires au regard des activités de souveraineté qu’il exerce. C’est d’ailleurs ces activités d’autorité qui ont eu pour conséquence, la mise en place de délits particuliers pour l’agent de police, qui est différente de la position contractuelle de tout fonctionnaire, avec l’extension de certaines obligations et la restriction de certains droits (de grèves, notamment).
La nature de l’adhésion à l’Etat, de personnes exerçant une activité policière est donc un élément important qui conditionne l’ensemble de leurs rapports avec les autorités qui détiennent le pouvoir exécutif et qui leur adressent des instructions quant à l’exercice de leur mission.
Toutefois, quel que soit le type d’affaire policière, et cela au regard de la gravité et de l’émotion soulevée au sein de la population, l’activité policière doit demeurer encadrée par des règles strictes issues de procédures classiques et exceptionnelles comme lorsqu’il s’agit de lutte contre le terrorisme. Six catégories de droits fondamentaux sont les plus menacés par les mesures anti-terroristes (Mock H.P., 2006, 26) : les garanties liées à l’arrestation et à la détention ; les garanties liées au procès ; les garanties liées au respect de la vie privée ; les garanties relatives à la liberté d’expression et d’information ; les garanties liées à la propriété privée et les garanties qui sont reconnues aux immigrés, réfugiés et demandeurs d’asile. Dans le cadre des activités policières stricto sensu, ce sont davantage les garanties des 1ère, 3ème et 5ème catégories qui sont les plus menacées, tout en rappelant que l’activité policière se poursuit dans le procès pénal. En l’espèce, l’absence de plaintes ou de dénonciations en rapport avec les évènements de Grand Bassam ne permet pas d’autres analyses de fond.
Relativement à la protection des droits, la charte africaine, tout comme la convention internationale des droits civiques et politiques, reconnaît et protège les droits fondamentaux civiques et politiques : l’égalité devant la loi (art. 3), le droit à la dignité ainsi que la prohibition de l’esclavagisme, la torture, cruelle, inhumaine, la punition dégradante (art. 5), les droits à un jugement équitable tels que le droit à la présomption d’innocence (art. 7), la liberté d’expression (art. 9), et la liberté d’association (art. 10). La charte ne contient aucune clause dérogatoire pour les urgences laissant ainsi à tous les Etats, le choix d’agir dans l’urgence. Or, dans l’urgence, tous les écarts sont possibles.
En d’autres matières comme celle des écoutes téléphoniques, au- delà du droit de ne pas obéir à un ordre illégal qui est une limite au principe d’obligation hiérarchique, l’article 120 de l’ordonnance de 2012 relative aux télécommunications et aux TIC, impose un consentement express de la personne concernée par la mise sous écoute.
En réalité, les deux premières décennies du XXIe siècle sont pour la Côte d’Ivoire, des périodes d’instabilité sociopolitique au cours desquelles, les forces de l’ordre ont acquis davantage de pouvoir, pour avoir joué leur partition dans la protection du pouvoir. De sorte qu’au regard de la protection des institutions de la République et de la paranoïa de la déstabilisation, est venue s’ajouter la phobie des attaques terroristes. Dans cet environnement, les garanties procédurales pourraient être foulées au pied sur l’autel de la préservation de l’ordre public et la gestion de crise. Alors, la violence d’Etat produite par le policier éclaire sur la consubstantialité du policier et du politique dans une perspective wébérienne telle que l’appréhende Loubet Del Bayle (2016).
L’analyse des opérations de police qui ont suivi l’attaque djihadiste des plages de Grand Bassam, en dehors du branle-bas du jour des évènements, n’a pas permis de montrer comment les droits humains ont été relégués au second plan, cela en l’absence de toute médiatisation. Des dérives n’ayant pas été dénoncées par des victimes ou les institutions des droits de l’homme, il n’a pas été possible de les relever et montrer comment une réalité sociale ponctuelle pouvait compromettre des droits inaliénables au moment où ils ont le plus besoin d’être respectés. Ici encore, une question demeure posée : la méconnaissance de plaintes signifie-t-elle que les règles procédurales en matière de protection des droits humains aient été respectées ? Pour le Conseil de l’Europe, « il est un principe fondamental qu’il est à la fois possible et nécessaire de lutter contre le terrorisme tout en respectant les droits de l’homme, les libertés fondamentales et l’Etat »11. Ces mêmes principes sont valables pour la commission africaine pour laquelle les droits fondamentaux doivent être respectés en toute circonstance.
Dans son Rapport mondial de 2017, Human Rights Watch, à la rubrique consacrée « aux comportements des forces de sécurité » en Côte d’Ivoire, note que « Les arrestations arbitraires, les mauvais traitements aux détenus, et les assassinats illégaux commis par les forces de sécurité ont diminué en fréquence en 2016. Le nombre d’enquêtes et de procédures judiciaires engagées contre les responsables d’abus a légèrement augmenté, mais elles sont restées rares » 12. Tout en évoquant l’attentat de Grand Bassam, l’ONG des droits de l’homme ne constate pas l’existence d’abus dans le cadre des enquêtes menées. Or, si dans le cadre d’investigations classiques, des dérives aient pu être constatées comme ci-dessus indiquées, il est donc fort probable que pour ce qui fut un électrochoc en Côte d’Ivoire et pour lequel les forces de sécurité avaient un impératif de résultat dans un délai bref, « des arrestations arbitraires, voire des exécutions sommaires » n’ont pu être repérées. Et c’est donc à ce niveau, qu’au- delà des supputations, l’on retombe dans le fameux chiffre noir de la criminalité.
La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), tout en faisant allusion aux évènements de Grand Bassam, parle d’« exactions perpétrées par des groupes armés »13. Elle souligne les conséquences de l’attentat et les sanctions infligées à deux militaires reconnus coupables d’association de malfaiteurs et de violation de consignes sans pour autant se prononcer sur la procédure ayant conduit à une condamnation à dix ans d’emprisonnement. La protection des droits des individus, bénéficiant de la présomption d’innocence ne semble pas été au cœur de l’action des défenseurs des droits de l’homme et des libertés publiques. Peut-on alors penser que dans un tel contexte, des choix ont été priorisés ? Répondre par l’affirmative ne constituerait pas une accusation sans fondement.
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Si la préservation de l’ordre public dans un contexte de lutte contre « la grande menace du XXIe siècle » semblait faire exister une antinomie entre droits de l’homme et activités policières, cette antinomie ne peut exister que dans un régime autoritaire incompatible avec l’Etat de droit. Or, dans un contexte particulier de crainte et de traumatisme ambiant, des entorses sont tolérées, ce qui ne remet pas en cause l’Etat de démocratie sachant que ces faits sont dénoncés.
Un encadrement de l’activité policière s’impose car des règles de plus en plus protectrices des droits et libertés des citoyens sont élaborées et l’activité policière ne doit pas échapper à cet encadrement qui correspond aux droits des libertés.
Ce sont donc les activités de police qui doivent être limitées dans l’exercice de certaines de leurs obligations afin de pouvoir accomplir de manière immédiate leur mission de sécurité. L’ensemble du dispositif législatif et réglementaire des forces de police et les mécanismes permettant aux citoyens de protéger leurs droits et libertés à l’intérieur de l’Etat permet de garantir l’accomplissement de l’activité policière dans le respect des droits de l’homme.
En définitive, il est donc possible de garantir les droits de l’homme, pour peu que l’on cesse de considérer les activités policières et les droits de l’homme inconciliables ou irréconciliables dans un contexte de lutte contre le terrorisme.
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1Les mouvements terroristes ont commencé à être actifs en Afrique de l’Ouest, avec le Nigeria où Boko Haram, mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord-est du Nigeria, s’est assigné pour objectif d’instaurer un califat et d’appliquer la charia. C’est à partir de 2009 que Boko Haram se manifeste et son chef, Mohamed Yusuf est tué par l’armée nigériane. Avec Boko Haram, c’est également le MUJAO (Mouvement pour l’unité et jihad en Afrique de l’Ouest) au Mali et au Niger. Le Burkina Faso connaîtra le même sort avec l’action de groupes différents comme Ansar dine, Al Mourabitoune, Ansarul Islam…
2 www.koaci.com – Lundi 25 Janvier 2016 : « Attentat terroriste : l’ambassade américaine dément », Après l'attaque terrorisme la semaine précédente au Burkina Faso, plusieurs médias ont attribué un message à l'ambassade des Etats-Unis à Abidjan, où elle invitait ses ressortissants à la prudence face à la menace qui serait imminente en Côte d’Ivoire. (Consulté le 26/01/16). - Sur la page Facebook de l'ambassade de France en Côte d'Ivoire en date du 13 mai 2017, les ressortissants français sont invités à la prudence, à éviter certains lieux en Côte d'Ivoire (consulté le 15/05/2017 : https://www.jeuneafrique.com/438574/politique/direct-cote-divoire-tirs-entendus-a-abidjan-bouake/mis à jour 15 mai 2017 à 21h38).
3 www.Erta-tcrg.org : « Définition du terrorisme », consulté le 08/10/2017.
4 Al Mourabitoune est une organisation terroriste basée dans le désert malien. Allié d’AQMI (Al Qaeda au Maghreb islamique), c’est par un communiqué repris par tous les médias internationaux BBCI, RFI, Voix d’Amérique… qu’il a revendiqué l’attaque (15/03/2016).
5Chiffre officiel fourni par les autorités ivoiriennes (RTI : Radiodiffusion télévision ivoirienne, Journal de 20 heures, le 13/03/16).
6www.jeuneafrique.com: « Attentats de Grand Bassam : Sept questions pour comprendre », consulté le 07/10/2016.
7www.hughe.fr : « Quelques textes pour comprendre le terrorisme », p.42, consulté le 15/10/2017.
8Déclaration du FPI relative à l’assaut militaire mené contre le domicile du couple Monnet à Adopté par les éléments des FACI, Déclaration de M. Jean Bonin Kouadio, porte-parole du FPI, in quotidien Notre Voie, le 06/12/17.
9CNDHCI et Fondation Konrad Adenauer : « Droits de l’homme, Terrorisme et Dynamique de paix en Côte D’Ivoire », Actes du Séminaire, 2-3 juin 2016 – Côte d’Ivoire.
10https://eburnienews.net/scandale-sexuel-a-la-rti-les-ebats-dune-celebre- animatrice-filmes-par-les-cameras-du-ccdo/ (Consulté 20/04/2014)
11Activités du Conseil de l’Europe ; « Action contre le terrorisme », wwwcoe.int/terrorisme, p.3, consulté le 12/10/17.