N°2 / Le Droit pénal face aux défis de la société africaine contemporaine

Infractions "mystiques" et droit pénal en Afrique

Georges Malkiel Nimonte, Docteur En Droit De L'université De Perpignan Via Domitia

Résumé

Sous le nom d’infraction « mystique », emprunté à l’anthropologie anglo-saxonne, ce sont les pratiques relevant de la sorcellerie -pour employer la terminologie courante- qui sont étudiées dans une première partie : après s’être interrogé sur l’ambiguïté du phénomène, après avoir tenté de le définir et en avoir constaté l’omniprésence malgré certaines pratiques antidotiques (fétichisme et divination), l’auteur en décrit des formes telles que les métamorphoses d’hommes-animaux ou l’anthropophagie. La seconde partie constate la difficulté d’appréhender ces phénomènes sous un angle juridique : l’incrimination de la sorcellerie remonte à la période antérieure à la colonisation, avant de se développer pendant la période coloniale puis dans le cadre du droit moderne. La répression se heurte à l’absence de définition.

Abstract: Known as “mystical” offense, borrowed from Anglo-Saxon anthropology, it is the practices relating to witchcraft - to use current terminology - which are studied in the first part: after having questioned the ambiguity of the phenomenon, after having attempted to define it and having noted its omnipresence despite certain antidotic practices (fetishism and divination), the author describes forms such as the metamorphoses of animal-humans or anthropophagy. The second part notes the difficulty of apprehending these phenomena from a legal angle: the criminalization of witchcraft dates back to the period before colonization, before developing during the colonial period and then within the framework of modern law. The repression runs up against the lack of definition

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Note sur le titre : L’adjectif « surnaturel » satisfait généralement pour qualifier ces pouvoirs et les phénomènes qu’ils provoquent, hormis quelques puristes qui objectent que ceux qui tiennent l’existence de la sorcellerie pour une réalité la considèrent comme partie intrinsèque de l’ordre naturel des choses. Certains sont sceptiques face à ces phénomènes et préfèrent user de l’expression « non empirique » sous prétexte qu’on ne peut ni contrôler ni tester ces prétendus pouvoirs. Cependant, l’écrivain anthropologue Evans-Pritchard, spécialiste de la sorcellerie en Afrique et dont les travaux font autorité, consacre le terme de « mystique » pour désigner l’ensemble de ces phénomènes (E. E. EVANS-PRITCHARD, 1972).

 

Note sur l’auteur : Cet article est extrait de la thèse de Georges Malkiel Nimonte sur Le droit pénal africain sous tension entre tradition et modernité dirigée par Christophe Juhel et soutenue le 25 janvier 2019 à l’Université de Perpignan Via Domitia.

 

En maintes régions du monde est répandue l’idée selon laquelle certaines personnes peuvent nuire à autrui par l’exercice de pouvoirs dont l’individu ordinaire ne dispose pas. Ces pouvoirs agiraient d’une manière si subtile que la cause réelle du mal ne serait identifiable qu’une fois les premiers symptômes du mal déclarés. Omniprésents dans les sociétés africaines traditionnelle et contemporaine, ces phénomènes ne se présentent que sous formes de nuisances à l’endroit des personnes et parfois de leurs biens. Ils sont constitutifs d’infractions mystiques. Les détenteurs de ces pouvoirs et auteurs d’infractions mystiques sont diversement présentés, suivant la nature des phénomènes qu’ils manifestent. Mais la dénomination la plus répandue est celle de sorcellerie. Les croyances en la sorcellerie semblent avoir un caractère universel, car, même si d’un pays et d’une région à l’autre les modalités changent, les ressemblances sont grandes (Erny, 1979, 234.) et la question ne manque donc pas d’intérêt si l’on sait que la sorcellerie persiste toujours en Afrique sans en être historiquement l’apanage exclusif1.

L’examen des infractions dans la société traditionnelle oblige à se pencher sur ces infractions qui, par opposition aux infractions ordinaires, se déroulent dans un champ éminemment immatériel. Cependant, il ne s’agit pas de refaire ici une nomenclature des atteintes aux personnes et aux biens, mais d’insister sur le caractère spécifique de ces infractions à l’aune de leurs manifestations, de la place qu’elles occupent dans la société et au regard du droit. La typologie des faits qualifiables d’infractions mystiques révèle qu’il s’agit de pratiques sociologiquement ancrées (I) quoique juridiquement appréhendables (II).

 

I. Des pratiques sociologiquement ancrées

Plus que tous autres, les anthropologues et les historiens s’intéressent aux faits dont la manifestation visible est attribuée à la détention de pouvoirs dont ne disposent que des individus spécifiques. L’origine de ces pouvoirs de même que le résultat de l’usage qui en est fait donnent lieu à un débat sur la dénomination à donner aux auteurs de ces pratiques si nombreuses et multiformes. De la magie à la sorcellerie, du charlatanisme au fétichisme, de la divination2 au médiumnisme3 sans oublier les sociétés occultes. Notion dominante, la sorcellerie requiert une attention particulière. Mais vu le foisonnement d’opinions sur le sujet et les interprétations auxquelles elles donnent lieu, il paraît important, avant toute interprétation juridique, d’en donner la conception qui semble correspondre la mieux au contexte de l’étude. Une telle démarche permet de faire la distinction des faits constitutifs de sorcellerie (A) des faits seulement assimilables au phénomène (B).

 

A. Le phénomène de la sorcellerie

La sorcellerie est un phénomène qui renvoie à des êtres particuliers : les sorciers. La pensée populaire leur attribue depuis des temps immémoriaux la réputation dans la plupart des sociétés africaines d’être des gens tristes et peu sociables. Lorsque l’on parle de sorcellerie en Afrique, on oublie généralement que son ambivalence, soulignée par presque tous les auteurs, est liée au caractère neutre du principe qui fonde la puissance et la connaissance non seulement du sorcier, mais aussi de tout homme. Ce principe, incarné dans un « organe de sorcellerie », prend différents noms selon les langues autochtones (Tonda, 2000, 54).

Si par le passé on pouvait supposer que le développement, l’urbanisation, la modernisation, la scolarisation, la christianisation ou l’islamisation feraient disparaître les croyances et les pratiques sorcières, la situation actuelle au sud du Sahara démontre l’inverse. Loin de s’estomper, « ces représentations sociales et culturelles se sont maintenues, transformées et réadaptées en fonction des réalités et des besoins contemporains » (Cimpric, 2010, 10). La survivance et les réadaptations de ce phénomène ancien révèlent l’ambigüité de son contenu (1) bien que certaines théories contemporaines tentent de lui attribuer une fonction sociale (2).

 

1. L’ambigüité du phénomène : tentative de définition

Le concept de sorcellerie4 peut désigner, dans d'autres cultures, des phénomènes proches de ceux que, dans une autre, il sert à regrouper ; mais il peut aussi recouvrir ou faire partie d'un champ sémantique ordonné autrement. En effet, lorsqu’on pose la question du contenu à donner au vocable sorcellerie, la multitude de cultures, d’espaces géographiques et de croyances laisse apparaître un doute sur la conception de celle-ci ; ce qui en fait une notion difficile à cerner (a). Néanmoins, ses manifestations physiques en font un phénomène identifié (b).

 

a. Une notion difficile à cerner

La notion de sorcellerie, bien qu’elle ait une sémiologie plurielle, peut être définie, dans une grande partie des pays africains, comme une capacité de nuire à une personne grâce au pouvoir mystique. Le vocabulaire français de « sorcellerie », ainsi que ses homologues anglais « witchcraft » et « sorcery », ont été introduits sur le continent africain par les premiers explorateurs, colonisateurs et missionnaires. La traduction des termes locaux désignant des réalités locales par l’appellation unique de « sorcellerie », fortement influencée par l’histoire européenne et par conséquent péjorative, est souvent inappropriée et peut être source de confusion. La sorcellerie regroupe une pluralité de mots qui désignent des phénomènes divers dans les langues vernaculaires5 et se prêtent à des interprétations fortement contextualisées. Cependant, cette terminologie ethnocentrique est aujourd’hui intégrée dans les langues vernaculaires des populations africaines qui l’utilisent dans le langage quotidien pour désigner essentiellement les « forces occultes ou mystiques »6. La doctrine éprouve des difficultés à s’entendre sur le contenu à donner à la notion au point où certains auteurs estiment que les mots sorcellerie, witchcraft et sorcery ne devraient plus être utilisés en tant que termes opératoires en anthropologie7 et proposent, faute d’un concept plus opérationnel, l’expression « force occulte » qui leur semble plus large et neutre. Adopter une telle position équivaudrait à mal rendre compte du phénomène. Il est vrai que l’expression proposée par Cyprien C. Fisiy et Peter Geschiere a l’avantage d’être plus large et plus neutre, mais elle ne règle pas au fond la difficulté que pose le contenu de la notion de sorcellerie. Elle tend au contraire à la noyer dans un ensemble plus vaste de pratiques car l’expression « force occulte » paraît vague et trop générale pour servir à désigner le phénomène spécifique de la sorcellerie.

C’est une difficulté fondamentale qui ne se limite pas uniquement à l’étude de la sorcellerie mais s’étend le plus souvent à l’ensemble des études menées par les occidentaux sur les problématiques intrinsèquement liées à l’Afrique8. Il est donc préférable de chercher à circonscrire la notion et de l’éloigner de son ambigüité originelle afin d’évoluer vers une notion plus concise, dans un système où la tradition et le développement se heurtent et dans lequel la sorcellerie ne constitue plus l’apanage de l’anthropologie. C’est pourquoi une définition permettant de prendre en compte les pratiques possibles dans le phénomène de sorcellerie et dont l’appellation varie en fonction des régions, des cultures et des ethnies paraît objective. Elle permet en effet de regrouper en son sein un ensemble de pratiques similaires dont seule la dénomination diffère.

Mode traditionnel de l’explication du mal, pratique reconnue et présente au sein des sociétés traditionnelles, la sorcellerie, pour reprendre la définition de l’anthropologue français Marc Augé, « est un ensemble de croyances structurées et partagées par une population donnée touchant à l’origine du malheur, de la maladie ou de la mort, et l’ensemble des pratiques de détection, de thérapie et de sanction qui correspondent à ces croyances » (Augé, 1974, 53). Cette définition qui ne convient que partiellement à notre propos confond les aspects négatifs et thérapeutiques du phénomène. Pourtant la culture occidentale les distingue très bien si l’on remonte à l’origine du phénomène. En effet, il y a d’abord une discrimination à opérer entre les notions de magie et de sorcellerie. La magie est l’art de commander aux forces du mal. La sorcellerie celui d’essayer de commander les mêmes forces. Le magicien est un initié aux grands mystères ; le sorcier ne connaît que les petits mystères. Le magicien est un maître, le sorcier un apprenti. Le magicien est en quelque sorte un homme de science et le sorcier est un marginal social. Le magicien ne risque que son âme car il est le protégé des grands à la cour desquels il vit et qui le consultent. Le sorcier risque son âme et sa vie, car il n’est qu’un paysan sur lequel viennent s’accumuler les haines et les jalousies de « ses frères de misère » (Palou, 1957, 6). Cette discrimination permet l’aspect thérapeutique de la sorcellerie par le mot « magie » et maintient tout ce qu’il y a de mauvais dans celui de sorcellerie.

A l’évidence, depuis toujours, les sorciers sont l’incarnation du vice et du mal. Puisque le contenu de la sorcellerie peut être interprété comme « une métonymie de configurations complexes et entremêlées de divers domaines notamment philosophique, culturel et social » (Bond et Ciekawy (éd.), 2001, cité par Cimpric, 2010, p. 59), l’on peut établir que la sorcellerie imputée à un être communément appelé sorcier ou sorcière selon le sexe, renferme en Afrique noire francophone l’idée de nuisance. Les sorcières sont des mangeuses d’âmes9 et de corps, animées d’une volonté de nuire à autrui en commençant par leurs proches puis étendent le cercle de leurs victimes au-delà de la parenté (Martinelli et Bouju, 2012, 37). Au Bénin, on leur attribue depuis des temps lointains le pouvoir de transformer leurs victimes en animaux pour les dévorer ou les vendre. On leur attribue également le pouvoir de métamorphose tant virtuelle que réelle10.

Au-delà de toutes ces considérations, la sorcellerie revêt un ensemble d’attributs, de pouvoirs agressifs invisibles et de vampirisme occulte dont les résultats sont assimilables à des infractions, qu’ils sont les mêmes que ceux d’une infraction ordinaire. Une tentative de définition de la sorcellerie ne suffit pas à en saisir le fond. Il faut pour cela tenter d’apporter un éclairage sur les individus qui en portent l’imputation et leur place au sein de la société.

 

b. Une notion nettement identifiée

Dans la mesure où la sorcellerie apparaît comme un phénomène ambigu et insaisissable, c’est à travers les personnes par lesquelles elle se manifeste qu’on pourrait l’identifier. Il faut cependant nuancer le propos car dans la terminologie anglaise du terme, une distinction s’opère entre « witchcraft » et « sorcery ». Cette distinction a été proposée dans les années 1930 par l’anthropologue britannique Edward E. Evans‐Pritchard11 qui travaillait chez les Zandé dans le Soudan anglo‐égyptien12. Selon lui, les Zandé distinguent clairement « witchcraft » de « sorcery ». Witchcraft désigne pour eux une substance, héritée et innée, se situant dans l’abdomen des personnes appelées witches ; cette substance opérant parfois indépendamment de la propre volonté du witch, la sorcellerie peut être dans ce cas précis un acte inconscient. Le witch agit la nuit de façon invisible en se transformant, se métamorphosant ou en se dédoublant pour quitter son « enveloppe » corporelle, afin de nuire à une personne en dévorant sa substance vitale. En revanche, le sorcerer est un personnage qui est socialement reconnu comme tel, agissant le jour et capable de nuire à d’autres en utilisant des substances végétales et en maîtrisant des rites reconnus comme nocifs. Son acte est toujours conscient. Si le savoir‐faire d’un sorcerer n’est pas inné et peut être accompli par n’importe qui, il peut néanmoins être transmis d’une génération à l’autre (Cimpric, 2010, 12). De cette distinction découle celle faite entre la sorcellerie volontaire et la sorcellerie involontaire. On rencontre souvent en Afrique noire le cas suivant : une personne est accusée par un voyant ou détecteur de sorciers d'être à l'origine d'une malchance, d'un échec, d'un accident ou d'une maladie ; elle nie avoir agi consciemment, mais ne récuse pas l'accusation de manière formelle, puisque tout le monde sait que l'on peut être sorcier malgré soi. Elle réclame alors les épreuves prévues à cet effet13 qui vont peut-être lui révéler à elle-même autant qu'aux autres son pouvoir maléfique. Il est manifeste que le comportement du sorcier n’est pas toujours volontaire. Les récits et les témoignages de sorciers en rapportent la preuve car la sorcellerie peut résulter d’une hérédité.

Certains auteurs distinguent la grande sorcellerie et la petite sorcellerie. Dans son étude, Jean-Claude Muller associe les afflictions mineures privées telles que les maladies banales et bénignes14, l'échec d'une entreprise, la mort d'un animal domestique tels un chien, une chèvre ou un poulet, à la petite sorcellerie. D’autres préfèrent parler de sorcellerie ordinaire par référence à la faible intensité de l’action et la banalisation de l’accusé. Marthe Kuntz l’assimile au charlatanisme (Kuntz, 1932, 136). La grande sorcellerie en revanche recouvre des actes plus graves allant jusqu’au meurtre. Il s’agit du rapt de l’âme15, de la métamorphose, de l’empoisonnement16 et de l’utilisation de fétiches17 qui constituent par ailleurs les actes caractéristiques qui permettent d’identifier le sorcier.

En devenant sorcier ou plutôt en donnant libre cours aux forces mauvaises qui sont en lui, un homme se coupe de la communauté à laquelle il appartient : il se met au ban de la société. Celle-ci ne le reconnaît plus comme l’un des siens. Il est devenu vil, méprisable, comparable à une bête malfaisante. Comme il ne respire que haine, violence, désir de nuire, comme il est destructeur de la santé et de la vie, quoi de plus naturel que de l’assimiler à ces fléaux terribles que sont les animaux dévastateurs qui sèment la famine, la terreur et la mort ? Ce rapprochement, cette identification sont tout à fait compréhensibles dans une société traditionnelle essentiellement agraire (Hebga, 1998, 177).

Tout comme le contenu de la notion, la réaction sociale aux actes de sorcellerie est ambiguë car d’une part, la société se sent agressée par cette mauvaise force que représente le sorcier, et d’autre part elle trouve dans la sorcellerie un remède pour apaiser ses maux. En effet, dans la société traditionnelle la mort naturelle n’existe pas et tout est relié au surnaturel. De surcroît, il est dans la nature humaine que tout ce qui est inexpliqué ou reste inexplicable plonge l’individu dans un profond malaise et dans une grande frustration.

A l’analyse, l’on se rend compte que, si la sorcellerie est une infraction mystique du fait des pouvoirs extraordinaires du sorcier, il faut distinguer les faits qui, de par leur anormalité, sont subjectivement imputés à la sorcellerie, de ceux qui objectivement relèvent de la sorcellerie, afin de déterminer si la sorcellerie bien que foncièrement péjorative, ne possède pas quelque vertu.

 

2. Les bienfaits controversés de la sorcellerie

La discussion sur les croyances actuelles en la sorcellerie a donné lieu à différentes théories. Certaines cherchent à expliquer pourquoi ces croyances sont si tenaces et répandues. Quelques-unes, considérant à la fois la croyance en la sorcellerie et sa dénonciation, se demandent quelle en sont les « fonctions »18, c’est-à-dire le rôle que l’une et l’autre jouent réellement au sein des sociétés où on les découvre. Il s’agit de la théorie fonctionnaliste dont les tenants cherchent à démontrer que la sorcellerie répond à une nécessité de vie sociale (Mair, 1969, 201). Cependant, même si elle peut apporter une contribution sociologiquement souhaitable (a) la sorcellerie comporte beaucoup plus d’inconvénients (b) pour la société.

 

a. Les théories fonctionnelles des pratiques mystiques

Il est paradoxal de chercher à attribuer une fonction bienfaisante à la sorcellerie vu son caractère éminemment négatif. Cela reviendrait à tenter de démontrer que le mal peut être un bien. Voilà pourquoi cette tentative n’a qu’une portée relative et ne tire sa source que du fonctionnement de la société traditionnelle. En effet, tout au long de l’histoire, les humains ont cherché les moyens de contenir leur tendance à l’agressivité et au désir de nuire à autrui de même qu’à se libérer de leurs angoisses et de leur frustration face à ce qui dépasse leur entendement. Plusieurs subterfuges sont trouvés parmi lesquels la sorcellerie. Dès le néolithique sont décelées des traces de la sorcellerie (Rosny, 2006, 26) qui fut un des moyens de refréner cette tendance à côté de la Bible. A l’origine, le système de sorcellerie semble a priori positif. Comme l’affirmeront plusieurs anthropologues, la sorcellerie apaise la société et constitue l’exutoire parfait de toute négation, de tout méfait et de tout malheur qui survient au sein de la communauté. Elle joue un rôle cathartique pour la communauté.

Ce subterfuge se distingue des autres parce qu’il permet à un groupe de personnes de continuer à vivre en tempérant, en détournant l’agressivité qu’elles portent en leur sein, sans attaque frontale, en faisant passer au niveau mystique le désir de nuire physiquement à autrui. Cela permet d'assouvir son désir de vengeance sans passer aux actes de violence visibles. C’est du moins le constat fait par certains auteurs. Ainsi, Charles-Henri Pradelles de Latour, chercheur dans les montagnes de l'Ouest du Cameroun écrit : « les affaires de sorcellerie résolvent les conflits en faisant l'économie des coups et blessures. Les attaques à main armée ayant eu lieu, à Bangoua, en une décennie, se comptent à peine sur les doigts de la main. Cette absence de violence physique s'explique par le fait que les sorcelleries déplacent l’enjeu des différends occasionnés par la vie quotidienne sur une autre scène appelée « affaires de la nuit » ou « monde de derrière ». Ce faisant, elles désamorcent le jeu de la réciprocité et les relations en miroir où l’agressivité s’exaspère (Latour, 1991, 81, cité par Rosny, 2006, 28). En région de savane19 le même constat s’opère par un autre chercheur qui constate que le but poursuivi dans la lutte contre la sorcellerie n’est pas sa suppression totale. On s’efforce de contenir cette force mauvaise dans les limites raisonnables : on ne cherche pas à l’anéantir. Pour accepter cette manière de voir, il faut comprendre qu’aucune protection ne sera jamais assez efficace. Il y aura toujours des maladies mystérieuses ou incurables. On ne peut supprimer le mal. La croyance en la sorcellerie découle d'une attitude « réaliste » envers les problèmes relevant du mal dans le monde (Rosny, 2006, 28).

Dans l’analyse fonctionnelle du système sorcellaire, il est remarquable que le droit n’offre aucune analyse. Le seul rapport que l’on peut établir avec le droit à ce niveau réside au fond en une interrogation. S’il est vrai que le déplacement de la sphère de conflit épargne les attaques et les affrontements physiques, nous nous interrogeons néanmoins sur la légitimité et la légalité d’un tel transfert qui laisse en réalité la porte ouverte à des règlements de compte alors que nul n’est censé se rendre justice. Cela favoriserait l’accomplissement des actes qui n’ont pour seule motivation que la jalousie. Se pose alors un problème de contrôle de ces actes qui se déroulent dans le monde mystique.

Ceci étant, les psychologues se sont plus intéressés à la question car à la base, le système sorcellaire constitue un substitut à l’agressivité, l’angoisse et la frustration. Par voie de conséquence, les personnes qui ont envie de se battre avec leurs parents ou avec leurs enfants et qui en sont empêchées par les règles de la vie sociale, déchargent leur animosité et leur agressivité sur une personne qu’il faut à la fois craindre et haïr, à savoir le sorcier. Partant du postulat selon lequel tout le monde subit des pressions et des tensions, Marwick tout en constatant que les tensions sont des problèmes où le conflit est manifeste, propose trois moyens de les apaiser. Tout d’abord les procédés judiciaires, ensuite le genre de grossièretés admises entre personnes ayant des relations spécifiques c'est-à-dire des familiarités et enfin les accusations de sorcellerie (Mair, 1969, 202). Il observe que les accusations de sorcellerie sont la résultante des cas qui ne sont justiciables ni par les procédés de justice, ni par les grossièretés.

Evan-Pritchard en donne la raison quand il met en évidence un trait fondamental de la sorcellerie : son lien au malheur inexpliqué. Il démontre que la sorcellerie représente pour les Zandé une philosophie naturelle par laquelle les relations entre les hommes et les événements malheureux sont inexpliqués (Clément, 2013, 6). La théorie fonctionnaliste qu’il construit nous oriente de nouveau car elle comporte de nombreux éléments. Dans la perspective fonctionnaliste, les accusations de sorcellerie sont un moyen particulièrement efficace d’exprimer et de révéler des tensions sociales qui ne pourraient s’exprimer autrement. Le sorcier peut ainsi être conçu comme un « outsider ». Dans ce cas, sa fonction serait de renforcer les liens de solidarité qui unissent les membres du groupe. Mais les accusations de sorcellerie peuvent également porter sur les membres du groupe. Les fonctions de ce type d’imputation peuvent être multiples : redéfinition des factions en présence, contrôle des déviants, séparation d’une communauté en de plus petites entités, redéfinition de la hiérarchie. Considérée sous cet angle, la sorcellerie présente des éléments qui la consacrent comme une instance de contrôle social. Lorsqu’une communauté est soumise à des pressions, aussi bien internes qu’externes, susceptibles de menacer sa cohésion, le dispositif de la sorcellerie constitue un moyen de résoudre ou de déplacer les conflits sur une entité extérieure au groupe (Clément, 2013, 6).

Les théories fonctionnalistes sur la sorcellerie sont pour la plupart d’ordre psychologique ou sociologique. En premier lieu, les accusations de sorcellerie expriment des pulsions et des tensions refoulées. L’agressivité trop longtemps contenue se polarise sur le sorcier, bouc émissaire dont la neutralisation ramène la paix. Deuxièmement, la sorcellerie explique le mal et en atténue les effets. Ce qui était une fatalité devient explicable, et on peut souvent y porter remède en éliminant le sorcier ou en recourant au pouvoir du magicien anti-sorcier. Troisièmement, la croyance en la sorcellerie permet une régulation homogénéisante de la société. Ceux qui ont plus de richesses, de succès, d’enfants, de savoir ou de pouvoir que les autres sont soupçonnés, sinon accusés de sorcellerie. La société traditionnelle exige l’égalité de ses membres. Les privilèges sont donc consentis par le groupe et on doit en faire profiter l’ensemble. Enfin, la sorcellerie assure la reproduction et le maintien du groupe. Les accusations de sorcellerie jouent un rôle important dans la segmentation des lignages et la création de nouveaux villages. Par exemple, le chef B d’un lignage, voulant s’éloigner avec ses partisans, accuse le chef A de sorcellerie et l’action anti-sorcier sanctionne la rupture entre les deux lignages, permettant ainsi au nouveau groupe, aussi bien qu’à l’ancien, d’adapter leur comportement à ce qui est bien et naturel (Metogo, 1997, 62).

La sorcellerie est un discours qui se renouvelle constamment tout en s’adaptant à des situations nouvelles. Evans‐Pritchard le souligne ainsi : « new situations demands new magics »20. Par ailleurs, si à une époque les effets de la sorcellerie pouvaient être positifs ou négatifs, on observe à l’heure actuelle qu’elle acquiert parmi les populations africaines une connotation essentiellement négative (Cimpric, 2010, 10).

 

b. La critique des théories fonctionnelles

Si la sorcellerie en tant que système déplace les conflits dans le monde mystique21 ; les psychologues et les anthropologues en ont une approche fonctionnelle. Cependant, il est flagrant que seuls les aspects négatifs de la sorcellerie sont analysés comme ayant une fonction dans la société. Dans les faits, la sorcellerie en elle-même, en dehors des infractions auxquelles elle donne lieu et que nous avons précédemment évoqué, impacte négativement la société.

Marc Augé critique ces théories fonctionnalistes de la sorcellerie élaborées principalement par les auteurs anglo-saxons (Augé, 1974, 53). Sans être fausses, elles risquent de redoubler purement et simplement le discours des savants locaux, de reproduire ce qu’elles doivent précisément expliquer. Le discours local peut induire en erreur quand, par exemple, on affirme que la sorcellerie vise à éliminer les surplus de richesse et de pouvoir dans la société traditionnelle22. Marc Augé préconise que le phénomène de la sorcellerie soit envisagé non seulement comme théorie, mais aussi comme pratique si on veut rendre compte de manière plus satisfaisante de sa réalité sociologique (Metogo, 1997, 63). Cette critique vient à point car les théories fonctionnelles ne font que théoriser le phénomène de la sorcellerie, le présentant comme une image et une représentation de la société, ce qui amène parfois à être dubitatif par rapport à la sorcellerie et à se demander si elle existe vraiment. En effet, ce n’est pas parce qu’on ignore une chose qu’elle n’existe pas. Il faut donc être prudent et circonspect, se garder d’une crédulité naïve mais en même temps admettre à titre d’hypothèse les explications rendant compte de phénomènes qui nous dépassent.

Dans la société traditionnelle, la croyance en la sorcellerie comme théorie et pratique ne pose pas grande difficulté car sur la base de critères subjectifs23 un bouc émissaire est assez vite dégagé pour le rétablissement de l’ordre au sein de la société. Dans le contexte contemporain qui est celui de la vie économique et de la production, la survivance de la sorcellerie de même que l’imbrication de la société traditionnelle et de la vie moderne rendent beaucoup plus pratique et plus réelle l’étude de la sorcellerie. En effet, on retrouve au sein de la société contemporaine les mêmes craintes et interprétations de la sorcellerie que dans la société traditionnelle. En effet, lorsqu'ils échouent à un examen ou à un concours de manière répétitive, lorsqu'ils sont licenciés ou qu'ils ne trouvent pas de travail, lorsque les activités entreprises prospèrent difficilement, lorsqu'ils n'arrivent pas à procréer, ils imaginent que c'est l'œuvre d'un oncle, d'une tante, d'un père ou d'une mère, d'un voisin ou d'un ami qui pratique des rites de sorcellerie et qui leur bloque le chemin chaque fois qu'ils cherchent à construire leur vie. Il faut noter ici que la prégnance de ces schèmes socioculturels est si forte que même les générations formées à la rationalité occidentale les utilisent pour interpréter leur trajectoire sociale (Mengue, 2005, 137). Les témoignages suivants tirés de diverses enquêtes donnent une idée de la pesanteur toujours paralysante de la sorcellerie24.

Pour Benoît, un lycéen camerounais de seize ans, la sorcellerie, c'est la vente des hommes. Il explique : « la sorcellerie est une sorte de tontine. Quand tu prends, tu dois aussi donner. Moi-même j'ai été victime, mon frère a voulu me vendre pour s'enrichir, il n'a pas réussi. Ce que j'ai vécu, même si je ne peux le démontrer, me pousse à dire que la sorcellerie existe » (Mengue, 2005, 137).

Joëlle qui est de la même nationalité, coiffeuse et âgée de 26 ans affirme que : « la sorcellerie existe même si on ne sait pas trop comment elle se pratique. On voit comment les jeunes meurent bizarrement. Ma sœur est morte après trois jours de maladie, je sais qu'elle a été tuée par quelqu'un de la famille, parce qu'elle était une femme solide, vaillante, elle se battait. Elle voulait construire une maison, elle avait déjà acheté le matériel, tout était prêt et elle est morte. Le village, c'est le monde des sorciers, ça ne vaut pas la peine d'aller là-bas. Mes activités ne marchent pas bien et j'ai peur de vivre la même chose que ma sœur » (Mengue, 2005, 137).

Telle est l’opinion d’une jeunesse sur qui pèse la hantise de la sorcellerie. Son pouvoir va plus loin et est présent dans les hautes sphères de l’administration politique, administrative et judiciaire de presque tous les pays africains. Comme l’affirmait Florence Bernault et Joseph Tonda : « rumeurs de meurtres diaboliques, politiciens accusés d’utiliser les associations secrètes et « médicaments » pour assurer leur succès, psychoses urbaines, d’enlèvements d’enfants ou de jeunes femmes victimes de démembrement rituels, conflits domestiques et de voisinage recourant aux accusations de sorcellerie : il n’est pas de conversation, d’émission de radio ou de presse populaire en Afrique qui ne se fasse aujourd’hui l’écho de peurs et de convoitises liées à la magie, la sorcellerie et la violence quotidienne des forces occultes » (Bernault et Tonda, 2000, 5 ; Henry et Kadya Tall, 2008). Il ne fait en effet aucun doute que les hommes politiques africains font appel à des sorciers et des marabouts25 pour se hisser au pouvoir ou pour s’y maintenir. Des cas récents tels que celui du marabout de Kérékou au Bénin et du marabout Bonkano au Niger en sont des illustrations (Buijtenhuij, 1995, 134).

Partagées entre l’affirmation de soi et la confirmation de la détention d’un savoir et d’une connaissance ancestrale et historique, ces pratiques traditionnelles perdurent en dépit de l’évolution technique, technologique et géopolitique, sans qu’il soit fait d’effort de clarification dans les faits et dans l’usage. Le malaise est profond et l’ambivalence de la notion de sorcellerie causent l’amalgame tant dans la théorie que dans la pratique et dans son poids au quotidien. C’est en termes de violence de l’imaginaire (Tonda, 2008, 325) sur la réalité que se traduit le plus grave impact de la sorcellerie car en dépit de l’état des technologies, tout est d’abord relié au surnaturel.

Encore présente de nos jours dans la société moderne ou traditionnelle, la sorcellerie coexiste avec des phénomènes qui innocemment ou par ignorance sont qualifiés de sorcellerie par emprunt.

 

B. L’omniprésence de phénomènes assimilables à la sorcellerie

Il existe un grand nombre de pratiques réelles ou supposées, intimement liées à la sorcellerie et dont la compréhension ne se fait que par référence à elle. Certaines de ces pratiques comportent les mêmes éléments que ceux rencontrés dans la sorcellerie avec pour finalité d’être l’antidote de la sorcellerie. Il s’agit notamment des activités exercées par le féticheur, le devin, le médium, ou encore, pour emprunter à l’appellation locale, le bokônon26. D’autres pratiques, sans recourir directement aux éléments de la sorcellerie, produisent des méfaits dont le caractère sadique, barbare et ésotérique laisse croire à un acte de sorcellerie alors qu’un examen attentif les en éloigne. Contrairement à Maryse Raynal qui les rattache à la sorcellerie, il est préférable d’établir une nuance qui permettra à long terme au droit pénal de mieux saisir ces phénomènes afin d’y apporter une réponse. Toutefois, de tous ces phénomènes assimilables à la sorcellerie, ne seront évoquées d’une part, que les pratiques antidotiques à la sorcellerie (1) et, d’autre part, que les pratiques ésotériques de sociétés secrètes d’hommes-animaux (2).

 

1. Les pratiques antidotiques à la sorcellerie

L’une des caractéristiques de la sorcellerie est qu’au fond, il est difficile de la distinguer de la magie, l’une et l’autre étant ambivalentes. Ce sont les mêmes forces qui peuvent être usitées pour faire le bien et pour faire le mal même si la faculté de maîtriser la face nocturne du monde (HENRY, 2008, 102) n’est pas donnée à tout un chacun. Ainsi, dans la mesure où l’on a recours aux mêmes forces, l’expression sorcellerie est utilisée indifféremment du résultat de l’action. Cela crée une confusion qu’il s’avère aujourd’hui nécessaire de dissiper en distinguant en fonction du résultat de l’action le qualificatif à attribuer et qui soit autre que celui de sorcellerie puisque l’on s’accorde pour affirmer que la notion implique une intention nuisible. Cette clarification ne se fait que sur la base des pratiques déjà existantes et qu’il importe de traiter en abordant successivement le fétichisme (a) et la divination (b).

 

a. Le fétichisme

La confusion tient en grande partie à la tendance qu’ont eue les missionnaires à rejeter toutes les pratiques endogènes d’alors, associant tout ce qui était païen à leurs yeux au démon. Une telle situation s’explique par le zèle que ces missionnaires ont toujours déployé pour amener les populations africaines à une autre philosophie (Van Nieuwaal, 1989, 445). C’est le lieu d’insister sur le fait qu’il s’agit d’une vision étriquée qui malheureusement s’est étendue à la recherche scientifique27. Il est admis par tous les auteurs que le sorcier agit toujours en mal et notre propos précédent tend à le prouver en relevant les infractions auxquelles peuvent aboutir les agissements du sorcier.

A partir du moment où le sorcier entre en action par le moyen de ses forces occultes, les répercussions ne se font pas attendre sur la personne attaquée. L’une des explications de la sorcellerie comme exutoire de tous les maux au sein de la société traditionnelle, même les plus normaux pour une société moderne et industrialisée, se trouve ainsi justifiée. Mais les conséquences de la sorcellerie sur les individus, qu’ils appartiennent à la société traditionnelle ou moderne, ne changent pas, tout comme l’action d’un virus ou d’une maladie reste indifférente aux critères de race, de nationalité et de langue. Pour rappel, le sorcier est capable de causer la mort, des envoûtements, des empoisonnements et bien d’autres méfaits. Face à ces éléments, à défaut d’identifier le sorcier et lorsque ce dernier ne soigne pas la victime lui-même28, la société a recours au féticheur dans le but de trouver un antidote à la sorcellerie. Généralement consulté, le féticheur est un spécialiste qui utilise des fétiches. D'après l'étymologie portugaise de ce mot, « un fétiche est un objet fait de main d'homme, ou encore un objet enchanté, qui concentre en lui un pouvoir particulier et que l'on utilise accompagné de paroles spécifiques et d'incantations »29. Albert de Surgy, tout en confirmant l'origine portugaise30 du mot, établit un parallèle qui précise la notion de fétiche et permet une meilleure compréhension de notre propos à propos du féticheur. Il affirme « qu'il n'y a aucune raison d'appeler fétiches des objets pouvant aussi bien, ou encore mieux, recevoir un autre nom : autel, symbole, idole, icône, instrument rituel, relique, amulette ou potion magique. Mieux vaut n'appeler ainsi que ceux pour lesquels aucun de ces termes ne paraît satisfaisant et que l’on a donc les plus grandes difficultés à appréhender à l'aide de nos concepts habituels. Or il en va ainsi, sur le littoral du Golfe de Guinée, notamment au Sud du Togo, pour un grand nombre d'objets rituellement fabriqués, consacrés, puis entretenus selon des règles précises, dont quiconque peut par achat se procurer une réplique. Ils sont destinés, non pas à honorer Dieu et à s'effacer devant lui, mais à capter et à maîtriser au profit des hommes des forces subtiles ou surnaturelles »31.

L'amalgame a longtemps été fait entre la sorcellerie et le fétiche d'où la confusion entre le sorcier et le féticheur. Il faudrait donc lever l'équivoque car ils n'ont pas les mêmes finalités quand bien même ils ont recours aux forces occultes. L'un est l'antidote de l'autre et n'est sollicité que lorsque le méfait du sorcier s'accomplit. Il n'est donc pas surprenant que le féticheur se voit confier de nombreuses tâches telles que la détection du sorcier, puis la composition et la proposition du remède. Le féticheur intervient donc pour déceler et agir contre la sorcellerie et contre les infractions qu'elle engendre.

La question de l'origine des pouvoirs du féticheur est éclairée par le témoignage d’un féticheur : « j’ai appris ces choses-là de moi-même, de mon propre esprit. Si Dieu vous donne quelque chose, il vous l’a donné… Un maître peut donner certains secrets à ses élèves, mais pas tous32. En ce moment j’ai deux élèves. S’ils travaillent bien, je leur donnerai trois secrets avec lesquels ils pourront travailler toute leur vie. C’est le devoir du maître de les laisser partir avec ces secrets-là. Mais s’ils ne fichent rien, je ne leur donnerai rien. Lorsque je les aurai laissés partir, ils pourront éventuellement revenir me voir pour apprendre telle ou telle nouveauté…

« Mon père était guérisseur. Son père, lui aussi, faisait ce travail, ainsi que le père de sa mère. Quand on naît dans ce milieu, on apprend petit à petit. Les adultes ne vous disent rien, ils ne vous montrent pas le chemin, à vous de voir comment ils font ces choses-là. Même à mes propres enfants, je ne leur apprendrai rien, à eux de voir comment je travaille ; le jour où ils vont s’y intéresser, ils vont comprendre. On ne sait bien que ce que l’on a appris dans l’enfance : vous, vous êtes des blancs, vous écrivez. Si on envoie à l’école un enfant blanc et un enfant noir, le blanc réussira mieux que l’enfant noir, parce que, l’écriture, il la tient de ses parents » (Bastien, 1998, 34).

Le caractère héréditaire de la connaissance en ce domaine de même que sa provenance divine confirment le caractère surnaturel de l’activité qui, pour un observateur athée et cartésien n’y verra que l’effet des plantes ou des potions utilisées. Ce témoignage laisse transparaître in fine le caractère oral et secret33 de la transmission des connaissances.

Consultés sur beaucoup de questions et souvent assimilés à tort à des sorciers, les féticheurs ne sont pas les seuls à œuvrer dans la détection des sorciers.

 

b. La divination

Lorsqu’il s'agit de voir clair dans une situation mystérieuse ou à venir, ni le sorcier ni le féticheur ne sont compétents. Entrent en jeu le devin, le voyant, le médium ou encore l’oracle, chacun d’eux utilisant des techniques qui leur sont propres pour tenter de parvenir au même résultat.

Vertu salvatrice pour la société traditionnelle, la divination pratiquée par le devin supprime tout doute et tout facteur de désordre (Raynal, 1994, 138). Elle donne lieu à de nombreuses pratiques et catégorisations qu’il faut clarifier. Ces pratiques trouvent facilement refuge à tort sous le vocable de religion endogène. Or, la répression pénale de ces pratiques nécessite qu’elles soient dissociées de la religion.

Au Bénin, l’art de la divination est très connu dans toutes les régions du pays, mais sa pratique dépend des cultures et des ethnies. La pratique la plus étudiée par les anthropologues est celle du Fa34. Il est consulté pour plusieurs raisons. La plus caractéristique réside dans la peur et la frustration que l’homme éprouve de l’inconnu. Il est en conséquence toujours porté à s’interroger sur ce que l’avenir lui réserve. Le devin est pour lui un moyen de trouver quelque réponse à ses craintes et d’estomper ses doutes. Le devin intervient donc pour rechercher la cause du mal et détecter si l’origine de tel ou tel événement est le fait d’un sorcier ou non.

Plusieurs techniques sont utilisées pour procéder à la divination (Kuntz, 1932, t. 2, fasc. 2, 133 ; Hounwanou, 1984, 165). Les enseignements, les interprétations et les formulations dispensées sont quelquefois opposés, contradictoires et parfois complémentaires mais ont toujours un fond commun : la liturgie, les rituels et le cérémonial (Hounwanou, 1984, 165).

A la suite de son étude sur la place du devin chez les Zandés, Evans-Pritchard constate qu’aux yeux des Zandés, le devin n’est pas le seul dépisteur de sorciers, ni le plus digne de confiance. Après l’avoir consulté, on vérifie ses réponses en consultant un oracle qui, lui, opère immédiatement. En effet, le devin est un spécialiste sollicité occasionnellement et qui a pour tâche de découvrir les agissements des sorciers dans le voisinage et de les protéger contre eux (Evans-Pritchard, 1972, 253). Etant donné que le féticheur peut faire œuvre de devin également en recourant aux mêmes techniques qu’un devin et que les conclusions du devin peuvent être mises en doute, il se pose le problème de la crédibilité et de la bonne foi de ce dernier car le féticheur et le devin jouent un rôle primordial dans les procédures impliquant la sorcellerie.

Une telle situation est liée au fait que le devin est un membre de la communauté et le caractère souvent public des divinations le met en danger dans la mesure où il n’est pas à l’abri des attaques du sorcier. Il pourrait donc être obligé de modifier son verdict s’il se rend compte que le coupable est plus puissant que lui ou encore s’il est l’objet de menaces physiques comme le montre le cas narré par Evans-Pritchard où, lors d’une séance de divination, la personne accusée, loin de s’émouvoir, se leva et menaça le devin d’un couteau ; ce que voyant le devin se remit à danser avant de donner une réponse différente. Plus tard dans l’intimité, le devin affirma que l’attitude de l’homme était une preuve de culpabilité.

Dans un tel contexte, plusieurs autres pratiques liées à la consultation et à la communication avec les esprits sont sollicitées afin de certifier l’exactitude de la réponse du devin. Il s’agit du médium ou de l’oracle qui semble le mieux indiqué. Cependant il faut noter que dans les faits, aucun de ces mots n’est employé et toutes ces pratiques relèvent d’un langage et d’une symbolique dont seules les personnes concernées par l’affaire ont la compréhension.

 

B. Les pratiques ésotériques des sociétés secrètes d’hommes-animaux

Dans certaines régions, la sorcellerie est liée au pouvoir politique. De ce fait, certains empoisonnements criminels et certains meurtres perpétrés par des sociétés secrètes dans des systèmes politiques où il n’y a pas de prison sont mis au compte de la sorcellerie. Ces sociétés secrètes s’organisent en différents groupes que sont par exemple les « hommes-animaux » d’une part (1) les anthropophages d’autre part (2).

 

1. Les métamorphoses d’hommes-animaux

D’origine très mal connue, les sociétés secrètes d’hommes-animaux sont très diverses en Afrique centrale, région où elles sont le plus connues (Raynal, 1994, 150 ; Robert, 1976). L’on pourrait les confondre avec le phénomène de métamorphose rencontré dans toutes les régions où il y a sorcellerie.

Mais on peut dresser la liste de confréries d’hommes-animaux suivants : les hommes-lions, les hommes-panthères, les hommes-léopard, les hommes-caïmans. Le principe de leur mode de fonctionnement a priori est simple. Il s’agit d’humains qui, au prix d’un rite d’initiation et de formation, sont appelés à exécuter des forfaits mimant l’animal dont ils sont l’incarnation. C’est en effet après les rites de passage de l’adolescence à l’âge adulte que la sélection des membres de la confrérie se fait. Pendant la période de formation, les nouvelles recrues doivent obligatoirement passer certaines épreuves. Le postulant doit subir de terribles épreuves en vue d’éprouver son courage, ses qualités, sa discrétion et pour s’assurer de sa fidélité jusqu’à la mort. Le néophyte doit commettre l’assassinat d’un proche parent (Joset, 1955, 177). Il doit ensuite s’atteler à perfectionner sa méthode au point de parvenir à imiter les mouvements de l’animal dans ses déplacements, dans son mode opératoire d’attaque. Ainsi, lorsqu’il accomplira ses forfaits, l’animal dont il est censé être l’incarnation sera soupçonné et le lien sera très vite fait avec le sorcier. Le choix du symbole de léopard, de lion ou encore de caïman, justifié par la lycanthropie ou l’apprivoisement par certains auteurs (Hutton, 1920, 41-51 ; Anderson, 1938, 374-379), fait ressurgir la question des métamorphoses. Mais elle est vite réglée dans le cas des sociétés secrètes car cette thèse est réfutée par Paul-Ernest Joset selon qui « les fauves existent quasiment partout en Afrique et ils sont généralement mangeurs d’hommes. Il était dès lors facile d’attribuer la mort d’un individu à l’un quelconque des fauves suivant la région » (Joset, 1955, 178). Or, les infractions que perpètrent les confréries d’hommes-animaux sont variées. Leurs membres s’adonnent principalement au vol ou au rapt suivi du meurtre de la personne enlevée. Plus rarement, ils tuent des personnes isolées sans qu’il y ait rapt auparavant : une femme va chercher de l’eau au ruisseau, se fait attaquer par un homme-lion35. Ne la voyant pas revenir les gens du village vont à sa recherche et la trouvent, la gorge ouverte, le corps labouré par des griffes, les yeux arrachés. Les vols portent généralement sur des animaux domestiques destinés à des sacrifices offerts à l’animal totem (Raynal, 1994, 152).

L’existence des sociétés secrètes n’est plus à démontrer. La preuve de leurs crimes est évidente. Leurs membres commettent de très nombreux crimes sur les populations sans défense, et sur des êtres naturellement faibles notamment les femmes, les enfants et les vieillards. Mais ces sociétés connaissent néanmoins une évolution, sinon un déclin, avec l’arrivée des Européens en Afrique. C’est un facteur qui a permis de détacher les crimes du fondement primitif magico-religieux des sociétés secrètes. Initialement perçues comme la réaction de la défense noire à l’endroit de la puissance du conquérant blanc, ces sociétés se transforment en de véritables organisations criminelles au service des vengeances individuelles, et au profit de quelques notables influents afin de semer la terreur parmi les populations.

Les actes criminels de ces sociétés secrètes d’hommes-animaux ne se limitent pas uniquement aux besoins du groupe. Il leur arrive de commettre des forfaits pour le compte d’une autre personne. D’après un témoignage recueilli sur les hommes-caïmans, ces derniers peuvent agir sur commande. Ainsi, un individu qui veut en tuer un autre par vengeance ira trouver un homme-caïman connu dans le village ou le quartier afin de lui demander d’agir à sa place contre rémunération. Une fois le marché conclu, l’homme caïman attire la victime à la rivière au moyen d’un sortilège préparé à cet effet. La victime une fois dans l’eau se fait attaquer par les hommes-caïmans qui l’entraînent dans un lieu qu’ils sont seuls à connaître où ils le ligotent et le tuent. Il arrive que le corps soit mis en lambeaux et ses parties chargées de valeur symbolique sont mangées (Raynal, 1994, 154). Ce meurtre aggravé s’accompagne de surcroît d’anthropophagie.

 

2. L’anthropophagie

L’instinct de conservation a contraint les humains en certaines circonstances à recourir à l’anthropophagie, pratique qui consiste à manger de la chair humaine36.

Les sociétés secrètes ci-dessus étudiées avaient la réputation de pratiquer l’anthropophagie après avoir mutilé, et assassiné leur victime en simulant comme à leur habitude l’animal. Il est évident que par ignorance de ces sociétés secrètes, les accusations de sorcellerie étaient le palliatif, quoique la sorcellerie ne fût pas concernée. Cependant, afin d’améliorer leur technique et leur mode opératoire, certaines confréries découvrirent des plantes leur conférant des pouvoir mystiques de transformation (Ognimba, 1989, 64), de métamorphose. Cela crée une confusion avec la pratique initiale des hommes-animaux qui n’a rien de mystique au départ. C’est le facteur mystique qui amène certains auteurs (Ognimba, 1989, 64 ; Raynal, 1994, 155) à classer l’anthropophagie parmi les infractions mystiques alors qu’en réalité le facteur mystique renvoie plutôt à la métamorphose qui est directement liée à la pratique sorcellaire.

Cette clarification faite, il est indispensable de rappeler les circonstances dans lesquelles l’anthropophagie a fait parler d’elle. Certaines peuplades la pratiquent sans état d’âme, à découvert, mais aussi en temps de guerre. C’est le cas des Niam Niam37 au sujet desquels Schweinfurt écrit : « dans les grandes lignes on peut ranger les Niam Niam parmi les peuplades anthropophages, et, où ils le sont complètement, sans peur et à toute condition. Les anthropophages se vantent devant tout le monde de leur voracité ; ils portent ostensiblement les dents de ceux qu’ils ont dévorés, enfilées comme des perles à une ficelle autour du cou. Ils décorent les poteaux situés près de leurs habitations avec les crânes de leurs victimes. De plus, selon un usage courant, la graisse humaine est utilisée à des fins diverses. On attribue à son emploi en grande partie une action enivrante. En temps de guerre, des gens de tout âge étaient mangés, et plus de vieillards que de jeunes, parce qu’en cas d’attaque leur impuissance en faisait une proie pour les vainqueurs » (Schweinfurt, 1875, 226 cité par Raynal, 1994, 142). Ce récit fait par Schweinfurt est remis en cause par Raymond Colrat de Montrozier qui écrit : « quoi qu’en ait dit Schweinfurt, les A’Zandés sont peu cannibales ; les véritables A’Zandés ne le sont même pas. Le savant voyageur a partagé l’erreur des Nubiens, qui appelaient Niams-Niams en général tous les peuples du bassin congolais. Il n’avait du reste parcouru que les confins du pays Zandé, et il se pourrait que l’influence de leurs voisins les Monboutous, par exemple, ait pu déterminer ceux du Sud-est » (Guille-Escuret, 2000, 183-206).

Ces considérations permettent de distinguer deux situations : celle où le meurtre est prémédité et réalisé dans le but de se nourrir de la chair de la victime et celle où le recours à la chair humaine devient une nécessité de survie. En ce sens, l’anthropophagie apparaît non comme une infraction mais plutôt comme un acte normal de la société traditionnelle. En effet, et contrairement à certains récits qui portent à croire que l’anthropophagie est un acte de la vie quotidienne dans les sociétés traditionnelles, elle ne se fait qu’aux moments forts de l’existence du groupe. Il s’agit notamment du retour des guerres, du retour des grandes chasses, des fêtes données en l’honneur des ancêtres, de la mort d’un chef ou de pactes d’alliance. Il s’agit en conséquence beaucoup plus de sacrifices que d’actes délibérés. De ce fait, l’hypothèse d’une pratique récurrente de l’anthropophagie relève d’un fantasme qu’ont voulu entretenir certains auteurs par désir de supériorité38, et l’assimilation de l’anthropophagie à une infraction liée à la sorcellerie ou encore comme infraction dans la société traditionnelle devient discutable voire réfutable.

Plus présente en Afrique centrale, l’anthropophagie ne s’y limite cependant pas. Elle s’étend en Afrique de l’ouest, notamment au Dahomey où elle est rituelle. En effet, l’intronisation d’un nouveau roi donne lieu à anthropophagie car le nouveau roi se trouve dans l’obligation de consommer l’organe du goût de son prédécesseur. Cette pratique est toujours d’usage dans certaines royautés du Bénin (Iroko, 2008-2009).

Si l’on fait une récapitulation des récits, en majorité subjectifs, sur la question et l’effectivité du phénomène attribué à tort aux sorciers, il ressort à l’évidence que les sociétés traditionnelles ne sont pas systématiquement cannibales. Ensuite le cannibalisme n’est pas le fait des sorciers et, partant de là, il est la plupart du temps symbolique. Sa signification souvent occultée par les auteurs peu soucieux de la valorisation de la culture et du fond de l’histoire indigène réside dans le maintien et la restauration des forces vitales du groupe. Enfin, l’ériger systématiquement en infraction est erroné dans un tel contexte.

Au-delà de l’appréhension sociale du phénomène sorcellaire et des pratiques connexes, se pose la question de leur contrôle par le droit.

 

II. Des pratiques juridiquement appréhendables

L’intérêt du droit pour la sorcellerie coïncide avec sa naissance car, loin d’être considérée comme un phénomène ridicule ou tout au plus bon à prétexte littéraire ou artistique, la réalité de la sorcellerie s’affirme d’une manière affreuse en Europe dans le châtiment des sorciers. Les bûchers flambants ont couvert l’Europe, et les procédures innombrables se sont entassées dans les archives (Palou, 1957, 4.).

Bien qu’il soit difficile de dire avec exactitude comment les sorciers étaient traités jadis en Afrique, il est logique de penser que leur sort était fonction du degré du ressentiment de la population à leur égard. Seuls des événements assez catastrophiques pour le groupe pouvaient entraîner la mise à mort du sorcier. En effet, la croyance en la sorcellerie fait partie intrinsèque des idées morales et religieuses et on ne doit la considérer ni comme une déviation ni comme un domaine à part. Elle constitue, il est vrai, le côté magique d’un complexe magico-religieux. En un sens, elle ne figure pas parmi les actes que peuvent punir les gardiens de l’ordre moral. Néanmoins, la condamnation de la sorcellerie fait partie du code moral. Elle est désapprouvée comme une manière sournoise de régler des comptes avec ses ennemis, tandis qu’une réaction physique directe devant une injure n’est pas condamnable en soi. La sorcellerie est traitée différemment des autres crimes parce qu’il s’agit d’un délit qu’on ne peut détecter par des moyens normaux (Mair, 1969, 181).

Dès le départ la répression de ces pratiques par la société quelle qu’elle soit, pose un véritable problème tant dans la reconnaissance de l’infraction que de l’identification de l’auteur et de la recherche des preuves. A ce propos, l’Europe constitue un bon exemple de la gestion sociale de la sorcellerie, nous nous focaliserons plutôt sur la société traditionnelle 39 dans la criminalisation de la sorcellerie d’une part (A) et de la rémanence du phénomène dans le droit moderne d’autre part (B).

 

A. L’incrimination de la sorcellerie dans la société traditionnelle

Juridiquement la sorcellerie est restée une infraction pénale en France jusqu’au terme de l’Ancien régime qui offre le système le plus complexe de sources du droit qu’ait connu l’occident (Chassaing, 1997). En dépit des différences que peuvent présenter les systèmes juridiques occidentaux et africains à l’époque, les mentalités traditionnelles et les croyances de ces sociétés entraînent des réactions similaires.

En réalité, c’est en proie aux mêmes craintes à l’égard de la sorcellerie que les luttes ont été menées contre ce phénomène dans toutes les sociétés toutes les fois où elle troublait profondément l’ordre du groupe. Cette lutte prend très tôt la forme d’une répression sanglante et c’est la jurisprudence qui permet d’établir le degré de juridicité du phénomène dès le Moyen Age. Pendant des siècles en effet, les juges en France condamnent des milliers de personnes au bûcher. Ce qui caractérise ces condamnations comme celle de l’Afrique traditionnelle, c’est la violence des accusations et l’arbitraire avec lequel les procédures sont menées. Mais en ce qui concerne la société traditionnelle africaine, deux époques sont à distinguer : avant (1) et pendant (2) la colonisation.

 

1. L’incrimination de la sorcellerie avant la colonisation

L’incrimination de la sorcellerie avant la colonisation procède de la chasse aux sorcières. Inégalement répartie à travers le royaume de France, mais partout florissante, elle s’étend du XVe siècle au début du XVIIe siècle40. Vers 1550-1570, l’attitude de l’Eglise vis-à-vis de la sorcellerie évolue brusquement et une véritable rage de la persécution anime les juges ecclésiastiques et laïques en Europe (Muchembled, 1973, 264-284). La sorcière devient alors le bouc émissaire chargé de tous les péchés. La même mentalité prévaut dans la société traditionnelle africaine et se manifeste par des accusations sorcellaires dont il convient de déterminer le contenu juridique (a) et le déroulement du procès (b).

 

a. L’accusation sorcellaire

L’usage de l’expression « chasse aux sorcières » dans le cadre de l’Afrique constitue un emprunt. Si pour l’occident l’histoire permet de retracer l’évolution de la pensée, des croyances et les circonstances de la chasse aux sorcières, le tableau est différent en Afrique. Nous sommes en Afrique dans un schéma où, à la même époque, bien que la sorcellerie soit présente, le sort réservé aux sorciers est bien différent. Ce n’est qu’avec les bouleversements coloniaux que la chasse aux sorcières prend son sens. A cette même époque, l’on est confronté à une série de difficultés. Tout d’abord au plan historique les sources d’informations sont rares sur les activités et la vie tant des accusés que des accusateurs. Les documents judiciaires sont inexistants dans la mesure où la tradition ancestrale africaine fut longtemps orale. Néanmoins, cette carence documentaire ne nous empêche pas, sur la base des éléments disponibles, de conclure, en ce qui concerne le contexte social en Afrique, que la situation socio-économique et l’absence de connaissances scientifiques expliquent très certainement la chasse aux sorcières. A l’opposé de l’occident qui a connu la chasse aux sorcières dans une période limitée dans le temps, en Afrique, cette chasse a connu son essor avec la colonisation et a perduré jusqu’à nos jours. Brian Levack reconnaît que « la sorcellerie africaine est très aisément comparable avec la sorcellerie européenne. Il ajoute qu’en étudiant les croyances et les accusations de sorcellerie les historiens ont trouvé de surprenantes analogies entre les fonctions que jouent les accusations de sorcellerie » (Levack, 1991, 245). Aussi s’établit une équivalence remarquable entre bon nombre de structures sociales africaines et les sociétés européennes des débuts de l’époque moderne qui constituaient le tissu sur lequel se développaient les accusations de sorcellerie et qui favorisaient des modèles spécifiques de dénonciation dans les villages41.

Si les conditions préalables relatives au contexte social de la chasse aux sorcières sont identiques en Europe et en Afrique, l’arsenal législatif et l’appareil judiciaire s’avèrent très contrastés et se trouvent aux antipodes les uns des autres. Alors que la chasse aux sorcières naît dans une société occidentale qui connaît l’Etat et des institutions politiques y afférents de même qu’un arsenal juridique écrit, en Afrique elle intervient dans une société certes politiquement organisée et socialement structurée mais ne disposant pas d’un arsenal juridique ni de juridictions bien établies. Il existe donc une différence de contexte juridique liée à l’incapacité de la société africaine à repérer et poursuivre les sorcières nocturnes. C’est là la seule différence fondamentale qui marque une différence entre la chasse aux sorcières du début des temps modernes et celle des sociétés traditionnelles africaines. Mais cette différence est à prendre avec réserve car les sociétés traditionnelles possèdent les mécanismes juridiques de recherche, de poursuite et de légitimation de la chasse aux sorcières. Ces mécanismes oscillants entre acceptation et rejet de la sorcellerie ont été renforcés avec la colonisation judiciaire qui introduisit des lois sanctionnant la sorcellerie(Cimpric, 2012, 135).

 

b. Le prétoire traditionnel africain

Recherchés et systématiquement poursuivis en occident, les sorciers le furent également en Afrique. Mais ressurgit de nouveau, la question de l’existence de l’Etat et de l’organisation politique et religieuse qui fut intimement liée à la chasse aux sorcières en occident. Il convient de décrire les mécanismes procéduraux par lesquels les sorciers étaient retrouvés et livrés à la justice.

En effet, malgré la persistance du déni du droit et de tout système juridique aux sociétés traditionnelles, nous réaffirmons sur la base de la maxime ubi societas ibi jus qu’elles disposaient bel et bien d’un système juridique en bonne et due forme, fût-il non élaboré et aussi rigoriste que celui de l’occident. D’ailleurs, le règlement des litiges quelle que soit leur nature, implique forcément l’existence d’un système juridique. Sur cette base, il est évident qu’il y avait une procédure pénale applicable aux infractions. L’Afrique et l’Occident furent marqués par la chasse aux sorcières, mais la réaction sociale peut être différemment appréciée car elle ne fut pas aussi cruelle et intense en Afrique quoique tyrannique à certains égards. Une procédure pénale comportant essentiellement trois phases fut applicable à la chasse aux sorcières en Afrique traditionnelle.

Tout d’abord l’action en justice prend une forme rituelle suivant la situation et l’infraction dont il est question. Elle s’apparente généralement à un procès et les réactions judiciaires sont spontanées et violentes (Brillon, 1980, 109). L’action publique appartient ici à la communauté dans son ensemble mais aussi à chacun de ses membres. Une fois l’action lancée vient la phase du procès pour laquelle se constitue le tribunal qui devra tout d’abord identifier le suspect s’il est inconnu puis établir sa culpabilité ou son innocence. Bien que les modes traditionnels de preuve soient employés comme modes de recherche de la vérité, les ordalies, les oracles, les devins et les féticheurs sont privilégiés. Tout comme en Europe au Moyen-âge, tous ces modes de preuve avaient pour finalité de s’en remettre au jugement de Dieu. Le recours à ces modes était systématique en matière de sorcellerie parce qu’ils permettaient aux juges traditionnels d’avoir les éléments nécessaires en leur possession pour se prononcer. En effet pour les autres infractions, l’ordalie est une exception et n’intervient que lorsque le témoignage, le serment, l’aveu et la divination ont échoué (Tsemo, 1989, 142).

Les ordalies (Bruyas, 2001, 48) consistaient en des épreuves diverses et variées qui permettaient d’obtenir un jugement divin par la manifestation publique de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Si certaines d’entre elles paraissaient banales42, d’autres étaient de nature douteuse et ne permettaient pas de savoir véritablement s’il y a culpabilité ou pas. C’est le cas par exemple de cette ordalie pratiquée autrefois à Madagascar et qui consistait en l’administration d’un poison censé épargner l’innocent de la paralysie et de la mort. On convient qu’une telle ordalie est une condamnation à mort de l’accusé, l’effet d’un poison étant indifférent à la qualité de l’individu qui le consomme. Au regard du contexte des accusations de sorcellerie, il ne fut pas rare que des accusés demandent que leur accusateur et eux-mêmes soient soumis à l’ordalie afin que si l’accusateur s’y oppose, l’innocence de l’accusé soit prouvée. L’intervention des devins, des oracles et des féticheurs se faisait en leur qualité de connaisseurs du monde invisible et parce qu’ils constituaient un antidote à la sorcellerie. En effet par leurs procédés incluant tant l’interrogation des morts, que la prononciation d’incantations et les transes souvent longuement et publiquement orchestrées, ils pouvaient identifier le sorcier. Néanmoins des doutes pouvaient subsister sur leur démarche et leurs méthodes.

Le troisième et dernier élément de la procédure est bien évidemment la sanction qui est la peine de mort. Il arrivait que les condamnés soient torturés puis battus à mort, empoisonnés, tués par flèche ou pendus.

 

2. L’incrimination de la sorcellerie pendant la période coloniale

Dans la société traditionnelle africaine, l’incrimination de la sorcellerie se limite en réalité dans son ancrage sociologique. C’est autour de diverses pratiques allant des accusations sorcellaires aux ordalies, que ces sociétés contrôlent le phénomène sorcellaire. Pendant la période coloniale essentiellement marquée par l’invasion, la logique d’incrimination de cette pratique est influencée par l’appréhension qu’en a le colonisateur. Après une longue période de barbarie en Europe liée à la chasse aux sorcières, l’époque moderne que connaît l’Europe conduit à la banalisation de la sorcellerie par le colonisateur. De ce fait, l’incrimination de sorcellerie pendant la période coloniale est quelque peu négligée et un rappel sur le cheminement de l’incrimination (a) et de la répression (b) en Europe permet une meilleure compréhension de l’analyse.

 

a. La chasse aux sorcières

C’est à travers quelques ordonnances prises dans les colonies que la sorcellerie fut juridiquement appréhendée pendant la colonisation. Ces ordonnances tendaient à une banalisation de la sorcellerie et cette position de l’administration coloniale s’explique par l’histoire. En effet, l’histoire de la chasse aux sorcières en occident dépend de l’histoire des institutions43 des pays concernés. C’est là un avertissement qui évite d’attribuer à l’occident dans son ensemble une même histoire de la chasse aux sorcières44. Après des années de recherche féconde concernant les procès de sorcellerie en Europe, Stanislaw Salmonowicz remarque qu’en laissant à part les problèmes toujours discutables, la chronologie des procès et leurs dimensions sont presque propres à chaque pays européen (Salmonowicz, 2006, 721). Mais, toutes les différences semblent tenir plus aux apparences et aux pratiques qu’au contenu. Néanmoins, dans nombre de pays d’Europe, il y a depuis la première moitié du XVIIe siècle, une tendance visible à limiter ou même à liquider le phénomène qui continue tout de même d’une façon considérable dans certains pays jusqu’en 1630. Il reste encore, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, quelques vagues tardives qui finissent par s’estomper bien que, dans le cadre légal, la sorcellerie subsiste formellement comme un crime sévèrement puni (Salmonowicz, 2006, 721).

En France, trois éléments légitiment la chasse aux sorcières. Tout d’abord, une croyance chrétienne, fondée sur la tradition ecclésiale et sur les innombrables exemples d’une jurisprudence sans défaillance. Ensuite il y a une expérience visible, offerte à chacun, de la procédure judiciaire qui implique un consensus facile de tous les participants, juges, témoins et accusés ; enfin et surtout sentences et aveux, bûchers et confiscations, représentant le jugement de Dieu et des hommes, portent le meilleur témoignage en faveur du crime (Mandrou, 1968, 75).

Ces trois éléments correspondent à trois moments qui préparent la persécution des sorciers qui donnait lieu à l'inculpation d'individus en tant que suppôts du diable, qu'ils fussent sorciers, magiciens ou autres manipulateurs de forces démoniaques. Le premier moment est celui où le diable est craint mais n’est pas l’objet d’une construction juridique et théologique spécifique. Il permet justement de produire les outils intellectuels45 qui déclencheront la chasse aux sorcières. Le deuxième moment qui est celui de la cristallisation de la sorcellerie et la chasse aux sorcières proprement dite. C’est alors qu’intervient le troisième moment qui, à la faveur de la propagation et de l’acculturation du thème conduit à un apaisement des poursuites (Martine Ostorero et Étienne Anheim, 2003).

Sans prétention aucune de faire toute la lumière sur la chasse aux sorcières en occident, ni d’en déterminer la cause exacte, nous retiendrons de tout ce qui précède, une approche pluricausale. En effet, au-delà de la justification expiatoire de la sorcellerie et de la chasse aux sorcières qu’elle entraîne, plusieurs raisons plus sérieuses font écho selon nous. Nous faisons allusion à la Réforme46, à la Contre-Réforme47, à l’Inquisition, à l’usage de la torture dans le cours de la procédure, aux guerres de religion, au zèle religieux du clergé, à la naissance des Etats modernes, au développement du capitalisme. Mais de toutes ces causes, les transformations religieuses et les situations sociales sont analysées comme les plus immédiates, faisant émerger de nouvelles idées sur la sorcellerie. Puis une série de changements fondamentaux au sein du droit pénal établissent les conditions juridiques de la chasse aux sorcières.

Tout en constituant des éléments déclencheurs de la chasse aux sorcières, la réforme protestante et la contre-réforme catholique posent paradoxalement les bases de son déclin. Les nouvelles croyances qui se développent repoussent désormais les limites de l’hérésie et abordent très peu le cas des sorcières, focalisant la christianisation sur un discours manichéen opposant Dieu et le diable. La sorcellerie et la persécution des sorciers changent alors de contexte social (Levack, 1991, 129-155. ; Geschiere, 2000, 1251-1279) et le débat se mène désormais dans la sphère religieuse.

 

b. La répression

La grande chasse aux sorcières fut une opération essentiellement juridique. En Europe, à l’époque moderne, des milliers de personnes, le plus souvent des femmes, sont traduites en justice pour des crimes de sorcellerie et la moitié d’entre elles condamnées à mort, d’ordinaire au bûcher. Quelques procès ont lieu devant les tribunaux qui jouent un grand rôle pour discipliner la vie morale et religieuse au cours du Moyen Age et à l’époque moderne. Certains procès se tiennent également devant des tribunaux laïcs (Levack, 1991, 13). C’est à l’omniprésence des institutions ecclésiales48 dans la persécution des sorciers qu’on doit l’inquisition car c’est à l’aide de la procédure inquisitoire que s’organisait la persécution des sorcières. Elle est le fait de changements dans la procédure pénale médiévale qui dans la première partie du Moyen Age était accusatoire avec pour principal mode de preuve l’ordalie. Mais la procédure accusatoire montre ses limites49 surtout lorsqu’il est question de poursuivre des crimes occultes. De nouvelles techniques furent ainsi adoptées par les tribunaux ecclésiastiques et laïcs et le nouveau système procédural fut qualifié d’inquisitoire. L’introduction de l’instance appartient toujours aux personnes privées qui peuvent déclencher l’action publique, mais elle s’étend aussi avec ce système, aux communautés qui peuvent désormais dénoncer un suspect et aux procureurs qui peuvent citer un criminel à comparaître sur la base des informations recueillies par leurs soins ; parfois sur la base de simples bruits50. De plus, ce nouveau système permet aux juges de participer aux investigations et de rechercher les preuves. La recherche de la culpabilité ou de l’innocence du criminel n’est plus du ressort de Dieu car les humains s’impliquent désormais.

Livrés à la justice, les accusés de sorcellerie doivent subir un long combat dont ils sortent rarement vainqueurs, cela d’autant plus que tout semble être mis en œuvre à partir de ce moment-là pour se débarrasser d’eux. Les juges doivent par la recherche d’une preuve tangible objective mener des interrogatoires pour obtenir des réponses ou recourir à l’aveu qui est la preuve parfaite. Ces deux moyens dont disposent les juges sont très importants et la procédure est de ce fait déséquilibrée au détriment de l’accusé.

Pour mener l’interrogatoire, les juges détenaient un dossier bien fourni dans lequel il suffisait de puiser pour accuser, mettant l’accusé sur la voie, en lui rappelant des faits anciens qui appartiennent à la chronique de la communauté, ou en lui fournissant des éléments de réponse. Ensuite ils pouvaient confronter les éléments ainsi obtenus à leur érudition sur la question51. Dans leur quête de preuve objective, les juges pouvaient recourir à la recherche du punctum diabolicum52 par les services d’un chirurgien et à la baignade53.

Pour obtenir un aveu, les juges ont recours à la torture. En fonction des justices, les instruments de la torture varient et les juges du royaume distinguent la question ordinaire et la question extraordinaire (Mandrou, 1968, 103). L’usage de la torture judiciaire se fonde sur la supposition que quiconque est soumis à des souffrances physiques dans le cours d’un interrogatoire confessera la vérité (Levack, 1991, 85). Si dans de nombreux cas elle a produit des confessions sincères et donné des vérités au moins partielles de la part des coupables et des personnes ayant eu connaissance du crime, elle n’a pas toujours été valide. C’est ainsi qu’en dépit de la résistance physique et morale des inculpés, la torture atteint dans la plupart des cas son but54. Beaucoup préfèrent la mort rapide assurée à quiconque avoue, à la continuation de longue séances passées en souffrance terribles ; ils finissent, entrant dans le jeu, par raconter le sabbat et les maléfices, par dénoncer proches et voisin, quitte à se reprendre une fois sur le bûcher, niant tout et demandant pardon à leurs victimes (Mandrou, 1968, 104).

A cela s’ajoute la crainte du juge qui par peur d’être objet de la ruse du diable dans l’appréciation des preuves et le prononcé de la condamnation, recourt aux déductions tautologiques, se défiant constamment sur les réponses qu’il reçoit de son interlocuteur. Cela met en jeu son intime conviction qui désormais complète les autres moyens de preuve. Une fois convaincu par l’aveu, il ne restait au juge que la prononciation de la sanction mais avant il livrait le condamné à mort à la question préalable en vue de la dénonciation d’éventuel complice.

 

B. La persistance de la sorcellerie dans le droit moderne

La croyance en la sorcellerie est omniprésente de nos jours dans la société africaine et qu’on la rencontre dans la société occidentale à la faveur des migrations (Bouly de Lesdain, 1994, 153-174). Ses méfaits n’ont pas changé, ils sont justes devenus silencieux à la suite de la colonisation et de la modernité qui masquent la réalité. En effet, depuis l’institutionnalisation de la justice, les tribunaux sont accablés de plaintes relatives à la sorcellerie. De ce fait, il importe de s’interroger sur le fondement juridique qui prévaut dans la répression des infractions de sorcellerie. La réponse à cette interrogation nécessite qu’il soit d’abord fait un examen sur l’appréhension de la sorcellerie, a priori difficile, par le droit moderne (1) et ensuite sur la recherche quasiment impossible de la preuve de la sorcellerie (2).

 

1. La difficile appréhension juridique de la sorcellerie

« C’est un immense problème méthodologique de savoir quelle doit être l’attitude du chercheur lorsqu’il examine des questions de ce genre : s’il doit se faire le porte-parole, l’interprète et comme l’apôtre des croyances dont il rend compte, en tâchant de faire partager sa propre conviction en l’efficacité du « gbass », du « juju » ou du « bó », ou s’il doit au contraire prendre du recul, […], observer et décrire, comme de l’extérieur, ce phénomène de croyance généralisée et les pratiques qu’il génère »55. Ce problème méthodologique se pose en effet à toutes les disciplines, en l’occurrence le droit. Si par le passé l’appropriation juridique de la sorcellerie a consisté en sa reconnaissance par les autorités comme une infraction, aujourd’hui elle répond à la même exigence et bien plus encore. Cette reconnaissance doit se matérialiser par l’élaboration d’une incrimination qui tienne compte du principe de légalité. Mais force est de constater que la législation peine à fournir les éléments de clarification sur la sorcellerie qui pourtant reste un phénomène auquel beaucoup d’Africains continuent de croire. C’est ainsi que sur l’absence d’une définition légale (a) se greffe l’inadéquation des sanctions (b).

 

a. L’absence de définition légale

Nullum crimen, nulla poena sine lege. Ce principe, chantre de la légalité criminelle en droit pénal, suffit à relever les faiblesses de la législation quant à la définition légale des faits de sorcellerie. Le législateur colonial avait pris en compte ce phénomène par l’introduction dans le Code pénal de l’article 264, applicable aux seules colonies et punissant « quiconque aura participé à une transaction commerciale ayant pour objet l’achat ou la vente d’ossements humains ou se sera livré à des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptible de troubler l’ordre publique ou de porter atteinte aux personnes et aux biens »56. Après l’Indépendance, cet article a été maintenu par la plupart des nouveaux Etats. En 1987 l’Etat béninois adopte une loi abrogeant l’article 26457 et portant répression de certaines pratiques rétrogrades et prévoit un article 264 bis dans lequel il est fait allusion aux pratiques de sorcellerie, à la magie et au charlatanisme. Mais cette loi intervient en réalité dans un contexte politique révolutionnaire. Elle vise beaucoup plus à lutter contre la chefferie traditionnelle58 qu’à apporter un éclairage nouveau. Il est alors impossible de donner une définition exacte et encore moins un contenu légal à la sorcellerie, aux pratiques de sorcellerie et de charlatanisme. En voulant tout simplifier par l’ajout d’une incrimination59, la nouvelle loi n’a fait qu’augmenter le degré d’imprécision. Il en résulte que jusqu’à l’heure actuelle, la majorité des Codes pénaux méconnaissent toujours le principe de la légalité criminelle en ce qui concerne les pratiques de sorcellerie et de charlatanisme60.

Cette insuffisance nécessite une relecture de la législation sur la sorcellerie dans ces pays. Au Bénin par exemple, le projet de nouveau Code pénal apporte des éléments d’éclaircissement. Il propose une définition légale de la sorcellerie de même que celle d’un certain nombre de pratiques. On peut lire à son article 457 : « Au sens des présentes dispositions, les mots suivants sont entendus comme il suit :

- « Fétiche » : tout objet auquel on attribue un pouvoir surnaturel bénéfique ou maléfique et qui sert de support à des pratiques de manipulation des consciences ou de perturbation des éléments de la nature, des pratiques magiques, de divination ou de sorcellerie en vue de nuire à l’être humain ou à son environnement immédiat ;

- « Sorcellerie » : art de nuire à l’être humain ou à son environnement immédiat par une puissance occulte réelle ou supposée ;

- « Magie » : art de produire, par des procédés occultes, des phénomènes inexplicables ou qui semblent tels ;

- « Divination » : action de découvrir ce qui est caché par des moyens qui ne relèvent pas d’une connaissance naturelle ;

- « Manipulation des consciences » ou « manipulation mentale », ou encore « sujétion psychologique » : l’ensemble des tentatives obscures ou occultes de fausser ou orienter la perception de la réalité d’une personne en usant d’un rapport de pouvoir, de séduction, de suggestion, de persuasion, de soumission non volontaire ou consentie ;

- « Charlatan » : personne qui pratique l’imposture ou un jeu de dupes envers autrui et qui, grâce à des trucages, des déformations de la réalité, des falsifications, des astuces, fait croire qu’il parle avec les esprits ; utilise son charisme, son pouvoir de persuasion et sa capacité à identifier les personnes les plus crédules pour les cibler en particulier et leur vendre des produits prétendument miraculeux, prodigieux ou surnaturels. »

Cet article a le mérite d’apporter des précisions à l’incrimination qui existe actuellement même si le législateur semble ignorer l’ampleur et la gravité de ces pratiques pour les qualifier d’agression. L’article 458 vient préciser les conditions dans lesquelles la répression interviendra. Il dispose que « les pratiques fétichistes, de sorcellerie, magie, divination ne sont répréhensibles que pour autant qu’elles visent à manipuler les consciences, à nuire à l’être humain et à son environnement immédiat, peu importent les pouvoirs réels ou supposés que leurs auteurs s’arrogent ou prétendent posséder, ou les conséquences causales objectives des activités de ces derniers ». Il ne s’agit que de simples propositions d’un Code qui ne verra pas le jour de sitôt. Ces propositions ne règlent pas non plus la question de l’inadéquation des sanctions.

 

b. L’inadéquation des sanctions

L’emprisonnement et l’amende sont les sanctions prévues pour réprimer les pratiques de sorcellerie. La question qui vient tout de suite à l’esprit est de savoir en quoi l’emprisonnement ou le paiement d’une amende peuvent dissuader le sorcier de recommencer.

Relativement à l’emprisonnement, dans la mesure où le sorcier est en mesure de commettre ses forfaits sans avoir à se déplacer, il ne peut à la limite qu’avoir un effet réducteur de son activité. En ce qui concerne l’amende, ne serait-elle pas un moyen de provoquer le sorcier et de décupler en lui la haine qui l’a poussé à agir ? Ces interrogations trahissent bien l’inadéquation des sanctions. Elles posent en réalité la problématique de la fonction de la sanction dans le cas d’espèce. Devrait-elle avoir pour but de faire payer au délinquant pour sa faute ? Devrait-elle se contenter d’une resocialisation du sorcier ? Ou doit-elle aller dans le sens d’une délivrance du sorcier ?

Nous pensons que ni la rétribution ni la resocialisation ne conviennent au cas d’espèce car ni l’une ni l’autre ne règle la question de la possession du pouvoir sorcellaire. Il faudrait donc aller vers des sanctions dont le but serait de neutraliser le pouvoir du sorcier. Seul ce moyen peut le dissuader d’agir et par ricochet, l’inaction du sorcier doit également engendrer l’inaction d’un grand nombre d’acteurs tels que les féticheurs, les devins, les oracles qui seront réduits à des astrologues traditionnels. Cela reste un idéal mais qui, pour le moment, est loin de voir le jour lorsque prouver la sorcellerie reste trop ardu pour la justice.

 

2. La question de la preuve

La reconnaissance de la sorcellerie par la législation, fût-elle confuse, implique la poursuite et la sanction des sorciers. Cependant, c’est demander aux magistrats de juger des faits pour lesquels il est quasiment impossible d’apporter une preuve rationnelle matérielle ou immatérielle. C’est là un grand défi qui, ajouté à l’opacité du système judiciaire, cause assez de malentendus préjudiciables à la société et à son fonctionnement. Comment en effet démontrer qu’une personne a quitté son corps pendant la nuit pour commettre des infractions contre les personnes ou contre leurs biens61? L’insuffisance d’éléments matériels de la preuve (a) pose un dilemme au juge confronté aux affaires de sorcellerie (b).

 

a. Le défaut d’éléments matériels

Il est aisé de constater en pratique la manifestation des effets négatifs de la sorcellerie mais il est assez difficile de recueillir les indices concourant vers ces faits. Le comportement sorcier de même que les résultats des actes sorciers ne présument donc pas qu’il y a eu infraction mystique. En effet, en considérant l’article 264 bis du Code pénal béninois, on se rend compte que la sorcellerie bien que nuisible à la base, n’est pas incriminée en soi tout comme le charlatanisme. Seule la pratique de l’un quelconque des faits qui caractérisent ces pratiques est incriminée. Il faut donc rapporter la preuve de l’acte de sorcier. Cela est assez difficile tant pour le plaignant que pour le juge : tout d’abord, une partie des moyens de commission de l’infraction relève de l’immatérialité, ensuite la manifestation visible des pratiques de sorcellerie se fait à travers des objets difficilement saisissables. L’aveu reste, comme par le passé, la preuve capitale pour la société, il matérialise la réalité de la sorcellerie. Bien que les témoignages soient un mode de preuve acceptable, ils sont souvent le résultat de ouï-dire. Il ne faut pas perdre de vue que les accusations de sorcellerie conduisent souvent à des violences légitimées par la croyance populaire et tolérées par les autorités judiciaires. A notre époque, cela pose des problèmes complexes liés aux droits de l’homme car c’est parfois au moyen de procédés condamnables que l’aveu est obtenu. Dans sa recherche de preuves, le juge, tout en constatant les objets utilisés par le sorcier, est souvent obligé de recourir à l’expertise afin de se convaincre de leur effet invisible62.

D’une grande diversité régionale, les pratiques d’identification et d’accusation semblent s’être multipliées au cours de la seconde moitié du XXe siècle avec la circulation et le succès de praticiens dotés d’un pouvoir de visionnaire (Martinelli, 2012, 44). En effet, dans le cadre d’une reconnaissance et d’une influence croissantes de la médecine traditionnelle au sein de plusieurs institutions d’Etat, de la santé et de la justice, les magistrats subissent cette évolution créant la plus grande incertitude quant à son incidence sur le déroulement des procédures pénales63. Commune à l’évolution des systèmes judiciaires, les tribunaux sont enclins à recourir à l’expertise des guérisseurs, des devins et des féticheurs pour détecter les sorciers.

Cependant, la création d’un tel statut inhérent à la médecine traditionnelle et à la pharmacopée dans lequel on regroupe tant le devin, le féticheur que le guérisseur, suscite un amalgame. La difficulté réside dans la crédibilité que l’on peut accorder à ces individus érigés en véritables auxiliaires de justice. En effet, leur sphère d’intervention n’est guère différente de celle des sorciers maléfiques et accusés, car ils ont partout la réputation de posséder les capacités pour détecter et combattre les sorciers. Cette position ambivalente remet en cause leur avis car ils sont parfois suspectés d’escroquerie ou de collaboration avec les sorciers64. Aleksandra Cimpric mène une réflexion assez judicieuse à ce propos. Elle constate que la reconnaissance officielle des médecins traditionnels n’implique pas nécessairement la connaissance ni le pouvoir de détecter et de combattre les sorciers et de ce fait, leur collaboration avec le tribunal se combine difficilement avec leur rôle de médecins traditionnels. Ne devraient-ils pas être poursuivis par le même article, non pas pour fait de sorcellerie mais pour charlatanisme ? La question ne manque pas de pertinence. Cependant, la poursuite de ces médecins traditionnels heurterait une population qui croit en leur pouvoir de guérir et de combattre les sorciers.

En dehors des médecins traditionnels souvent sollicités dans la recherche de la preuve, interviennent les institutions religieuses qui jouent un rôle non négligeable dans la lutte contre la sorcellerie et la révélation des pratiques auxquelles elles donnent lieu. Alors que d’un côté nous avons au sein de l’Eglise catholique des prêtres exorciseurs, de l’autre prolifère un grand nombre de religions évangéliques et protestantes s’assignant comme mission la délivrance à la suite de laquelle le sorcier délivré fait des révélations et la victime révèle le sorcier qui la maintenait en captivité.

Le Code pénal béninois règle la question en prévoyant les éléments de preuve qui doivent permettre aux juges de prononcer facilement la peine. En effet l’article 458 al. 2 prévoit que : « la preuve de telles pratiques résulte : des actes matériels effectués à cette fin : cérémonies d’envoûtement, de magie, de malédiction, de sortilèges, de subjugation des esprits, etc. ; des effets avérés de ces actes sur l’environnement ; des symptomatologies psycho-somatiques ou psychiques sur les victimes désignées, procédant de la subjugation de la volonté, de l’esprit ou de la conscience de la personne, ou d’autres phénomènes d’influence exercés sur elle ou exploitant sa crédulité, sa superstition, sa détresse ou ses angoisses ; l’aveu circonstancié de l’auteur sur les pratiques visées ; le seul fait pour une personne adulte, libre de volonté et de raison, de prétendre posséder des pouvoirs surnaturels maléfiques lui permettant d’opprimer, d’intimider, de nuire à autrui sera retenu sans qu’il ne doive s’imposer d’en vérifier la réalité, dès lors que ces déclarations constituent en elles-mêmes un trouble à l’ordre public et à la conscience de personnes fragiles, et révèlent au minimum une personnalité criminelle portée sur le charlatanisme ou l’escroquerie. »

« La preuve de l’exploitation de la crédulité publique peut être fournie par tout moyen de fait et de droit. La preuve par ordalie ou divination ou par tout autre procédé fétichiste ou magique consistant à soumettre de gré ou de force une personne à un mal physique réel ou supposé en vue de déduire des effets produits l’imputabilité d’un acte ou d’un événement ou toute autre conclusion, ne peut être reçue en justice ».

Cet article renforce le caractère probatoire des éléments matériels pour lesquels le juge avait jusque-là besoin de recourir aux tradipraticiens.

 

b. Le dilemme du juge

La crainte de paraître superstitieux malgré les idées modernes acquises dans les Universités occidentales fait que certains chercheurs ou juges négro-africains n’osent pas mettre en œuvre les textes juridiques mis à leur disposition par le législateur ou la coutume concernant les faits de sorcellerie (Akpomey, 2015, 483). Maurice Kamto explique que les juges africains doivent affronter une difficulté de taille : celle d’appliquer la rigueur rationnelle qu’exige la conduite d’un procès dans le cadre d’une justice moderne pour résoudre des litiges fondés sur des faits absolument irrationnels, notamment dans les procès en sorcellerie.

En l’état actuel, la vague formulation de l’infraction laisse au procureur la latitude de qualifier les faits et de poursuivre les pratiques de charlatanisme et de sorcellerie, puis au juge pour apprécier et déclarer les faits constitués ou non. En la pratique, on constate la démission manifeste des juges mais également la cristallisation des procès autour de leur intime conviction.

En effet, le juge procède par ce que nous qualifierons d’esquive jurisprudentielle. Elle consiste pour lui, face à l’absence de définition légale et à la difficulté de la preuve, à recourir à une qualification qui lui permette de prononcer une sanction et de dire le droit afin d’éviter le déni de justice. Déjà au Moyen Age, les magistrats préféraient analyser les activités de sorcellerie comme des empoisonnements ou des blasphèmes, qualifications plus conformes à l'esprit rationnel du temps puis à l'esprit de l'édit de 1682 (Chassaing, 1997). Dans le contexte africain, la formulation de l’infraction permet au juge de trouver une même sorte de parade en interprétant les activités de sorcellerie comme un trouble à l’ordre public. Par ailleurs, lorsque les aveux de l’inculpé et les éléments en sa possession le permettent à son intime conviction, le juge prononce purement et simplement la sanction sur la base de l’article 264 bis du Code pénal en vigueur au Bénin. La jurisprudence ne permet cependant pas de dégager les grandes orientations en matière de sanction.

Il est indispensable de relever le rôle parfois abusif que joue l’intime conviction du juge qui par-delà sa toge de justicier, reste un humain vulnérable aux pratiques de sorcellerie contre lesquelles il doit se prémunir. Alors que certains juges croient fermement en la sorcellerie et n’hésitent pas à se montrer implacables, on rencontre des juges qui se fiant à la science et la modernité considèrent la sorcellerie comme des superstitions ou comme des divagations d’esprits malsains voulant troubler l’ordre public. Cette dualité entre les magistrats, empêche la constitution d’une jurisprudence linéaire.

Ainsi, tout porte à croire que les infractions mystiques sont insaisissables par le droit qui au nom des droits de l’homme maintient en vie dans la société des individus qui semblent se substituer à Dieu par leurs pratiques.

Les infractions mystiques ont été envisagées dans cet article comme des faits sociétaux avant d’être appréhendées sous l’angle juridique. Il en ressort qu’il s’agit d’un phénomène pluriséculaire qui, s’il a été abandonné en occident, persiste en Afrique. Cette analyse s’est efforcée de tenir compte de l’histoire afin d’avoir la meilleure appréciation possible des sources consultées. Il en résulte que le malaise est profond et sa résolution ne saurait se faire par l’adoption d’une position catégorique et figée, au regard des circonstances sociales et juridiques actuelles. D’ailleurs, là où certains préconisent une suppression pure et simple de l’infraction de sorcellerie, d’autres optent pour son maintien. Supprimer l’infraction reviendrait à la replacer dans un contexte purement social loin du regard des autorités. Ce serait créer une jungle dans laquelle seuls les plus forts survivraient. D’un autre côté, la maintenir laisserait persister la difficulté de la preuve. Jusque-là les hésitations constatées sont dues à la recherche d’une ligne médiane entre le matériel et l’immatériel, entre le bien et le mal. La véritable question reste posée : la sorcellerie est-elle un bien ou un mal ? Quelle que soit la réponse, le droit se doit de trouver l’encadrement juridique adéquat.

 

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1 La littérature est riche en la matière et l’histoire de chaque continent n’occulte pas le phénomène. La chasse aux sorcières en France en est une illustration. De l’Europe aux Etats-Unis, la sorcellerie a sévi sous toutes les formes. Ajouter les références des livres sur la sorcellerie.

2 Ensemble des pratiques qui tendent à entrer en relation avec les esprits afin de retrouver le passé, interpréter le présent ou découvrir l’avenir.

3 Pratique d’un individu doté de la capacité à entrer en relation avec des réalités qui échappent à la perception de l’homme ordinaire et au monde empirique. Voir http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/index4488.html

4 Le mot de sorcellerie en Afrique subsaharienne n’est qu’une traduction parfois inappropriée des termes vernaculaires.

5 Au Bénin, la sorcellerie est omniprésente. Dans toutes les populations de la région, le terme le plus général pour nommer la puissance de sorcellerie semble avoir une origine commune : adze en ewe, azě en fon, aje en yoruba, mais il existe d’autres termes pour nommer les sorciers. Pour s’en tenir au fon, certains de ces termes sont construits à partir de la racine azě comme azètɔî, le maître de l’azě ou azɔ nɖ a tɔî (litt. azɔn : maladie, ɖ a : préparer [de la nourriture], tɔî : maître), celui qui sait préparer des produits pour rendre malade. D’autres termes comme mǐnɔî (litt. nos mères) ou mǐnɔî na (litt. nos mères : ces dames) renvoient au pouvoir ambivalent de vie et de mort dont sont dotées les femmes : une des représentations communes de la sorcière est une vieille femme possédant une calebasse contenant un oiseau (HENRY, 2008, 101). L’article de Jean-Claude MULLER en est une illustration. Il étudie le pouvoir mystique, la sorcellerie et la structure sociale chez les Rukuba du Nigeria. Bien que son propos s’articule autour d’un cercle déterminé, la conception de la sorcellerie reste assez hypothétique. Dans le même ordre d’idées, voir N’KOUSSOU, 2008.

6 Aleksandra CIMPRIC, 2010, 5.

7 Il s’agit notamment des auteurs tels que GESCHIERE, 2000 ; MOORE et SANDERS, 2001, 1‐27. Ces auteurs sont cités par Aleksandra CIMPRIC, 2010, 5.

8 Cette difficulté résulte de l’absence de mot en langue française pour traduire certaines réalités, certains mots ou expressions des langues vernaculaires. De ce fait, les chercheurs ont souvent eu recours au système des équivalents, traduisant un phénomène, un mot, une expression par ce qu’ils pensaient être son équivalent en français et dans leur système de valeurs.

9 A ce sujet, voir LALLEMAND, 1988. Cet ouvrage fait le récit d’une affaire de sorcellerie dont l’auteure est le témoin oculaire.

10 Les métamorphoses suscitent beaucoup de scepticisme, certains estimant qu’il s’agit d’un fait littéral. Ce doute est légitime parce qu’en réalité, comme le souligne Lucy MAIR à ce propos, le sorcier a la possibilité d’envoyer des animaux dans le but d’effrayer et d’intimider les victimes. Des sorciers ont en effet à leur service des chouettes, des hiboux et des grands ducs, des engoulevents, qui semblent leur obéir et aller là où leur maître les envoie, pour effrayer ses victimes. Cependant, le processus de commandement met en danger la vie du sorcier car sa survie dépend de celle de l’animal qu’il commande. En témoigne cette anecdote relatée par René LUNEAU dans son ouvrage Comprendre l’Afrique (2003) et qu’il tient d’un missionnaire ayant séjourné au Bénin : « Un soir raconte-t-il, mon catéchiste m’appelle. Un type très bien, un type de foi, une cinquantaine d’années. Il me dit : « Tu ne veux jamais croire aux hiboux et aux sorcières. » Or il y avait un hibou, un seul sur l’un des deux cocotiers dans la cour de la mission. Il a pris son fusil, un fusil européen. Il a tué le hibou. Le hibou est tombé à nos pieds. Il a ramassé le hibou et il m’a dit : « Maintenant tu vas voir. On va rentrer dans ma case et la sorcière va venir chercher son hibou. » On est rentré dans sa case et j’ai été surpris quand il est ressorti de la case et a fouillé autour des arbres pendant dix minutes. Je lui ai dit : « pourquoi tu as cherché ? » Pourquoi ? Mais parce qu’il ne faut pas qu’elle trouve une plume ! » Eh bien, dix minutes après, on a vu une vieille venir auprès de l’arbre et chercher partout, partout. Moi, je n’y ai pas cru encore. Je lui ai dit : « c’est le coup de fusil. » Il m’a dit : « Je ne peux pas le prouver mieux, mais tu l’as vue. Voilà ». En fait la croyance dit que si le hibou meurt, la sorcière va mourir et c’est pour ne pas mourir qu’elle doit trouver au moins une plume. Ici elle n’est pas morte ! ». Le même auteur cite la thèse du Père Meinrad Hebga, consacrée à la réalité physique des métamorphoses d’hommes en animaux qui tient ce phénomène pour indiscutable, basant son opinion sur le témoignage d’hommes et de femmes pondérés et sincères dont les révélations sont assez troublantes. Il y affirme que quelques personnes dignes de foi déclarent avoir assisté à des scènes étranges de transmutations d’hommes en animaux.

11 Les travaux de cet anthropologue sur la sorcellerie chez les Zandés font autorité en la matière et nous pensons qu’ils sont devenus une référence.

12 Le Soudan à cette époque est alors administré conjointement par l’Egypte et le Royaume-Uni, domination qui s’étendra de 1899 à 1956. Les travaux de l’anthropologue portent sur l’année 1937.

13 L’épreuve du poison et les ordalies diverses relèvent de ce qu'en France on appelait autrefois le « jugement de Dieu ».

14 Ce sont des maladies dont la cause est pour quelques-unes bien connue mais dont la société traditionnelle ignore l’existence scientifique.

15 Les croyances sont semblables en plusieurs endroits ce qui concerne le rapt de l’âme. Tous les peuples en Afrique croient en l’existence d’un esprit chez l’homme qui se sépare du corps à la mort. Le sorcier provoque donc la mort de sa victime en s’appropriant l’esprit de celle–ci qu’il transfère dans une autre matière. Ce peut être un animal, un objet, ou encore un emprisonnement. La destruction de l’objet, de l’animal provoquera la mort de la victime. Un récit d’un fait vécu est illustré dans le roman de l’écrivain béninois Jean PLYA, intitulé L’arbre fétiche dans lequel il relate le procédé par lequel un sorcier est entré en possession de l’esprit d’un jeune homme, l’agonie et la mort de ce dernier (PLIYA, 1971).

16 L’empoisonnement constitue un acte de sorcellerie simplement parce qu’il est accompli par un sorcier. En effet, il y avait l’empoisonnement collectif et l’empoisonnement individuel. L’empoisonnement collectif était employé en temps de guerre et consistait à mettre des plantes nocives dans un puits afin de décimer tout un village ou toute une population. L’empoisonnement individuel, plutôt classique consiste pour le sorcier à mettre des substances nocives issues des plantes dans les aliments de sa victime. C’est donc uniquement la qualité de sorcier de l’auteur de l’empoisonnement qui fait qu’on l’attribue à tort à la sorcellerie.

17 L’utilisation des fétiches renvoie à l’utilisation des marionnettes confectionnées par le sorcier et qui symbolisent la victime. Ce faisant, le sorcier agit sur la victime par l’entremise de la marionnette. C’est par ce procédé que les sorciers sont capables d’envoûter leur victime ou encore de leur jeter des sorts.

18 En anthropologie, le fonctionnalisme et le structuralisme sont des courants initiés par deux auteurs différents qui s’opposent. Alors que fonctionnalisme tente de trouver à chaque fait social une fonction, le structuralisme met l’accent sur les unités élémentaires du système étudié d’où la référence à la structure entendue comme un modèle théorique. Pour être plus précis, MALINOWSKI soutient la thèse fonctionnaliste tandis que Claude LEVY-STRAUSS soutient la thèse structuraliste.

19 En Afrique de l’ouest.

20 « De nouvelles situations exigent de nouvelles magies ».

21 Il s’agit là d’une certaine régulation sociale qui pose quand même des problèmes juridiques.

22 Il est vrai qu’une telle affirmation paraît aberrante à première vue mais elle ne manque pas de bien-fondé lorsque dans la société traditionnelle un travail acharné peut-être synonyme de soupçon de sorcellerie. Cela est assez remarquable avec les sociétés égalitaires. Quand il y a de très faibles possibilités de s’enrichir, les gens souffrent d’un écart léger entre ce qu’ils possèdent et le peu que d’autres ont en plus, exactement comme les pauvres envient les riches dans un monde où les différences sont énormes. Ils croient en conséquence qu’un bon voisin ne devrait pas chercher à distancer ses congénères. De ce fait assez de pratique sont répandues afin d’inhiber les efforts de l’autre.

23 Il s’agit des critères qui ne sont prédéfini nulle part. Ainsi, les gens qui mangent seuls et n’aiment pas partager leur nourriture, les gens arrogants qui passent devant les autres sans les saluer, un individu qui dévisage fixement les autres, un individu qui louche et dont le sourire est interprété comme un moyen de faire croire à un bon naturel.

24 On pourrait l’assimiler à une atteinte contre l’intégrité morale des individus.

25 Ils sont aussi souvent accusés d’appartenir à l’instar de leurs homologues occidentaux, à des sociétés dites secrètes telles que la franc-maçonnerie ou la rose croix.

26 Il demeure difficile de dresser une liste exhaustive des appellations qui y sont relatives car il en existe plusieurs qui sont généralement synonymes.

27 Pierre GESCHIERE n’oubliait pas de souligner ses limites, en particulier son occidentalo-centrisme (« traduction précaire de notions africaines ayant souvent un sens beaucoup plus large »). Voir BERNAULT, 2009, 747-774.

28 Le sorcier qui produit le mal peut également le réparer. C’est ce dont témoigne cette anecdote : « Je me souviens encore comme si cela datait d'hier comment trois enfants de mon village et moi-même nous avons attrapé une terrible maladie d'yeux. Quelle en était la cause ? Nous étions au village pendant que tous nos parents travaillaient aux champs. Animés par un esprit de peur comme tous les enfants de chez nous, nous nous sommes enfermés dans une maison à la vue d'un homme réputé pour sa sorcellerie, Kimuka. Mais au lieu de nous cacher silencieusement, guidés par moi tous les quatre nous avons commencé à crier sur lui : «O muloyi, o muloyi», ce qui signifie : « Un sorcier ! Un sorcier ! » Kimuka ébahi s'est arrêté au milieu du village, nous regardant étrangement. Puis, d'un pas décidé il est rentré chez lui. Nous avons quitté la maison et couru vers nos parents. Informés de cet événement par nous-mêmes, ils nous ont grondés sévèrement. Trois jours après, nous attrapions tous quatre un terrible mal d'yeux qui ne nous permettait plus de voir. Menacé par les parents des trois autres, car j'étais le plus âgé, papa a été obligé d’aller voir Kimuka, soupçonné d'être l'agent du malheur. Après qu'il lui eut exposé le cas, Kimuka, contrairement à beaucoup de sorciers, ne chercha pas à nier son action. Il semble qu'il aurait déclaré : «Si ce n'étaient pas des gosses, vos supplications n'y changeraient rien ; je ferais d'eux de grands aveugles ». Papa lui a alors donné un cadeau et est revenu. Il n'a pas fallu plus de deux jours pour qu'on soit rétablis » (ERNY, 1979, 240). Voici un autre exemple, tragique celui-ci, qui se déroule au Bénin. « Une femme, par jalousie, a rendu son mari aveugle. Accusée et conduite sur la place publique, elle reconnut le fait et accepta volontiers de faire recouvrer la vue à son époux à condition qu'elle retournât chez elle d'abord. Sûrement pour prendre les produits nécessaires pour la délivrance, nous sommes-nous dit. On la fit escorter pour raison de sécurité. Mais dès qu'elle franchit le seuil de sa concession, elle interdit l'accès de sa chambre aux membres de l'escorte s'ils tiennent à conserver leur vie. Elle séjourna seule dans sa case quelques instants, puis sortit et reprit le chemin en direction de la place publique avec son escorte. Mais, coup de théâtre, elle se détacha brusquement du groupe pour une motte de terre dans une brousse et en ramena quelques feuilles. Alors que tout le monde s'attendait à la voir délivrer son mari, elle lui tourna le dos, s'allongea de tout son long par terre et se mit à agiter les bras à la manière d'un oiseau atteint mortellement et qui battait des ailes tout en bavant, puis elle s'éteignit. Son mari demeura ainsi aveugle, victime de la jalousie de sa femme ». « Une autre sorcière a avoué durant les derniers instants de sa vie, qu'elle s'est rendue à Paris par deux fois avant de pouvoir tuer un de ses neveux étudiant et que pour la dernière fois elle a failli être surprise par le jour » (HOUNWANOU, 1984, 72).

29 Pierre ERNY, 1979, 236.

30 Quand les Portugais entrèrent en contact, à la fin du quinzième siècle, avec les populations riveraines du Golfe de Guinée, ils y remarquèrent une grande variété d'objets protecteurs et de supports d'activité magique sur lesquels il semblait bien qu'un culte fut rendu et qu'ils appelèrent féitissos, d'un mot auquel étaient attachées les idées d'artificialité, de maîtrise du sort et de maléfice. Traduit en français par fétiche, ce terme fut par la suite employé à tort et à travers, par des auteurs n'ayant pas de contact avec les objets en question ou répugnant à en avoir, pour désigner toutes sortes de pratiques et d'aberrations faussement attribuées aux Noirs. Puis, par extension ils l’appliquèrent à d'autres prétendues "peuplades primitives" et à l'homme "primitif' se révélant en chaque civilisé pour peu qu'un défaut d'instruction, une catastrophe sociale ou un trouble psychique laisse à nu les couches les plus frustes de sa personne (SURGY, 1994, 7).

31 SURGY, 1994, 15.

32 Christine BASTIEN observe que l’homme s’inscrit ici comme le maillon le plus bas dans la connaissance du savoir. Dans son plan surnaturel, le savoir devient révélation selon des scénarii où les jin sont les principaux protagonistes.

33 Il faut se placer dans la perspective d’un univers où tout est animé, et restituer l’homme en tant que vivant privilégié au sein de la création, pour donner à la notion de secret la valeur qu’elle a dans la tradition bambara et dans la plupart des traditions africaines. En effet, la connaissance constitue un secret entre dieu et l’homme par rapport à tous les habitants de l’univers qui n’en disposent pas.

34 Le Fa se présente comme un système de divination dont seul le devin connaît le secret. Il a un langage symbolique qui se traduit par des traits qui forment des signes. Il implique une technique qui nécessite un long apprentissage, une sorte de formation, d’initiation. En somme, le Fa est un moyen qui permet de révéler les desseins de Dieu, une technique, un art qui permet aux devins de communiquer avec Dieu, les dieux, l'au-delà, les ancêtres, les défunts, etc. Il est utilisé dans les moments critiques de la vie tels que : maladies graves, décès, naissances, mariages, etc. (HOUNWANOU, 1984, 72).

35 La réincarnation pouvait justifier dans certaines contrées le phénomène d’hommes-animaux comme c’est le cas dans le haut Zambèse. « Une tribu des environs, me raconte un marchand, considère que les lions sont des chefs réincarnés, ils ne les tuent pas. Un jour je tuai un lion. Le lendemain, une grande foule se rassemble devant ma maison : Tu as tué notre roi. Comment votre roi ? Oui. Quel âge avait le lion que tu as tué? Trois ans environ. Eh bien, il y a tout juste trois ans que notre roi est mort. Ne tue plus de lions, ou nous te voudrions du mal, car ce sont nos chefs défunts. » « Le jour suivant arrive la sœur du roi défunt, et elle me maudit. Et en effet, je tombai gravement malade après cela. » (KUNTZ, 1932, t. 2, fasc. 2. 123-138).

36 Les sociétés modernes manifestent une aversion si grande pour l’anthropophagie que dans nombre de pays elle ne fait pas l’objet d’une incrimination spécifique. C’est le cas d’ailleurs en France et au Bénin où, en fonction des circonstances, les articles relatifs au meurtre, d’atteintes au respect dû au mort et d’actes de barbarie sont souvent appliqués. L’œuvre d’un étudiant japonais qui dévora en 1981 son amie néerlandaise à Paris de même que le cas d’un français incarcéré à la prison de Rouen en 2007 pour avoir tué et mangé un morceau de poumon de son codétenu atteste que l’anthropophagie fait encore partie de l’histoire contemporaine de la criminalité (GASSIN, CIMAMONTI et BONFILS, 2011, 323).

37 Il s’agit vraisemblablement d’une ethnie des Zandé. Plusieurs autres ethnies sont concernées par cette pratique. Les explorateurs de l’époque lui attribuent des raisons tout aussi différentes que parfois pittoresques et fallacieuses.

38 La majorité des auteurs ayant observé le phénomène étaient non seulement étrangers au système de culture des peuples mais aussi des résidents temporaires en leur sein. Provenant des milieux où le cannibalisme était sûrement dépassé, leur appréhension subjective a semblé l’emporter sur l’objectivité du phénomène. C’est ainsi que certains parleront du cannibalisme comme d’une odieuse coutume de manger la chair humaine et dont la seule lecture des traits inspire un profond dégoût. Les arguments de toute sorte sont avancés également pour justifier l’origine de cette pratique mais les savants ne s’accordent guère sur cette question. Les un y voient un des restes de l’état de barbarie dans lequel vivait l’homme primitif tandis que pour d’autres cette habitude est la preuve d’une déchéance morale. Certains prétendent que cette coutume s’introduit chez une peuplade par suite de l’absence du chien et il en est qui pensent que le cannibalisme ne provient que de l’excès de misère chez une nation et de l’excès d’aridité du pays qu’elle habite. Voir en Ligne : Ein Dienst der ETH-Bibliothek ETH Zürich, Rämistrasse 101, 8092 Zürich, Schweiz, www.library.ethz.ch http://retro.seals.ch. Il ne faut pas s’y méprendre, l’anthropophagie est commune à tous les peuples du monde. Cependant, avec l’émergence des divers droits de l’homme certains peuples ont abandonné le cannibalisme plus tôt que d’autres. A la faveur de la colonisation, des indépendances et de l’imbrication de la société traditionnelle et de la modernité, il n’est pas surprenant que les textes pénaux introduits à une époque où les indigènes ne s’y identifient pas, l’élèvent au rang d’infraction dans la mesure où elles conduisent toujours au meurtre.

39 Nous tenons à insister sur ce point car son usage pourrait prêter à confusion. Elle constitue un élément fondamental de notre argumentation. Son usage renvoie non seulement à la société d’avant la colonisation qu’on qualifierait de primitive, mais revêt pour nous un caractère idéologique qui rend dynamiques nos développements car nous soutenons la thèse selon laquelle en matière idéologique, certains aspects et certaines conceptions n’ont pas changé et demeurent vivaces dans l’esprit d’une frange des populations d’Afrique subsaharienne. De sorte que pour nous, ces populations constituent encore des sociétés traditionnelles. Il faudra donc prendre en considération une période relativement longue qui s’étend des temps précoloniaux à nos jours dans la mesure où en certaines matières (sorcellerie dans notre cas), ce ne sont que les études contemporaines qui rendent compte le mieux.

40 Cette période comporte deux grandes périodes de l’histoire à savoir le Moyen âge qui commence avec la chute de l’empire romain et qui se termine avec la découverte de l’Amérique en 1492 par Christophe Colomb et les temps modernes qui débutent de 1492 et se poursuivent jusqu’à la Révolution française de 1789 pour laisser place à l’époque contemporaine.

41 Une telle remarque nous conforte dans notre analyse qui repose sur la comparaison entre les sociétés africaines et européennes en tenant compte des époques différentes plutôt que se situant sur la même période. Une telle démarche que nous adoptions déjà dans le cadre de notre mémoire de master permet de mieux poser les problématiques contemporaines africaines et de ne pas fausser le débat de la soif du développement que l’Afrique appelle de tous ses vœux et dont le besoin se fait ressentir dans tous les domaines.

42 Quelques exemples d’ordalies : -On fait boire aux suspects un mélange d’eau et d’huile de palme. Chacun boit trois gorgées. Ensuite on donne chacun un cauri qu’il doit laisser tomber dans un récipient rempli d’eau. Le cauri du coupable flottera à la surface de l’eau. -Un serpent venimeux est placé dans une enceinte où se tiennent les suspects. Le coupable est celui que le serpent mordra. -On donne un plat à chacun des suspects qui y dépose une poudre blanche avec pour conséquence que le visage du coupable s’imprimera dans l’assiette (BRILLON, 1980, 109.

43 En Pologne par exemple la noblesse est de plus en plus forte face au pouvoir royal qui représente l’Etat et peut agir de ce fait sur ses décisions. Ainsi, la noblesse, demandant la tolérance religieuse, vota à la diète en 1563 une loi générale interdisant aux autorités de l’Etat, l’exécution par la force des décisions des tribunaux ecclésiastiques. L’église catholique perdit (SALMONOWICZ, 2006, 721.

44 La chasse aux sorcières ne fut pas en effet un événement historique singulier mais la résultante des milliers de procès particuliers qui se déroulèrent, pendant plus de trois siècles, de l’Ecosse à la Transylvanie, de l’Espagne à la Finlande. Si ces procès présentent de nombreux traits communs, ils prirent aussi naissance dans des circonstances historiques différentes et reflètent souvent des croyances en la sorcellerie très spécifiques selon les régions où se déroulaient (LEVACK, 1991, 10).

45 Il s’agit notamment du développement des pensées hérétiques et de la pensée scolastique qui est à la fois abstraite et dogmatique.

46 La Réforme est un mouvement religieux qui cassa unité de la chrétienté médiévale et dont les premiers artisans furent Martin Luther, Calvin, Zwingli et Bucer. Ils avaient pour objectif de redonner à l’Eglise la pureté des origines chrétiennes. Elle fut protestante.

47 En réponse à la Réforme, il y eut la contre-réforme qui n’est rien d’autre que le mouvement de réforme interne du catholicisme dans le but de restructurer l’Eglise. Le principal objectif des réformateurs catholiques fut d’éliminer la corruption à l’intérieur de l’Eglise, d’éduquer le clergé, de susciter et de renforcer la foi parmi les laïcs et de reconquérir la piété des individus et des communautés qui étaient passés au protestantisme.

48 Il s’agit de l’Eglise et des Inquisiteurs (CARBASSE, 2014, 352).

49 Pour rappel, dans le système accusatoire, l’action pénale pouvait être lancée et poursuivie par une personne privée, en l’occurrence la partie lésée. Elle consistait en une accusation formelle devant le juge qui condamnait si l’accusé reconnaissait son crime ou recourait à Dieu pour demander le signe de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé par la forme de preuve la plus commune de l’époque qu’est l’ordalie. Mais le système ne faisait pas toujours preuve d’efficacité dans la poursuite du crime car il pouvait y avoir fraude dans les ordalies mais aussi ce qu’on qualifierait aujourd’hui de subornation de témoins.

50 Cette nouvelle forme de dénonciation est dangereuse et ouvre la voie à des accusations arbitraires et facilitera les procès de sorcellerie.

51 La littérature sur la démonologie était abondante et les juge ne manquaient pas de s’en servir afin d’avoir une bonne connaissance du sujet.

52 C’est la parque imposée par le diable à ses créatures et qui provoque des points d’insensibilité que le chirurgien est sensé retrouver pour prouver l’accusation.

53 La baignade à un caractère public et consiste en l’immersion de l’accusé dans l’eau. Selon la croyance populaire, le sorcier jeté à l’eau pieds et mains liés ne va pas au fond mais surnage. L’innocent au contraire coule.

54 Celui de produire un aveu, fut-il véridique ou mensonger.

55 Colloque international organisé par le Centre africain des hautes études (CAHE) à Cotonou, du 16 au 19 octobre 2006, sur le thème « Savoir traditionnel et science moderne ».

56 Pour un peuple qui a connu la chasse aux sorcières, une telle incrimination, en plus d’être insuffisante est banale. Et pour cause, en introduisant cet article dans l’ordre répressif des colonies, le législateur colonial entendait réagir contre certaines pratiques qui y avaient cours. Pour ne s'en tenir qu'à la question de la sorcellerie, les jugements par ordalies, les actes de séquestration des mis en cause, étaient, pour les dirigeants français, peu compatibles avec dignité et la liberté humaines. Étant donné par ailleurs qu'ils provoquaient parfois de graves troubles au sein de communautés importantes, ces actes devaient inévitablement provoquer l'intervention du législateur. Il faut rappeler également la conception de la sorcellerie retenue par le législateur colonial. Il s'agit de l'activité d'une personne, fondée sur la croyance en son pouvoir mystérieux, surnaturel. Il importe peu que le pouvoir invoqué soit prétendument malfaisant ou bénéfique. Tout acte qui ne repose pas sur des connaissances rationnelles, relève de la sorcellerie, et peut tomber sous le coup de la loi pénale (BI OULA, 2006, 245).

Une telle position répond bien à l’histoire occidentale de la sorcellerie car ayant eu lieu au moyen-âge, la chasse aux sorcières et la sorcellerie ne sont plus d’actualité pour le colonisateur qui se trouve au moment de la colonisation dans une nouvelle ère, celle de la modernité ou la raison et la science l’emporte sur tout le reste et où la déclaration des droits de l’homme et du citoyen est au centre de toute idéologie colonisatrice. Tel n’était malheureusement pas la conception africaine d’alors et une banalisation d’un tel phénomène a l’effet dont nous traitons.

57 Il correspond à l’article 264 que le législateur colonial avait adopté.

58 A cette époque en effet, les chefs traditionnels et les royautés constituent pour le pouvoir en place une menace et un obstacle sur la voie du marxisme léninisme. Voir IROKO, 2003, 111-124. Cette lutte politique amène le législateur béninois d’alors à mettre une infraction qui porte atteinte aux biens et aux personnes dans la section du Code pénal intitulée : « Résistance, désobéissance et autres manquements envers l’autorité publique ». Cela rappelle le Moyen Age français où le royaume s’approprie et organise la chasse aux sorcières suscitée par les populations.

59 Ladite loi a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité et par la décision DCC 98-035 du 8 avril 1998, la Cour constitutionnelle déclare que l’incrimination « et toute pratique du genre » contenue dans la loi n’est pas conforme à la Constitution. Par cette incrimination en effet la loi voulait réunir et sanctionner toutes les pratiques occultes.

60 On retrouve également la même incrimination dans les Codes pénaux ivoirien, togolais, centrafricain…

61 Maurice KAMTO formule l’interrogation suivante : « Mais comment prouver la sorcellerie ? Comment prouver le meurtre à distance ? Par le déchaînement des forces occultes ou des puissances maléfiques, les voyages mystiques à des milliers de kilomètres sans déplacement physique, uniquement grâce à quelques objets rituels sommaires, et disons-le dérisoires, au moins en apparence » (KAMTO, 1990).

62 Le juge se doit d’établir une relation de cause à effet entre les moyens utilisés et les résultats obtenus.

63 Au Bénin par exemple, il existe une Association nationale des praticiens de la médecine traditionnelle (ANAPRAMETRAB) Le processus d’institutionnalisation de la médecine traditionnelle au Bénin a consacré l’adoption, en 2001, du décret 2001-036 du 15 février 2001 fixant les principes de déontologie et les conditions de l’exercice de la médecine traditionnelle en République du Bénin. Ce décret a permis d’adopter, en 2002, la politique de promotion et d’intégration de la pharmacopée et de la médecine traditionnelles dans le système national de santé. Sur le plan législatif et réglementaire, les actions de plaidoyer et de mobilisation sociale ont permis de rendre disponible un arrêté interministériel pour réglementer la publicité en matière de pharmacopée et de médecine traditionnelles au Bénin. Il s’agit de l’arrêté n° 9960/MSP/DC/SGM/DPED/C-PMT/SA du 03 novembre 2004 conjointement signé par le ministre de la Santé (MS) et le ministre de la Communication et de la Promotion des technologies nouvelles (MCPTN) (Rapport du Ministère de la santé sur la pharmacopée et la médecine traditionnelles au Bénin : état des lieux et perspectives, juin 2009).

64 L’intervention de ces experts traditionnels ne se fait pas dans un contexte officiel, mais leur avis est quand même pris en compte par les magistrats qui recourent à leur expertise. Dans un procès où il fut confronté à des pratiques de sorcellerie, un juge béninois dû recourir aux tradipraticiens afin de maîtriser le prévenu qui s’évada plusieurs fois de la prison par des procédés occultes. Il fallut que ce magistrat rase la tête du prévenu puis l’enduise d’huile rouge de palme afin de neutraliser ses pouvoirs d’évasion (D’ALMEIDA, 2009).

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La lutte contre la criminalité associée à la migration au Mali et au Niger

Abdoul-Aziz Sita Moussa, Docteur En Droit De L'université Des Sciences Juridiques Et Politiques De Bamako

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