N°3 / Insécurité urbaine et protection des mineurs en Afrique de l'Ouest

Commentaire du point 31 du plan marocain pour l'autonomie au Sahara

Salah Eddine Maatouk, Professeur À L'université Sidi Mohammed Ben Abdellah De Fès

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… le royaume adoptera notamment une amnistie générale excluant toutes poursuites, arrestation, détention, emprisonnement ou intimidation de quelque nature que ce soit, fondées sur des faits objet de l’amnistie

Point 31 du Plan marocain pour l’autonomie au Sahara (PMA)

 

Le terme « amnistie », utilisé en droit pénal interne, désigne une mesure législative exceptionnelle qui dépouille rétroactivement de leur caractère délictueux certains faits. Ceux-ci ne peuvent plus être considérés comme tels et sont censés n’avoir jamais été incriminés par le législateur1. Le philosophe Paul Ricoeur, évoque de façon heureuse, « une amnistie institutionnelle invitant à faire comme si l’événement n’avait pas eu lieu »2. Le caractère exceptionnel des lois d’amnistie est d’ailleurs respecté par le juge pénal qui rappelle souvent que, contrairement aux faits justificatifs, elles doivent être interprétées strictement. Les raisons de cette application stricte tiennent à la dimension fictive de l’amnistie et à la volonté du législateur qui, en mesurant son pardon, a entendu exclure tout débordement3.

En droit pénal marocain l’amnistie, tout comme la grâce4, fait partie des causes d’extinction de l’infraction, de l’action publique et des peines. Elle est régie par les articles 495, 516, 93 et 957 du Code pénal marocain et les articles 48, 223, 663 al. 29 et 69010 du Code de procédure pénale marocain. Mais l’amnistie ne relève pas que des éléments de politique criminelle intérieure. Elle s’applique parfois en vertu de la clause d’un traité de paix par laquelle les parties renoncent à leurs griefs, que ceux-ci soient antérieurs ou consécutifs à un conflit armé.

Dans le cadre limité de cette étude, il importe de préciser d’emblée que ce propos est circonscrit à l’examen de l’amnistie prévue dans le point 31 du PMA dans la sphère pénale interne (II) du Maroc après avoir envisagé sa perspective internationale (I).

 

I. L’application du point 31 du PMA dans l’ordre juridique international

La littérature toujours plus abondante qui s’attache à analyser, définir et qualifier les divers actes susceptibles d’émaner des organisations internationales porte témoignage de l’intérêt que suscite la question de l’amnistie11. « Les évolutions de l’ONU, en matière d’amnistie, ont été remarquables, depuis le début des années 1990, elle s’est engagée dans une lutte contre l’impunité qui n’a pas de précédent dans le cadre du droit international »12. Plusieurs de ses organes se sont prononcés dans cette perspective, notamment son Assemblée générale qui, à plusieurs reprises, a exprimé son opposition aux différentes formes d’impunité ou encore le Conseil de sécurité. Il en résulte une très riche série de résolutions traduisant une évolution vers la sanction des violations graves aux droits de l’homme13.

Selon Gabriele Della Morte, la promotion de l’Etat de droit, à partir de la charte des Nations unies, a abouti, à ce que les normes de l’ONU soient adoptées « par les pays du monde entier et incorporées à l’ensemble des Systèmes juridiques des Etats membres, que ceux-ci soient fondés sur la commun law, le droit romain, le droit islamique ou d’autres traditions juridiques »14. Au regard de ce cadre normatif variable, des conséquences doivent être tirées : « les amnisties peuvent contribuer au retour et à la réinsertion de groupes de civils déplacés […] et méritent d’être encouragées15 mais [elles ne doivent] en aucun cas excuser des actes de génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des atteintes graves aux Droits de l’Homme »16.

Cette position est encore affirmée par le comité des droits de l’homme de l’ONU, le comité contre la torture et la Cour européenne des droits de l’homme. Cela dit, aucune prohibition catégorique des amnisties en droit international conventionnel n’existe. Bien au contraire, certaines dispositions semblent les encourager. Ainsi l’article 6, paragraphe 5, du deuxième protocole de 1977, additionnel aux conventions de Genève de 1949, applicable en cas de conflit armé non international, dispose qu’à « l’occasion des hostilités les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé, qui auront été privés de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues ».

Le commentaire de la Croix Rouge indique que son objet est « d’encourager un geste de réconciliation qui contribue à rétablir le cours normal de la vie dans un peuple qui a été divisé »17. Il convient de souligner à cet égard qu’il n’est pas question de pardonner les crimes les plus graves. A titre d’exemple, peuvent être cités les accords de Dayton-Paris mettant fin à la guerre en Bosnie qui contiennent une clause d’amnistie générale ne couvrant pas les crimes relevant de la compétence TPIY18.

Les dispositions du point 31 du PMA sont explicites. La sincérité de la proposition marocaine qu’elles expriment ne fait aucun doute. Si le texte est déjà d’une grande clarté, sa philosophie l’est davantage encore puisqu’il procède à une description particulièrement détaillée de ce mécanisme juridique. Conscient de l’ampleur de l’objectif auquel il participe à travers le point 31, à savoir la réconciliation entre les parties en présence, il définit une nouvelle base devant servir de point de départ à une vie en commun. Celle-ci ne peut réussir sans les dispositions du point 31 qui relèvent donc de l’évidence19.

Force est donc de constater que les prescriptions du point 31 du PMA sont manifestement adaptées aux normes internationales relatives à l’amnistie.

 

II. L’application du point 31 du PMA dans l’ordre juridique interne

L’amnistie, en qualité de mesure exceptionnelle, ne peut émaner que d’une disposition particulière de la loi. En application du principe de légalité criminelle, le législateur est seul apte à incriminer et doit parallèlement être seul à pouvoir faire disparaître le caractère incriminant de ses textes sans être lié par des principes généraux du droit ni par ceux qui auraient pu être utilisés par de précédents textes d’amnistie.

En effet selon l’article 51 al. 1er du Code pénal « l’amnistie ne peut résulter que d’une disposition expresse de la loi » et l’article 71 de la Constitution de 2011 place l’amnistie dans le domaine de loi. Il appartient donc au Parlement de déterminer quels sont les agents ou les infractions qui peuvent en bénéficier. L’étude de l’histoire des lois d’amnistie au Maroc révèle cependant que certaines ont été prises par le roi20, notamment parce qu’à l’époque il n’y avait pas encore d’organe législatif élu.

Le droit de l’amnistie a un caractère strictement national : le législateur est libre d’en fixer les conditions d’application. C’est à lui qu’appartient régulièrement le droit de faire ou de défaire la loi. Il peut amnistier des faits ou des personnes. Il peut ainsi organiser une amnistie réelle qui est attachée à des faits que la loi énumère, abstraction faite de leur auteur sans tenir compte de leur personnalité. L’amnistie réelle opère in rem en raison de son objet même ; elle s’applique à tous les coauteurs ou complices des infractions. Il peut aussi accorder une amnistie personnelle, accordée non en fonction de l’infraction commise mais attachée à des particularités ou des qualités personnelles que la loi prend en considération. L’amnistie personnelle n’opère évidement qu’in personam : c’est le cas des amnisties portées par le dahir du 19 décembre 195521 et le dahir du 8 novembre 196322.

La lecture de l’amnistie prévue par le point 31 du PMA permet d’affirmer qu’il s’agit d’une amnistie à la fois générale et personnelle. Elle est par essence gratuite et n’exige aucune manifestation de repentir ou d’amendement de la part de ceux qui en bénéficient ; elle se suffit à elle-même à jeter le voile de l’oubli sur tel ou tel objet. Le qualificatif « général » utilisé par le point 31 est symptomatique de son caractère global et ne subordonne son application à aucune obligation précise23.

 

L’étude de l’histoire des amnisties en droit marocain révèle cette tradition du pardon et de la réconciliation : fidèle à cet héritage le point 31 du PMA se retrouve entièrement dans cette logique qui est la sienne, à savoir la construction24.

 

 

1 F.-P. Blanc, Droit pénal général marocain, édition Sochepress, 1984, 176 p., p. 137. Voir également J. Pradel, Droit pénal général, Cujas, 22e éd., 2019, 828 p. ; M. Drissi Alami Machichi, Manuel de droit pénal général, édition maghrébine, 1976, 647 p., p 391 et s. ; J. Roche-Dahan, L’amnistie en droit français, th., droit, Aix-en Provence, 1994 ; J.-F. Seuvic, « L’amnistie, une tradition républicaine », RSC, 1996, p. 405 et s.

2 P. Ricoeur, Le juste, Edition esprit, Paris, 1995, p. 205.

3 J. Pradel, « Les limites de l’amnistie en droit français », D. 1966, chron., XXVIII, p. 233-240.

4 La grâce est une faveur d’indulgence par laquelle le roi dispense un agent reconnu coupable et définitivement condamné, soit de poursuite soit de subir sa peine en totalité ou en partie, ou par laquelle il substitue une peine plus douce à celle normalement encourue. Elle peut être soit individuelle soit générale. Par opposition à l’amnistie, la grâce est un acte individuellement déterminé. La grâce exige un nécessairement la force de chose jugée de la condamnation. L’article 53 du Code pénal marocain prévoit que « le droit de grâce est un attribut du souverain » et aux termes de l’article 58 de la nouvelle constitution de 2011 « le Roi exerce le droit de grâce ». Cette institution a été réglementée par le dahir n° 1.57.387 du 16 février 1958 (16 Râjab 1377), BO n° 2365. Elle a été modifiée par le dahir portant loi n° 1.77.226 du 8 octobre 1977 (24 chaoual 1397), BO du 10 octobre 1977.

5 Article relatif aux causes d’extinction, d’exemption ou de suspension des peines.

6 Article relatif à l’origine législative de l’amnistie.

7 Article traitant de l’arrêt de l’exécution.

8 Article relatif aux causes d’extinction.

9 Article relatif au bulletin n° 1 du casier judiciaire.

10 Article relatif à la réhabilitation judicaire.

11 Voir M. Delmas-Marty (dir.), Les sources du droit international pénal, 2004, p. 488.

12 G. Della Morte, Les amnisties internationales, Paris, 2007, p. 55.

13 Ibid., p. 56.

14 Rapport du secrétaire général des Nations unies intitulé : rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en paroi à un conflit ou sortant d’un conflit Doc. S/2004/616, 3 août 2004, p.5 cité par G. Della Morte, op. cit., p. 57.

15 Selon le point 30 du PMA « le royaume du Maroc prendra toutes les mesures nécessaires afin d’assurer aux personnes qui seront rapatriées une réinsertion complète au sein de la collectivité nationale, dans des conditions garantissant leur dignité, leur sécurité et la protection de leurs biens ».

16 G. Della Morte, op. cit., p. 57.

17 CICR, Commentaire des protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949, Martinus Nijhof, Genève, 1986, p. 1426, n° 4618, cité par Gabriele Della Morte, op. cit., p. 44.

18 Ibid.

19 Parallèlement l’évolution tend vers une plus grande protection de l’individu, reconnu plus nettement comme sujet de droit international. C’est ainsi que la déclaration universelle des droits de l’homme a institué un mécanisme juridictionnel qui autorise l’exercice d’un droit de recours pour l’individu.

20 Il convient de citer à nouveau quelques lois d’amnistie : le dahir du 23 novembre 1954 portant amnistie, BO n° 2198 du 10 décembre 1954 ; le dahir du 19 décembre 1955 portant amnistie, BO n° 2252 du 23 décembre 1955.

21 BO, 1955, p. 1871 : « Par esprit de justice et d’équité, il y a lieu d’annuler toutes les condamnations prononcées au cours de la période comprise entre le 11 janvier 1944 et le 7 décembre 1955, par les juridictions chérifiennes, contre les Marocains qui ont voulu exprimer leur attachement à notre majesté et notre trône chérifien. Il convient aussi par esprit de justice, d’arrêter et d’annuler toutes les poursuites engagées pour les mêmes faits, commis avant le 7 décembre 1955, date de la constitution de notre gouvernement. Art. 1er. Ne sont pas punissables les faits ayant donné lieu entre le 11 janvier 1944 et le 7 décembre 1955, à des poursuites judiciaires ou à des condamnations prononcées par les juridictions chérifiennes, lorsque ces faits ont été inspirés par des mobiles d’ordre politique ou patriotique. ,Art. 2. En vertu des prescriptions ci-dessus sont annulées toutes les poursuites engagées auprès des juridictions chérifiennes contre nos sujets pour les motifs mentionnés à l’article premier. Art. 3. Sont également annulés tous les arrêts définitifs prononcés par les juridictions, pour les motifs mentionnés à l’article premier ».

22 BO du 16 novembre 1963, n° 2664, p. 1761.

23 Le Salvador et Haïti ont opté pour une amnistie conditionnée ; l’Algérie, le Chili, la Côte d’Ivoire, la Croatie et le Guatemala ont prévu des amnisties non conditionnées.

24 Le point 34 du PMA en est la conséquence logique. En effet, il précise que « […] le Maroc s’engage à négocier, de bonne foi, dans un esprit constructif d’ouverture et de sincérité, afin de parvenir à une solution politique définitive et mutuellement acceptable à ce différend dont la région pâtit. A cet effet, le royaume est disposé à apporter une contribution active à la mise en place d’un climat de confiance qui pourra aboutir au succès de ce projet ».

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Cheikh Sene, Docteur En Droit Privé Et Sciences Criminelles, Enseignant-Chercheur À L'université Alioune Diop De Bambey, Sénégal

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