N°4 / Violences contemporaines : la prison en question en Afrique de l'Ouest

Insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale dans la ville de Divo (Côte d'Ivoire)

Raymond Nébi Bazare, Maître De Conférences En Criminologie Université Félix Houphouët Boigny, Cocody-Abidjan, Côte D’ivoire, Gbalawoulou Dali Dalougou, Maître Assistant En Sciences Sociales Et Humaines Université Jean Lorougnon Guédé De Daloa, Aguiri Denis Adou, Assistant À L’ufr Criminologie Université Félix Houphouet Boigny Cocody-Abidjan, Côte D’ivoire

Résumé

Cette étude vise à comprendre le phénomène de l’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale en vue de suggérer des mécanismes de prévention de cette réalité sociale. Elle a été menée dans la ville de Divo au sud- ouest de la Côte d’Ivoire. Elle a été réalisée à l’aide des méthodes historique, dialectique et comparative. L’étude documentaire, l’observation et l’enquête-interrogation ont été les outils de recueil des données. Lesquelles données ont été analysées aussi bien quantitativement que qualitativement. L’enquête a montré que les périodes électorales évoquent le plus souvent désordres, inégalités, contradictions, misères, entassement, insécurité, vols, meurtres, drogues, proxénétisme dans certaines localités dites « villes chaudes » à l’instar de Divo. Ici, se mêlent violences d’origine politique et autres actes d’insécurité. Ainsi, le phénomène étudié est lié à trois facteurs majeurs : la résurgence des crises et tensions socio-politiques mal, peu ou non gérées ; l’ampleur des actes ou phénomènes criminels émanant des militants et autres acteurs politiques ; le sentiment d’insécurité grandissant (peur et méfiance au sein des populations). Ce phénomène influence négativement les conditions de vie et de travail des populations, ainsi que la cohésion sociale. Cela nécessite une action systématique, urgente et efficace visant à réinstaurer le sentiment de sécurité perturbé en milieu urbain, notamment en Côte d’Ivoire.

Abstract : This study aims to understand the phenomenon of urban insecurity linked to the political field during electoral periods to suggest mechanisms for preventing this social reality. It was conducted in the town of Divo in the south-west of Côte d'Ivoire. It was carried out using historical, dialectical, and comparative methods. Documentary study, observation and survey-questioning were the tools for collecting data. Which data were analyzed both quantitatively and qualitatively. The survey showed that electoral periods most often evoke disorder, inequality, contradictions, misery, overcrowding, insecurity, theft, murder, drugs, pimping in certain localities called "hot cities" like Divo. Here, violence of political origin and other acts of insecurity mingle. Thus, the phenomenon studied is linked to three major factors: the resurgence of socio-political crises and tensions that are badly, little, or no managed; the extent of criminal acts or phenomena emanating from activists and other political actors; the growing feeling of insecurity (fear and mistrust within the populations). This phenomenon negatively influences the living and working conditions of populations, as well as social cohesion. This requires systematic, urgent, and effective action aimed at restoring the disturbed sense of security.

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I. Introduction : quelques repères théoriques

Le monde entier a depuis toujours été bouleversé par des crises de toute sorte et de toute nature : crises politiques, crises économiques, crises sanitaires, crises alimentaires, crises sociales, etc. L’Afrique est beaucoup plus secouée par les crises sociopolitiques, notamment en lien avec les élections. Cela nous plonge dans l’examen d’un thème central de portée mondiale, qui a émergé et qui depuis, suscite analyses et commentaires : l’insécurité. Que contient ce concept ?

Avec Peyrefitte (1977), on réalise que l’insécurité dans le monde est souvent prise comme une angoisse cristallisée sur la peur d’être victime d’un crime. L’auteur indexe également les moyens de communications comme source d’insécurité. Cela confirme les dires de Garoscio (2006) selon lequel la place accordée à la violence par les médias contribue grandement à alimenter le sentiment d’insécurité. Pour Moser (2004), ce qui compte dans un contexte d’insécurité, c’est la capacité de faire face à un acte délinquant, notamment en termes d’attribution causale.

Ainsi, l’insécurité est-elle considérée comme « un déficit d’appropriation environnementale qui s’accompagne d’un sentiment d’absence de contrôle », et comme une préoccupation pour la sécurité traduisant une inquiétude diffuse au sujet du crime et ses causes supposées. Elle apparaît comme très liée à l’âge, aux positions politiques de droit ou externe, et à un faible capital éducatif. Des psychologues comme Kessié (1996) s’accordent pour dire que l’insécurité est le fait d’individus souffrants d’un processus défectueux de la socialisation. Pour Renner (1999), l’insécurité réside dans l’évolution de la société, de l’économie et de l’environnement de plus en plus marquée non seulement par la fragmentation liée à la montée du « tribalisme » mais aussi par la mondialisation. C’est ainsi que Pinatel (1971) disait que la criminalité de nos jours n’est plus un phénomène résiduel, mais un phénomène caractéristique de notre société en mutation.

En Côte d’Ivoire, le lien de l’insécurité avec les élections interpelle plus d’un. En effet, le scrutin électoral comme moyen de légitimation des institutions de gouvernance, constitue l’un des principaux éléments qui sont à l’origine des violences et de l’insécurité urbaine. Selon Madior et Houkpé (2010), les élections, organisées pour aboutir à une transmission pacifique du pouvoir à un autre régime, font le nid de conflits sociopolitiques. Lesquels conflits débouchent sur des violences et autres actes de délinquance, et accroît le sentiment d’insécurité.

Toutefois, il est essentiel de distinguer la violence de l’insécurité. En effet, la première consiste en des actes, tandis que la seconde est liée aux conséquences de ces actes qualifiés d’émotions (Rouleau, 1997). Néanmoins, la thématique abordée dans cette étude invite à ne pas ignorer la violence électorale dans les manifestations de l’insécurité, notamment urbaine et en lien avec le champ politique. Et c’est avec Bourdieu (2002), que l’on appréhende mieux les spécificités de l’insécurité urbaine rattachée au « champ politique ». Son œuvre, en effet, interroge directement la science politique. Pour lui, cette « pseudo science » n’est qu’une mystification visant à légitimer la vision dominante de la politique comme lieu de conquête du pouvoir et de production idéologique. Il oppose à cette conception la nécessité d’étudier la question politique à travers les conditions sociales de production et de réception du discours politique, afin de dévoiler la violence symbolique inscrite au cœur de la politique.

Cette approche permet de percevoir les caractéristiques essentielles de la saisie faite par Bourdieu du champ politique. Ce paradigme nous aide à appréhender les faits sociaux tels que l’insécurité urbaine, en lien avec le phénomène politique. Le champ politique des villes ivoiriennes dites à risque en période électorale, est l’un des espaces de la domination symbolique, dans la mesure où il produit des rapports de sens qui fondent la dignité ou l’indignité sociale : impuissance à participer au jeu, incapacité à en changer les règles et/ou à le disqualifier. Mucchielli (2010), lui, écrit que depuis le début du XXe siècle, trois périodes ont vu ce thème dominer le débat public. Dans les années 1905-1910, c’est la figure des « apaches » qui cristallise les peurs et incarne cette dangerosité supposée (existence de phénomènes de délinquance qui doivent être suffisamment nombreux pour alimenter la chronique quotidienne des faits divers). Au tournant des années 1950-1960, c’est celle des « blousons noirs » (instrumentalisation politique de ces phénomènes délinquants) ; et, depuis le début des années 1990, celle des « jeunes des cités » (mise en scène médiatique quotidienne de cette délinquance, soit par le biais des faits divers soudainement transformés en faits de société, soit en offrant une caisse de résonnance permanente aux effets d’annonces politiques relayés sans distance d’analyse).

A la suite de tous ces auteurs, on note qu’en dépit de plus d’une décennie d’adoption d’une politique de gouvernance démocratique, les indicateurs démocratiques sont relativement inchangés et la violence électorale semble entraîner des répercussions néfastes sur la perception des citoyens, sur la démocratie. On note, en effet, une ampleur des actes d’insécurité en période électorale et la crainte de nouvelles violences à l’approche de toute élection. Ces climats délétères ne laissent personne indifférent au point d’interpeller la communauté scientifique. Ainsi, dans bon nombre de villes de la Côte d’Ivoire (Bonoua, Divo, Bongouanou, Abengourou, Daoukro, Dabou…), face au bouleversement démographique et malgré le métissage, la cohésion sociale se serait effritée avec les crises sociopolitiques de plus en plus récurrentes dans le Pays. En effet, le phénomène de la criminalité en période électorale, par son ampleur, a permis de prendre un certain nombre de mesures : répression, maintien d'ordre, sécurité des biens et des personnes (publics et privés). Cependant, en dépit de l’existence de ces actions de lutte et de ces dispositions, l’insécurité continue de gagner du terrain avant, pendant et souvent après les scrutins électoraux dans les villes dites « Zones rouge ».

Notre étude voudrait s’intéresser aux actes ou phénomènes criminels émanant des acteurs politiques (responsables, militants, sympathisants) lors des élections dans les villes ivoiriennes. Ainsi, notre sujet s’intitule : « Insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale dans la ville de Divo (RCI) ». Il s’agit d’analyser la situation sécuritaire précaire qui prévaut toutefois qu’il y a des élections organisées au niveau politique.

Pourquoi les périodes électorales sont-elles émaillées d’actes d’insécurité urbaine liée au champ politique ? Autrement dit, comment le champ politique suscite-t-il des actes d’insécurité en période électorale ? Cette étude vise donc d’une part à élucider les faits d’insécurité liée au champ politique lors des élections ; et d’autre part, à mettre en lumière la situation des victimes et relever la nécessité, voire l’urgence de la prévention du phénomène.

Pour atteindre ces objectifs et répondre aux questions de recherche, il nous a fallu formuler les hypothèses suivantes :

H1 : Les moments de fortes tensions déterminent l’insécurité dans le champ politique à Divo en période électorale.

H2 : L’insécurité dans le champ politique à Divo en période électorale est favorisée par le jeu des acteurs politiques.

H3 : Le fort sentiment d’insécurité des populations explique l’ampleur des actes d’insécurité urbaine en période électorale à Divo.

 

II. Méthodologie

1. Site et Participants

Cette étude a été effectuée dans la commune de Divo.

Il s’agit des villages et quartiers suivants : Bada, Konankro, Boudoukou, Libreville, Dialogue, Libanais. Toutefois, notre attention s’est portée sur l’ensemble des villages et quartiers « chauds » ; c’est-à-dire Bada, Libreville, Dialogue 1 à 5, Konankro, Boudoukou, Libanais, Dioulabougou, Vatican. Elle s’est déroulée auprès des acteurs et responsables politiques (leaders, militants et sympathisants de partis politiques), des autorités administratives, judiciaires et coutumières, des opérateurs économiques, des membres d’associations et de mouvements dits apolitiques (transporteurs, commerçants, vendeurs et acheteurs de produits, gérants de magasins de cacao, présidents des jeunes, présidentes des femmes…), des agents de sécurité (policiers, gendarmes, etc.), des populations tout venants (fonctionnaires et agents de l’Etat).

L’échantillon d’enquête est constitué de cent quatre-vingts enquêtés.

2. Méthodes et outils

Les méthodes suivantes ont été utilisées :

-Méthode historique : elle nous a aidé à savoir pourquoi les actes d’insécurité varient des périodes ordinaires aux périodes électorales.

-Méthode comparative : elle a permis de relever les spécificités des faits d’insécurité urbaine qui surviennent en période électorale. Elle a également permis de rechercher les dissemblances qui résident dans l’occurrence des faits d’un quartier et/ou d’un village relique (insérés dans la ville) à un autre.

-Méthode dialectique : elle a permis d’opérer une « triangulation » des faits, d’entendre des versions des faits de la part des populations et des subordonnées qui n’étaient pas toujours conformes aux discours officiels (des instances), ou d’entendre des versions des faits dans des apartés qui n’étaient pas toujours conformes aux discours tenus en public, comme dans le cas de nos entretiens avec certains taximètres.

Les données ont été recueillies à partir de trois techniques à savoir :

-Recherche documentaire : elle a porté sur des ouvrages spécialisés et des mémoires que nous avons parcourus à la bibliothèque de criminologie et sur des sites web.

-Observation : cette méthode de collecte des données s’est faite d’une part de manière indirecte et d’autre part de façon directe. A partir d’une grille d’observation, nous avons observé le comportement des acteurs politiques.

-Enquête-interrogation : un guide d’entretien à caractère semi-directif et constitué de questions ouvertes a été utilisé. En plus, le questionnaire a permis d’établir des statistiques sur le phénomène étudié.

Les données de l’étude ont été analysées aussi bien qualitativement que quantitativement. L’analyse qualitative a permis de comprendre l’insécurité dans le champ politique en période électorale à travers les réponses des enquêtes. L’analyse quantitative a permis d’évaluer l’ampleur de l’insécurité dans le champ politique en période électorale en données chiffrées et vérifier la logique qui sous-tend ce phénomène.

 

III. Résultats

1. Types d’actes traduisant l’insécurité urbaine liée au champ politique et manifestations du phénomène

1.1. Types d’actes et manifestations de l’insécurité urbaine ?

Les évènements des années 2016 et 2020 illustrent assez bien le cheminement de l’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale à Divo. Les propos TS illustrent cette assertion : « le camion caravane d’un candidat fut incendié par les partisans de l’un de ses adversaires lors des élections de 2016 ».

A cela s’ajoutent les actes de violence exacerbée accompagnée de meurtres, de pyromanies, de cambriolages et autres actes de vandalisme suscités par le climat politique au cours de la période électorale de 2020. Les apparentes contradictions entre les communiqués officiels et les témoignages du terrain obligent, mieux invitent à regarder au-delà des statistiques policières et judiciaires, et à distinguer deux regards sur la criminalité : celui de l’Etat et celui de la société.

En effet, la première constatation est la permanence d’une criminalité regardée comme passagère, spécifique aux périodes électorales : des actes qui ne sont pas perçus comme relevant d’un dysfonctionnement social et ne suscitant donc pas une réaction sociale classique, voire sérieuse. Ces actes sont très souvent stigmatisés et leur règlement est pris en charge par les victimes elles-mêmes. Ils n’inquiéteront les autorités compétentes qu’en raison du surarmement populaire (circulation illicite des ALPC et usage fréquent d’armes blanches). La police n’a pas indiqué avoir saisi des armes à feu parce que, selon un agent interrogé, ils n’ont pas reçu d’ordre de désarmer quiconque : juste des missions d’interposition pour réduire les risques pouvant conduire au chaos.

La seconde constatation est que les banques, les stations à essence et les bijouteries ne sont à peu près jamais attaquées ; les voitures sont rarement volées ; les domiciles attaqués sont ciblés. La troisième constatation est que l’oisiveté des jeunes nourrit la petite et moyenne délinquance (escroquerie, duperies, abus de confiance, etc.) en période électorale.

Ce qui fait la spécificité des actes d’insécurité en période électorale à Divo, ce sont les actes d’affrontements et de violences (verbales, physiques), les troubles à l’ordre public, le cambriolage chez des personnalités politiques ciblées. Des gangs de militants et sympathisants en rupture de paix et de cohésion, se livrent à des batailles rangées spectaculaires. Le stress urbain est l’un des objets et facteurs d’inquiétude en période électorale à Divo.

Ces actes ont fini par engendrer la peur qui donne à son tour naissance à l’insécurité et à l’auto- défense individuelle. En somme, les actes d’insécurité sont de plus en plus violents, meurtriers, professionnels ; et ils paraissent confinés dans certains quartiers comme Bada, Konankro, Libreville, Boudoukou, Dialogue, Libanais, etc.

Mais quels sont les actes concrets qui traduisent l’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale à Divo ?

1.1.1. Typologie des actes d’insécurité en période électorale

Les résultats ont permis de constater que 23,7 % soit 56 de nos enquêtés sont victimes de vol de leurs biens pendant la période électorale. Ensuite, 19,9 % où 47 personnes sont agressées durant la période électorale, en plus 50 % soit 118 personnes subissent des violences. Ensuite, nos résultats confirment que huit personnes sont mortes pendant la période électorale. On note aussi 3 %, soit sept personnes, qui ont vu leurs magasins être pillés.

1.1.2. Manifestations du phénomène

1.1.2.1. Déroulement des actes d’insécurité

Le déroulement des actes d’insécurité liée au champ politique à Divo en période électorale s’appréhende à trois niveaux : avant, pendant et après le scrutin.

1.1.2.1.1. Avant le scrutin

La période électorale commence avec l’enrôlement des électeurs qui, selon les enquêtés suscite de réelles tensions, frustrations et autres actes de violences (empêchement de certains individus à se faire enrôler, bagarres, etc.). Dans le champ politique, cette phase est dite très importante pour tous les acteurs politiques, au point que tout dérapage ou débordement tant au niveau du discours que des faits peut susciter des actes d’insécurité. Les résultats indiquent les actes d’insécurité qu’ils ont subi, sortes d’actes délictuels pendant la période électorale. Le cas des meetings est mieux perceptible avec les propos de KAS : « après le lancement de la campagne, deux jours après, nous sommes allés au meeting de notre candidat à la place Henry Konan Bédié, ex-jardin public de Divo de 16h à 18h. Mais aux environs de 17h par-là un groupe de jeunes est venu nous attaquer avec des bois en main. En se défendant, celui-ci n’a pas pu se terminer comme on l’a souhaité. Et malheureusement, ça toujours été comme ça pour n’importe quelle élection ici à Divo depuis 2010 ».

Et, nous avons constaté que les actes d’insécurité inhérents au champ politique commencent le plus souvent en période électorale. L’on pourrait remonter un peu plus loin, comme dans le cas de l’annonce de la candidature du président Alassane Ouattara à l’élection présidentielle de 2020. Les différentes versions des faits émanant des enquêtés convergent vers le témoignage ci- après : « Tout a commencé dans la matinée du 21 août 2020. Une centaine de femmes issues de l’opposition, principalement du Front populaire ivoirien (FPI), du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), de l’EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté), etc. ont entamé une marche pour contester la candidature du président sortant pour un troisième mandat. Elles étaient encadrées par des jeunes et les responsables locaux des partis d’opposition. Arrivés à la gare de transport d’Hiré que les marcheurs n’entendaient pas traverser mais simplement contourner, les manifestants sont bloqués par les transporteurs. Le ton monte, l’un des responsables de Parti (FPI) est blessé. Voilà comment la situation va dégénérer et se transformer en guerre des pierres pendant trois heures de temps au moins. Mais le calme est revenu à la suite d’une médiation. C’est alors qu’un maquis a été brûlé, tuant un adolescent qui y travaillait pour les vacances. Accusant les transporteurs, les jeunes ont brûlé la gare ».

D’autres témoignages s’ajouteront en ces termes : « La ville veille toute la nuit. Les affrontements reprennent le lendemain matin aux aurores et s’étendent à plusieurs quartiers. Sur fond d’opposition politique et de différends communautaires entre autochtones Dida et allogènes Dioula (Malinké), certains en profitent pour régler leurs comptes. Il a fallu l’arrivée de renforts policiers d’Abidjan pour que la situation soit contrôlée. Le bilan était lourd : sept morts et des dégâts matériels considérables. »

1.1.2.1.2. Au moment du scrutin

Encore appelée phase de la joute électorale (moment du vote), c’est à ce moment que le peuple a son mot à dire quant au choix de son représentant, de son porte-parole. Cette phase révèle la très grande importance des électeurs qui se bousculent le jour j une fois convaincus ou qui s’abstiennent s’ils ne perçoivent aucun enjeu à cette opération. Il y en a qui, non pas parce qu’ils sont convaincus par un candidat, s’aventurent dans les bureaux de vote pour un vote sanction contre des acteurs politiques. Les moments de joutes électorales s’érigent en « calvaire » pour les populations comme l’affirme l’un de nos enquêtés PR : « moi matin après mon bain aux environs de 9h, je me suis rendu à mon bureau de vote EPP Konankro Amitié, tous se passaient dans le calme mais vers les 12h les gens sont venus de nulle part pour s’en prendre à nous, mais dans ça là, on ne sait pas laisser faire quand même hein. Il y a eu des blessés et d’autres sont rentrés à la maison et les choses ont repris après ».

1.1.2.1.3. A la fin du scrutin

Cette dernière phase prend en compte le dépouillement, le convoyage des urnes et du matériel de vote, la proclamation des résultats provisoires, les réclamations et la consolidation et la proclamation des résultats définitifs. Ces étapes suscitent beaucoup de tensions entre les candidats, les partisans, sympathisants et aussi entre les différentes communautés. En cas de résultats tronqués, la situation peut faire place à la désolation au sein de la population par des troubles de toutes sortes, comme le confirme un enquêté, agent de la CEI dans l’un des bureaux de vote : « j’ai été le responsable dans un centre de vote et au moment du dépouillement des bulletins des jeunes gens, je dis bien des jeunes gens sont venus prendre les urnes de force pour les détruire avec une violence au point même que tu ne peux pas t’opposer à eux. Et il faut dire que c’est vraiment malheureux, on sait tous pour qui ils font ça, bon mais on n’a pas le choix donc c’est ça ». Nous pouvons comprendre par-là que pendant les périodes électorales, il y a des actes de criminalité qui mettent à mal la sécurité des personnes, voire des biens.

1.1.2.1.4. Actes d’insécurité communs aux trois phases

Des actes sont observés pendant chacune des étapes du cycle électoral : il s’agit principalement des violences électorales. Ils se produisent tantôt avant ou pendant le jour du scrutin. Ils ont lieu aussi juste au lendemain des élections.

1.1.2.2. Auteurs et victimes de l’insécurité en période électorale
1.1.2.2.1. Auteurs de l’insécurité en période électorale

Deux types d’auteurs : l’un s’attaque aux biens (il vole ou cambriole, parfois pour faire vivre sa famille. Il use de la surprise ou de la ruse pour s’approprier ce qu’il convoitait et prend la fuite si sa tactique était mise en échec. Il produit des conditions sociales et est en quelque sorte toléré par ses victimes potentielles dans une sorte de duel « à malin, malin et demi » où n’était en jeu que de l’avoir). Le second s’attaque aux personnes ; il est porteur de mort et fait peur. Il est considéré par la majorité comme relevant de motivations plus individuelles (jalousie, vengeance, etc.). En période électorale, à Divo, ces deux catégories se retrouvent impliquées dans les actes d’insécurité perpétrés.

L’étude a permis de constater que 53,76 % des auteurs et responsables de toutes sortes de violences sont des jeunes. En outre, on note une fréquence de 31,18 % des adultes âgés de 25 ans et plus qui s’adonnent à des activités délictuelles telle que les agressions et les vols pendant la période électorale. Par ailleurs, les résultats montrent que 15,06 % des enquêtés soulignent que l’insécurité dans le champ politique à Divo est le fait des personnes non identifiées.

1.1.2.2.2. Victimes de l’insécurité en période électorale

Concernant les victimes de l’insécurité dans le champ politique, on note qu’aucune couche sociale n’est épargnée. En effet, les victimes des violences, des vols et des agressions sont les riverains (les fonctionnaires, commerçants, élèves et autres), comme l’un de nos enquêtés ouvriers à la scierie de Divo le dit : « moi quand je revenais du travaille pour aller à la maison, je ne savais pas ce qui se passait et à ma surprise suis tombé sur un groupe de jeunes entre la mairie et justice de Divo près du terrain en face de la poste qui ne m’ont pas fait cadeau en me prenant tous ce que j’avais sur moi et blessé de tout parts ».

Parallèlement, les opérateurs économiques ne restent pas en marge de la situation d’insécurité dans le champ politique dans la ville de Divo surtout pendant la période électorale. Généralement, ils sont victimes de pillages et parfois de meurtres de leurs personnels. Cela est confirmé par notre enquêté gérant du maquis-bar le Guichet-unique du quartier Grémian : « J’étais au bar toute la journée et aux environs de 00h il y a eu coupure de courant et c’est comme ça je suis rentré à la maison et au lendemain arrivé au bar, je constate les vitres ont été cassées, saccagés et tous comme télé, fauteuils et accessoires ont été emportés ».

Aussi, pour ceux qui ont des magasins de vente de denrées alimentaires, ils sont victimes de vol de leurs produits et parfois même de l’argent, selon DT : « Ici, quand y a élection et ils commencent les affrontements, c’est d’abord nos magasins ils viennent casser pour soulever les sac de riz, les bidons de huile et ce qui est sûr beaucoup de choses quoi, mais nous on perd, on perd de l’argent et maintenant que on les connaît nous on va fermer nous boutiques quand ça va arriver parce que c’est pas bon, on est ici nous chercher pas palabre mais c’est toujours eux qui venir provoquer nous ». Il en est de même pour les vendeuses du grand marché et des petits marchés de proximité des différents quartiers de la ville de Divo.

Des victimes affirment que la police, qui est chargée de garantir leur sécurité, ne le fait pas avec clarté et est de connivence avec les auteurs de ces crimes qui ont lieux sur leurs espaces : « nous avons remarqué lorsqu’il y a affrontement entre nous la population ou entre les différentes communautés, on a l’impression que la police soutient un camp et quand même il s’agit des violences en période électorale, l’intervention de la police est lente et non seulement quand-ils arrivent au lieu de mettre de l’ordre mais au contraire ils favorisent un côté juste pour nous faire mal et donc on a plus confiance à la police ».

En somme, les actes d’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale se manifestent par la violation du cadre juridique, les paroles blessantes ou indécentes, les assassinats, les coups et blessures entre supporters rivaux, l’intimidation des adversaires, des électeurs ou des agents électoraux, le bourrage des urnes, l’exclusion de communautés. Il existe donc entre autres : la violence électorale verbale et symbolique, la violence électorale psychologique, la violence électorale physique et la violence électorale structurelle ou institutionnelle. Dans l’un ou l’autre des cas, les électeurs peuvent être empêchés de participer au vote, contraints de choisir un candidat contre leur gré.

1.1.2.3. Attitudes et comportements des populations vis-à-vis de l’insécurité urbaine

La perception et les comportements des populations sont liés à l’évolution de la criminalité ; celle-ci a connu un changement aussi bien qualitatif que quantitatif ; une évolution tant dans la forme que dans la nature et l’intensité ou la fréquence. En effet, la criminalité, dans l’imagerie populaire, est essentiellement le fait d’allogènes. Cette vision est soutenue, consciemment ou inconsciemment, par la presse écrite notamment, parce que chaque fois qu’il y était question de criminels, il s’agissait la plupart du temps de malinké, burkinabé, maliens et guinéens dont les photographies étaient largement diffusées. « Ces mêmes allogènes entrent en scène lors des élections pour compétir avec les autochtones. Ils sont perçus comme les agents déclencheurs des actes d’insécurité ».

Ainsi, bien que les premières causes de la criminalité demeurent, elles sont consolidées par un phénomène nouveau. Non seulement la proportion d’étrangers auteurs d’infractions n’a pas diminué, mais aussi et surtout celle des « divolais » ivoiriens a commencé à augmenter à une allure vertigineuse pour cause surtout de chômage.

 

2. Facteurs explicatifs et conséquences de l’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale à Divo

2.1. Facteurs explicatifs

Les résultats montrent que pour 58 % soit 189 enquêtés, l’insécurité est due à la fraude électorale. En outre, pour 15 % soit 50 enquêtés, l’abus de pourvoir favorise l’insécurité. On note également pour 12 % des enquêtés que les tensions socio-politiques étaient en état de latence. Par ailleurs, 7 %, soit 25 personnes et 3 % des revendications, soit 10 enquêtés estiment que les contradictions qui ont lieu entre les acteurs politiques ne favorisent pas un climat de paix. En fin de compte, 5 % des enquêtés mentionnent le non-respect des promesses électorales comme une source des conflits.

2.2. Conséquences

Les conséquences des actes d’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale à Divo se retrouvent tantôt à un niveau psychologique et social, tantôt sur le plan économique.

IV. Discussion et conclusion

Cette étude vient confirmer encore une fois l’existence de l’insécurité qui se développe et change de nature selon les villes et les périodes. L’augmentation massive des violences contre les personnes, la transformation d’une délinquance contre les biens en des agressions physiques, génèrent une demande sociale de sécurité plus forte que jamais. Parallèlement, cette recherche se veut une sorte de criminogénèse. En effet, elle contribue à dépister les signes avant-coureurs des actes d’insécurité en période électorale en milieu urbain et semi-urbain, sur la base de données empiriques, statistiques et d’analyses approfondies de la réalité sociale étudiée.

L'objectif de ce travail n’est ni subversif, ni partisan, encore moins de remuer le couteau dans la plaie. Il est plutôt question de revenir et d’élucider des faits constitutifs de violations graves des droits de l’homme, mais qui n’ont pas été suffisamment relayés, alors qu’il y a eu plusieurs centaines de victimes dont certaines n’ont toujours pas eu de recours. Les résultats obtenus confirment chacune de nos hypothèses. Enfin, depuis 2010, le phénomène de l’insécurité urbaine liée au champ politique en période électorale se pérennisant et se généralisant à Divo et dans certaines villes du pays, il est souhaitable que d’autres études plus approfondies soient menées dans l’ensemble de ces villes pour évaluer davantage et prévenir la criminalité en cette période. Mais aussi pour obtenir une vue panoramique, voire un portrait assez détaillé de ce phénomène, gage de succès de la mise en place d’une politique de prévention.

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Stratégies d'évitement de la prison en Côte d’Ivoire

Konan Georges Gaulithy, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Aka Célestin Aboudou, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Salia René Sahi, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

L’objectif de cette étude est de mettre en lumière les mécanismes qui sont mis en œuvre par les personnes en contact avec le système judiciaire afin d’éviter, par tout moyen, la prison. Pour ce faire, la méthodologie sur laquelle repose cette étude prend en compte l’étude documentaire associée à un questionnaire et des entretiens semi-dirigés. Pour l’analyse des données recueillies, une approche mixte (quantitative et qualitative) a été privilégiée. Les résultats indiquent le dépôt de plainte comme la phase majeure...

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