N°4 / Violences contemporaines : la prison en question en Afrique de l'Ouest

Les cellules civilo-militaires à l'épreuve de l'extrémisme violent dans la zone frontalière nord de la Côte d'Ivoire

une analyse criminologique

Koko Lucie N'goran, Maître De Conférences, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Patrice M'bétien Kone, Assistant, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Cyrille Julien Sylvain Yoro, Maître-Assistant, Ufr Criminologie, Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan

Résumé

Dans un contexte d’effritement des rapports sociaux, de risques sécuritaires grandissants et de menaces des groupes extrémismes dans les régions de la zone frontalière du nord de la Côte d’Ivoire, une étude exploratoire a été réalisée afin de tenter d’apporter des solutions à partir de l’action des cellules civilo-militaires. Ainsi, la présente étude vise à analyser les capacités organisationnelles et le fonctionnement des cellules civilo-militaires de la zone frontalière du nord de la Côte d’Ivoire face à l’extrémisme violent. L’étude a été menée dans neuf localités couvrant les régions de la zone frontalière du nord de la Côte d’Ivoire, à savoir les régions du Bounkani (Bouna, Doropo, Téhini), Tchologo (Kong, Ferkessédougou, Ouangolodougou), Folon (Minignan, Kaniasso) et du Poro (Korhogo). A l’aide de l’échantillonnage par choix raisonné 109 participants issus des cellules civilo-militaires ont pris part à cette étude. Les entretiens et les focus groups réalisés ont servi d’outils de collecte de données. L’analyse qualitative ainsi que l’analyse de contenu du discours ont rendus significatives les données recueillies. Les principaux résultats révèlent que des déterminants sociaux relatives aux tensions communautaires affaiblissent les capacités d’actions des cellules civilo-militaires face à la menace des groupes extrémistes. Ces résultats restent les conclusions majeures qui ressortent de cette étude diagnostique des capacités organisationnelles et du fonctionnement des cellules civilo-militaires.

Abstract : In a context of eroding social relations, growing security risks and the threat of extremist groups in the regions of the northern border area of Ivory Coast, an exploratory study was carried out in an attempt to provide solutions based on the action of civil-military cells. Thus, this study aims to analyze the organizational capacities and functioning of civil-military cells in the border area of northern Ivory Coast in the face of violent extremism. The study was conducted in nine localities covering the regions of the northern border area of Ivory Coast, namely the regions of Bounkani (Bouna, Doropo, Téhini), Tchologo (Kong, Ferkessédougou, Ouangolodougou), Folon (Minignan, Kaniasso) and Poro (Korhogo). Using reasoned choice sampling, 109 participants from the Civil-Military Cells took part in this study. The interviews and focus groups conducted were used as data collection tools. Qualitative analysis as well as discourse content analysis made the data collected meaningful. The main results reveal that social determinants relating to community tensions weaken the capacity for action of civil-military cells in the face of the threat of extremist groups. These results remain the major conclusions that emerge from this diagnostic study of the organizational capacities and functioning of civil-military cells.

 

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I. Introduction : quelques repères théoriques

Située dans la zone intertropicale de l’Afrique de l’ouest, la Côte d’Ivoire couvre une superficie de 322 462 km2. Elle est limitée au sud par l’océan Atlantique, à l’est par le Ghana, au nord par le Burkina-Faso et le Mali et à l’ouest par la Guinée et le Liberia. Estimée en 2022 à 29 millions d’habitants (RGPH, 2021), la population ivoirienne vivant dans les localités rurales (47,5 %) se compose de 22 % d’immigrés provenant principalement des pays de la sous-région à la recherche d’emploi. Le rythme de croissance est considéré comme l’un des plus élevés dans le monde. Le taux d’accroissement démographique annuel moyen est estimé à 2,9 % entre 1998 et 2021 (RGPH 2021).

Cependant, la décennie de crise politique a fragilisé les couches sociales et toutes les institutions de régulation sociale. Elle s’est traduite par la montée de l’insécurité, la crise de confiance au sein des organes étatiques, un sentiment d’insécurité des populations et une demande sociale très accrue de sécurité (ComNat 2012).

Depuis le conflit armé de 2002 et la crise post-électorale de 2010, les référents identitaires, claniques, communautaires ou ethniques n’ont cessé d’attiser les tensions sociales en Côte d’Ivoire. Ces périodes de crises socio-politiques ont conduit à l’affaiblissement de l’État ivoirien dans certaines régions, notamment les régions frontalières. Les frustrations sociales se sont alors multipliées, l’empathie ou la sympathie se sont transformées en haine de l’autre et de soi tout en affaiblissant le lien de cohésion sociale. Cette situation a ouvert le champ à un environnement sécuritaire précaire. Cependant, la nécessité de prévenir les risques sécuritaires, de rétablir l’autorité de l’État là où elle était absente à un moment donné et sa confiance avec les communautés s’imposent.

En outre, l’activisme croissant des djihadistes opère une reconfiguration de son centre de gravité grâce à un processus d’imitation puis de récupération endogène avec parfois la mobilisation de l’ethnicité (Diarra 2021). Dans ce schéma de révision mouvante, la Côte d’Ivoire apparaît comme un objectif stratégique du projet de conversion et de conquête (Neves 2008). De plus, elle symbolise plus que bien d’autres pays l’ancrage d’une présence occidentale notamment française fortement visée par le narratif djihadiste d’AQMI et des autres groupes (Rawford 2001). La Côte d’Ivoire a été, plus d’une fois, objet d’attaques terroristes à l’exemple de Grand Bassam le 13 mars 2016 et récemment à Kafolo sur la frontière avec le Burkina-Faso, le 10 juin 2020 tuant une douzaine de soldats. Ainsi, le risque territorialisé se concentrerait pour l’heure dans les régions frontalières nord du Bounkani, précisément les départements de Téhini et de Doropo, contiguës au Burkina-Faso (op. cit.).

Ainsi, la territorialisation (Le Goff 2004) des risques sécuritaires majeures se concentre pour l’heure dans les régions frontalières nord du Bounkani, précisément les départements de Téhini et de Doropo, contiguës du Burkina-Faso. Le débat sur les dynamiques frontalières, surtout dématérialisées1. De plus cette zone identifiée recèle des facteurs aggravants des vulnérabilités socio-économiques exploitées par les groupes terroristes : surnatalité, migration climatique, déforestation, orpaillage illicite, choc des modes de vie entre immigrants et autochtones et s’illustre comme le terreau idéal d’une consolidation de l’extrémisme (Daho 2009). Certes, pour l’heure, aucun acte de violence religieuse n’y a été commis mais le processus de sédimentation (Brodeur 2003) et de banalisation des signaux faibles et forts tels qu’il nous a été permis de l’observer fait l’objet d’inquiétudes aussi bien des autorités que des organisations internationales.

Une étude réalisée par Mercy Corps study2 sur des anciens combattants de Boko Haram au Nigeria a permis par exemple, de constater que, bien que les facteurs d’attraction au niveau de la société tels que la pauvreté et la violence endémique ont joué un rôle dans le recrutement, des individus ont aussi été recrutés pour un large éventail d’autres raisons. Beaucoup de femmes se sont jointes pour suivre leurs maris ou par désir d’apprendre le Coran. Pour les hommes, beaucoup espéraient que l’adhésion à Boko Haram leur donnerait accès au crédit commercial, d’autres auraient joint ce mouvement par peur pour leur vie. En ciblant le manque d’éducation, le manque d’accès au crédit commercial et l’exposition à la violence en tant que facteurs de risque, Mercy Corps a pu identifier les communautés nigérianes vulnérables et les personnes qui avaient le plus besoin de support de manière proactive.

La violence contre les civils est également une fonction de la faiblesse des structures organisationnelles des groupes militants. L’incapacité des dirigeants d’un groupe militant à contrôler le comportement de leurs combattants est fortement associée à des niveaux plus élevés de violence contre les civils.

Les réponses sécuritaires des gouvernements jouent également un rôle dans la violence des islamistes militants contre les civils. Une pression soutenue sur les acteurs extrémistes violents peut dégrader leur structure organisationnelle et réduire leur capacité à attaquer les civils. Cependant, dans la mesure où les actions du gouvernement sont perçues comme une punition collective ou sont menées principalement sur la base de la composition ethnique d’une communauté, elles peuvent stimuler le recrutement de groupes militants, entraînant une augmentation de la violence des extrémistes contre les civils. La pression des forces de sécurité peut également déclencher des représailles de la part de groupes islamistes militants visant à intimider les communautés locales pour qu’elles ne coopèrent pas avec le gouvernement (Anouar 2022).

Par ailleurs, au cours de ces dernières années, l’engagement de l’État ivoirien avec ses partenaires techniques et financiers d’appui au développement s’est traduit par la multiplication des initiatives et projets en faveur de la consolidation de la paix et de la gouvernance pacifique. Pour l’État, il s’agit plus spécifiquement, de s’engager à renforcer les capacités des acteurs de la société civile, surtout des organisations de jeunesse et de femmes à une meilleure promotion de la cohésion sociale, à la prévention et à la gestion des conflits socio-politiques.

L’État ivoirien en appréciant la sécurité collective et la gouvernance inclusive comme étant indispensables aux conditions de paix durable, a décidé de mettre en place les cellules civilo-militaires (CCM). Par l’arrêté n° 0001 MATED/CAB du 17 septembre 2019 portant création, composition, attributions et fonctionnement des comités départementaux de sécurité, les cellules civilo-militaires de Côte d’Ivoire ont vu le jour. En mettant en place ces cellules civilo-militaires, l’État entend rétablir et renforcer le lien armée-nation. Dans un contexte sécuritaire fragilisé par les discours promouvant la haine, les replis identitaires, les tensions communautaires, parfois les revendications et remises en cause constantes du pouvoir des organes de l’État ; ces cellules civilo-militaires contribuent de manière significative aux efforts de sécurité humaine. Elles s’engagent également à participer aux efforts de lutte contre le terrorisme et le grand banditisme quels qu’ils soient.

Comment les CCM font-ils face au phénomène de l’extrémisme violent et quels sont les mécanismes dont elles disposent pour le prévenir ? Telle est la question principale sur laquelle se greffe notre analyse.

Les enjeux sécuritaires et les défis auxquels les cellules civilo-militaires doivent faire face requirent, avant tout l’analyse de l’environnement dans lequel elles évoluent. D’où la nécessité de conduire la présente étude sur les cellules civilo-militaires face à l’extrémisme violent dans la zone frontalière nord de la Côte d’Ivoire. L’étude vise à analyser les capacités organisationnelles et le fonctionnement des cellules civilo-militaires de la zone frontalière du nord de la Côte d’Ivoire face à l’extrémisme violent afin de répondre à des préoccupations à la fois sécuritaires et sociales. Elle vise notamment à fournir à l’État et ses partenaires des données de base susceptibles de faciliter un processus de planification systématique, stratégique et complète en matière de gouvernance sécuritaire à l’initiative des cellules civilo-militaires.

 

II. Méthodologie

2.1. Site de l’étude

L’étude a été menée dans neuf localités couvrant les régions de la zone frontalière du nord de la Côte d’Ivoire, à savoir les régions du Bounkani (Bouna, Doropo, Téhini), Tchologo (Kong, Ferkessédougou, Ouangolodougou), Folon (Minignan, Kaniasso) et du Poro (Korhogo). Ces sites représentent les zones d’intervention du projet R4P3 et permettent d’apprécier l’action des cellules civilo-militaires dans les zones longtemps fragilisées par les crises socio-politiques, une pauvreté structurelle et de nombreux risques d’insécurité.

 

2.2. Échantillon d’enquête

La population d’étude est constituée de 109 personnes issues de tous les secteurs d’activités et appartenant aux cellules civilo-militaires dans les localités à l’étude. Les participants ont été mobilisé avec l’appui de Equal acces international et ses partenaires associés au projet Résilience pour la paix (R4P). Nous avons également utilisé le carnet d’adresse des autorités locales afin d’avoir un meilleur accès aux participants concernés par l’étude. Deux critères d'inclusion ont servi à la sélection des participants :

 

  1. Critères d’inclusion : être âgé(e) de 18 ans et plus et donner son consentement pour participer à l’étude.

 

  1. Critères d’exclusion : toute personne ne remplissant pas les critères d’inclusion ; toute personne juridiquement incapable ; les participants indécis ou ne souhaitant pas signer le formulaire de consentement ; tout sujet ciblé indisponible et étant dans l’impossibilité d’être représenté.

 

Le tableau ci-dessous synthétise le nombre de participants par site :

Source : Enquête de terrain

 

2.3. Technique de collecte des données

L’étude a été réalisée avec les méthodes de collecte de données qualitatives intégrant tous les aspects relatifs à l’organisation et au fonctionnement des cellules civilo-militaires (CCM).

Deux principaux outils de collecte ont été utilisés : Le guide d’entretien diagnostic des capacités organisationnelles des CCM est administré et renseigné avec le président, le secrétaire de la CCM au niveau de chaque CCM. Il sert à dresser la cartographie de chaque CCM à travers les informations sur les thématiques vécues dans chaque localité. Le guide d’entretien intègre également l’aspect partenariat et relations de la CCM avec les autres structures/organisations et la résilience face à l’extrémisme violent. La grille autoévaluation de la CCM est administrée en focus groupe en réunion de bureau extraordinaire avec six membres au minimum. Elle permet également de collecter les informations sur l’identité de la CCM, les conflits intracommunautaires et les tensions intercommunautaires vécus dans chaque localité.

 

2.4. Traitement et analyse des données

Cette analyse ne concerne que les variables qualitatives. Une variable qualitative ou catégorielle est une variable qui prend pour valeur des modalités, des catégories ou bien des niveaux par opposition à une variable quantitative mesure qui sur chaque individu une quantité.

Plusieurs étapes rentrent dans le processus d’analyse.

-La saisie des données avec le logiciel de traitement SPHINX 6.5 : le logiciel SPHINX 6.5 est un logiciel qui permet de confectionner un masque de saisir (un questionnaire). Il permet aussi de transcrire les données d’un support papier vers un ordinateur ; c’est le mode CAPI question (utilisation d’un ordinateur ou d’une tablette). Ces données obtenues peuvent être exportées vers d’autres logiciels Tels que SPSS ; Stata ; Excel ; etc.

-Le dépouillement et apurement avec SPSS : l’apurement des données est une étape au cours de laquelle le fichier de données subit une multitude de contrôles et de tests de cohérence afin d’en améliorer la qualité. L’apurement permet d’assurer la fiabilité des résultats.

-L’analyse des variables qualitatives : il s’agit d’utiliser l’analyse de contenu car elle propose d’étudier les communications que les interviewés ont produit et de poser des questions à ces communications en se servant d’une stratégie de vérification systématique. La plupart des stratégies de recherche en analyse de contenu veulent répondre à la question suivante : qui dit quoi à qui, comment et avec quel effet.

L’analyse a débuté par une transcription intégrale des verbatim d’entrevues à partir de l’enregistrement audio des entretiens. Nous procédons ensuite à une analyse thématique du contenu des entrevues à l’aide du logiciel SPSS. Diverses dimensions et sous-dimensions de l’étude ont été dégagées du discours de nos interlocuteurs en accordant une importance aux logiques d’actions. En fait, SPSS est un logiciel d’analyse de données qualitatives qui permet, notamment, de gérer de grandes quantités de contenu, d’organiser du matériel qui, en apparence, n’a pas de structure définie et d’en dégager un sens. Le logiciel permet également d’examiner les relations entre les thèmes et les sous-thèmes. SPSS nous permet d’ailleurs d’effectuer des analyses verticales et transversales de nos données. Il est donc possible pour nous de regarder les thèmes abordés par chacun des participants en fonction de leurs diverses logiques d’action (analyse verticale), puis de dégager des similitudes et des différences dans le discours de tous les interviewés (analyse transversale) en plus de procéder à l’identification des interactions entre les divers thèmes et sous-thèmes portant sur le plan d’action des CCM. En somme, c’est par une mise en commun thématique des logiques d’actions et du sens donné aux actions des CCM par chacun des participants, que nous allons apprécier comment l’expérience sociale des CCM se vit et se construit pour l’ensemble de nos interviewés. Pour traiter les données recueillies par les entretiens, nous avons utilisé l’analyse de contenu du discours avec ces étapes suivantes : la retranscription des entretiens ; le repérage des nœuds de signification ; la classification des discours en fonction des niveaux d’organisation et de fonctionnement des CCM.

 

II. Résultats

Comment les CCM font-ils face au phénomène de l’extrémisme violent et quels sont les mécanismes dont elles disposent pour le prévenir ? Telle est la question principale sur laquelle se greffe notre analyse. Cette étude diagnostique des capacités organisationnelles et du fonctionnement des cellules civilo-militaires de la zone frontalière de la Côte d’Ivoire, a permis d’identifier certains facteurs sociologiques pouvant alimenter les réseaux tentaculaires des groupes extrémismes. Les dysfonctionnements observés dans la gestion des cellules civilo-militaires ainsi que certains facteurs de menace de l’extrémisme violent fragilisent les dispositifs de sécurité mises en place par les forces de défense et de sécurité. Dans l’analyse qui suit il s’agit, au regard de la spécificité de chaque localité visitée, de montrer les facteurs de vulnérabilités, les limites des actions et les réponses des CCM face à l’extrémisme violent.

 

Il reste à s’interroger sur le rôle que peut jouer la mauvaise redistribution des richesses en Afrique comme vecteur des crises militaro-politiques. La réflexion conduite en ce domaine (Godfroy Luther Gondje-Djanayang) et par l’évocation de laquelle, l’on peut clore cette présentation, démarre par un éloge de l’Etat de droit. La crise politique observable un peu partout entraîne des « conséquences désastreuses » : des morts, la destruction des édifices publics, les sans-abri, les élections mal-organisées, la dépravation des mœurs, les injustices sociales, etc. Les crises militaro-politiques en Afrique, s’accompagnent d’une crise de la gouvernance et d’un présidentialisme étouffant face à la nouvelle société africaine. Finalement, c’est la pauvreté sociale qui constitue l’une des causes principales de la crise en Afrique mais aussi l’une des raisons fondamentales de sa perpétuation. Il est proposé une série de solutions envisageables.

 

 2.1. Cas de Téhini 

 

Téhini est une localité du nord-est de la Côte d'Ivoire et appartenant à la région de Bouna, District du Zanzan. La localité de Téhini est un chef-lieu de département avec la sous-préfecture de Gogo et de Tougbo qui regroupent les villages tels que Bolé, Tougbo, Môro-Môro, Wango Fitini, Wangokro et Tingbawéry.

 

2.1.1. Quelques vulnérabilités

Certains faits manifestement partagés par les populations autochtones nourrissent les accusations d’actes terroristes portés à l’égard de la communauté peuhle de la localité de Téhini. Cette situation a engendré un sentiment de suspicion à l’égard des peulhs et un effritement du lien social. Les peulhs sont stigmatisés et se tiennent loin de la vie associative et des initiatives de la cité. Étiquetés par les populations autochtones comme porteur de violence et responsables au premier plan des conflits entre agriculteurs et éleveurs, une chasse à l’homme initiée en 2021 a contraint une grande majorité des peuhls à se retrancher dans les montagnes.

Un responsable de la communauté peulhe révèle que « Ici à Téhini, c’est nous les peulhs on voit comme djihadistes (silence) cela me fait quarante années que je vis ici avec ma famille mais un jour ils sont venus m’attraper disant que j’ai hébergé des djihadistes et ils m’ont envoyé jusqu’à la police de Korhogo pour m’interroger et j’ai fait un mois avant qu’on me relâche parce qu’ils n’ont rien vu est-ce que cela est bon comme ça »

La communauté peulhe vit dans la frustration, la peur et le déni des autorités locales face à cette situation qui, disent-ils, est une injustice criarde. Un autre enquêté rétorque « Quand tu es peulh ici, c’est que tu es djihadiste ». La condition des peulhs est un facteur de vulnérabilité chez la CCM et Téhini car les peulhs ayant été épargnés par la chasse à l’homme restent en étroite collaboration avec leurs frères retranchés dans les montagnes et font acheminer l’essentiel des ressources de subsistance dont ces derniers ont besoin.

 

2.1.2. Intervention des CCM dans le renforcement de la résilience

A Téhini, il faut dire que la CCM a mené quelques actions de sensibilisations auprès des populations notamment dans les villages de Kalamon de Tougbo mais également au sein de la communauté peulhe avec des messages d’apaisement sans réel impact sur les populations. Il y a eu aussi des réunions d’informations sur la nécessité pour la population de fournir du renseignement aux fds afin de les rendre plus opérationnel, vu la proximité avec Kafolo.

 

2.1.3. Les limites des interventions des CCM dans le renforcement de la résilience communautaire contre l’extrémisme violent

En lieu et place de la promotion de la culture du vivre ensemble et de l’apaisement des tensions communautaires, la CCM de Téhini a exclu toutes formes de coopération avec la communauté peulhe, en justifiant sa position avec la thèse des antécédents terroristes reconnue et généralisé à tous les peulhs de la communauté.

Cette posture de la cellule l’éloigne des dispositions de l’article 13 de l’arrêté instituant les CCM et compromet les initiatives de réforme du secteur de la sécurité. La mise à l’écart des peulhs sous fond de suspicions terroristes tend à rendre difficile et peu efficace les actions des CCM orientées en faveur de la prévention des conflits. Elle entrave également les initiatives de restauration de la confiance entre force de défense et de sécurité et la population civile ; de prévention, d’anticipation et de résolution des conflits communautaires. Qui plus est, les peulhs retranchés dans les montagnes et qui subissent ainsi l’exclusion sociale peuvent être une base arrière d’un foyer de l’extrémisme violent. Surtout que de nombreux témoignages d’enrôlement des jeunes pour le compte des groupes extrémistes identifient le mode opératoire des enrôlements comme suit :

« Quelqu’un fait passer une liste à Téhini ici, en disant qu’ils font donner du travail aux jeunes. On ne sait pas où la liste va. Un matin vous êtes assis on vous donne la date et un lieu pour une réunion où on dit que on va vous donner du travail. La réunion c’est dans la forêt, quand vous arrivez on vous donne fusil avec cinq cent mille francs, et puis tu es avec eux, tu dois accepter ce qu’on va te dire de faire. Si tu ne veux pas on te tue. Tu acceptes si tu as la chance que tu n’es pas mort tu peux revoir ta famille encore ».

« Quand mes frères qui sont dans la brousse là-bas veulent venir ici, le jour du marché, ils m’appellent pour savoir si c’est bon, ils peuvent venir. Je dis non rester là-bas, nous-même on achète tout ce qu’il faut pour aller les donner. Nous on est là, on est ici parce qu’on a tout fait ici, ma maison est ici, ma famille est ici, ou je vais partir ».

Dans un contexte sécuritaire où les populations ont en mémoire les attaques terroristes passées, il est nécessaire de reformer la CCM. Les appuis doivent se faire en termes de formation des membres pour la gestion des conflits. Il faut également permettre à la CCM d’acquérir des compétence et techniques de plaidoyer de sorte à régler pacifiquement les conflits intracommunautaires. La stigmatisation des peulhs opère comme un élément de fracture sociale qui augmente le risque d’insécurité dans la localité de Téhini. Étant donné que le dialogue socio-sécuritaire favorise non seulement le renforcement de la confiance FDS population mais aussi la lutte contre l’insécurité, le CNS et les partenaires techniques et financiers (PNUD, Equal Acces International et le NDI) doivent renforcer leurs initiatives dans ce sens.

 

2.2. Cas de Bouna 

Bouna est une ville, chef-lieu de la région de Bounkani, dans le district du Zanzan au nord-est de la Côte d'Ivoire, près de la frontière avec le Ghana, à 603 km au nord d'Abidjan. Elle comptait environ 26 000 habitants en 2010. Elle constitue une des portes d'entrée du parc national de la Comoé.

 

2.2.1. Quelques vulnérabilités

Située au nord-est de la Côte d’Ivoire, dans la région de Bounkani, Bouna est une ville marquée par de nombreuses dynamiques conflictogènes. Les dynamiques conflictogènes se positionnent comme des facteurs de vulnérabilité chez les CCM. Ces facteurs de vulnérabilité s’apprécient à travers les problématiques telles l’orpaillage clandestin, les conflits entre agriculteurs et éleveurs, les différends ethniques et fonciers, la crise gérontocratique entre jeunesse et responsables de communauté, la non-reconnaissance de l’autorité des forces de défenses et de sécurité, le mode de vie en autarcie des communautés, la stigmatisation des peulhs et surtout un incivisme généralisé. Les propos d’un membre de la CCM en témoignent de cette réalité : « le problème que nous CCM vivions ici est que les chefs terriens ont hypothéqué leurs terres aux peulhs pour parquer leur troupeau de bœufs et cela a permis l’arrivée de plusieurs peulhs avec des troupeaux. Et donc quand ces bœufs sortent, ils détruisent les plantations des lobis et voilà qu’il y a conflit. Aussi, les jeunes ne respectent pas leurs aînés même les autorités publiques et ça c’est tous les jours, le problème de l’incivisme là même on ne parle pas ».

Ces dynamiques conflictogènes ont la capacité de mettre à la disposition des groupes extrémistes les ressources humaines dont ils ont besoin. A Bouna le mode opératoire de l’enrôlement des groupes extrémistes est connu. Les groupes extrémistes proposent la somme de deux cent cinquante mille francs CFA et une moto à toutes personnes désireuses de participer à leurs activités.

 

2.2.2. Intervention des CCM dans le renforcement de la résilience

De nombreuses initiatives en termes de sensibilisation ont été initiées par la cellule civilo-militaire afin d’informer sur les risques sécuritaires qu’une telle activité fait planer sur la localité. En effet, les actions de sensibilisation constituent le seul outil dont la CCM dispose pour ralentir les initiatives des groupes extrémistes. Manifestement les actions de sensibilisation restent peu convaincantes devant toutes les dynamiques conflictogènes citées plus haut.

 

2.2.3. Les limites des interventions des CCM dans le renforcement de la résilience communautaire contre l’extrémisme violent

Par ailleurs, l’action de la CCM se retrouve limitée par le mode de vie en autarcie et les conflits intracommunautaires fréquents. Cette situation favorise la rétention de l’information, renforce la méfiance des populations face aux forces de défenses et de sécurité et peut éventuellement être une porte d’entrée pour le terrorisme comme en témoignent les propos de ce participant : « On a convoqué une grande réunion avec les peulhs et la communauté lobi, pour dire que ce ne sont pas les peulhs, c’est un individu mais pas une communauté. On a demandé à la communauté de nous aider à extirper ces personnes de la société. On a demandé également à la communauté lobi de garder leur calme. Si ces exactions continuent, à un moment les djihadistes de l’autre côté composés de peulhs vont chercher à descendre ici pour prêter main forte, pour dire ah, nos frères de l’autre côté sont martyrisés donc voici pour nous le meilleur moyen pour nous de descendre même sur la Côte d’Ivoire et ça va donner, et ce que nous ne voulons pas ça va prendre forme » ; « (…) ici les populations sont renfermées sur elles ; les gens là, les lobi là, ils ne donnent pas de renseignement, ils ne nous (FDS) aiment pas même ».

L’orpaillage clandestin est une activité génératrice de revenus qui participe activement à l’économie de la survie entendue comme moyens de résilience face à la précarité de l’emploi ou à une insertion socio-professionnelle difficile. Les modèles sociaux de réussite sont les jeunes qui ont fait fortune dans l’orpaillage clandestin et affichant un mode de vie ostentatoire. Cela conduit naturellement un grand nombre de jeunes à s’engager dans l’orpaillage dans les parcs et réserves naturelles. Difficile de savoir ceux qui soutiennent l’orpaillage, à qui profite la rente, comment les jeunes se font enrôler pour être orpailleur. Ainsi, de nombreuses initiatives en termes de sensibilisation ont été initiées par la cellule civilo-militaire afin d’informer sur les risques sécuritaires qu’une telle activité fait planer sur la localité. Tout de même, la jeunesse de Bouna reste vulnérable et les modèles de réussite sociale mis en exergue par l’activité de l’orpaillage clandestin peuvent être utilisés par les groupes extrémistes. En effet, les groupes extrémistes installés généralement dans les parcs et réserves naturelles ont pour mode opératoire de proposer de l’argent aux populations en vue de leur enrôlement or, l’orpaillage clandestin est aussi pratiqué sur le même espace. Le démarchage est plus facile vu le grand nombre de jeunes intéressé par l’orpaillage dont le seul motif est d’avoir de l’argent.

Pour agir efficacement contre les menaces de l’extrémisme violent un engagement plus soutenu des populations à la CCM et la restauration de l’image des forces de défense et de sécurité auprès des populations sont nécessaires. Il faudra également procéder à la mise en place d’un bureau dédié à la CCM et le renforcement des capacités des membres à partir de formations sur une palette de problématique en lien avec la sécurité. Autre fait, la non-reconnaissance de la figure de l’autorité des forces de défense et de sécurité sous fond d’accusation de racket permet aux jeunes de construire un potentiel de violence, de renforcer la méfiance face FDS et surtout d’accentuer les actes d’incivisme. La police de proximité doit créer les conditions d’un environnement sécuritaire paisible en favorisant les relations courtoises avec les populations.

Un participant donne l’orientation suivante : « (…) qu’est-ce qu’il faut faire pour améliorer la situation ? Aux forces de l’ordre, il faut leur dire que leur mission ce n’est pas de racketter les populations, c’est de faire leur travail ; le travail ne suppose pas qu’il faut toujours sanctionner. Moi je leur ai dit avant de sanctionner il faut donner les conseils aux gens, il y a des gens qui ne savent pas. Le monsieur est allé au Burkina il a payé sa moto, il est venu et puis il roule. Est-ce qu’il faut avoir un permis pour rouler, est-ce qu’il faut avoir une carte grise, est-ce qu’il faut avoir une immatriculation, est-ce qu’il faut avoir une assurance, il ne sait pas, donc il faut le sensibiliser ».

 

2.3. Cas de Kong

Kong est une ville du nord-est de la Côte d'Ivoire, située à proximité du parc national de la Comoé. Cette ancienne ville marchande fut détruite par Samory Touré en 1897 puis reconstruite. Un projet de construction d'un aéroport a commencé à être officiellement évoqué en avril 2022. Selon les autorités, ce projet « permettra surtout de faciliter les opérations militaires dans le contexte de lutte contre le terrorisme que l’État a engagées dans cette partie du pays ».

 

2.3.1. Quelques vulnérabilités

Le contexte sécuritaire de la ville de Kong a longtemps été fragilisée par les tensions sociopolitiques. Les discours de haine professés à l’égard des communautés peulhes, la recrudescence des conflits entre agriculteurs et éleveurs, sont des facteurs de vulnérabilités qui renforcent le sentiment de méfiance des uns envers les autres. La CCM a du mal à engager le processus de dialogue intercommunautaire nécessaire à la pacification des tensions.

 

2.3.2. Intervention des CCM dans le renforcement de la résilience

La lutte contre l’extrémisme violent passe par de nombreuses actions à savoir des campagnes de sensibilisation des populations, visant à expliquer et à faire comprendre les enjeux de la collaboration et la fourniture des renseignements aux FDS. La collaboration des groupes d’autodéfense pour assurer la sécurité des biens et des personnes, serait une alternative saluée par les CCM pour appuyer les actions des FDS. Ce groupe d’autodéfense est dirigé par les chasseurs traditionnels communément appelés Dozo. Les Dozo participent également à la gestion des conflits intracommunautaires.

« Mais avec l’attaque de Kafolo qui a fait quatorze morts en juin 2020, elle a compris l’urgence de la situation, confie le président de la CCM. On leur a demandé de contribuer à la lutte contre les djihadistes en donnant des informations. L’idée n’est pas de stigmatiser des gens, mais que les forces de l’ordre soient alertées s’il se passe quelque chose d’inhabituel. »

2.3.3. Les limites des interventions des CCM dans le renforcement de la résilience contre l’extrémisme violent

L’implication des organisations de jeunesse et des femmes reste faible à cause des conflits précédents et des jeux de positionnement dans l’arène politique. Enfin, la gestion clanique de la CCM traduit son incapacité à gérer de manière constructive et à résoudre les conflits intra-communautaires et cela affaiblit considérablement le lien de cohésion sociale. Le ressentiment des communautés autochtones et la situation des peuhls, laissent présager de nouvelles trajectoires de violence favorables à l’extrémisme violent. Nous pouvons assister à des formes plus prononcées de radicalisation dans un contexte de repli identitaire et d’exclusion sociale. Les propos ci-après de ce participant permettent d’apprécier l’idée précédente : « Moi-même qui vous parle là, à un moment donné je me méfiais beaucoup des peulhs, et je l’ai dit à plusieurs réunions, parce que, en une semaine, on a tenu près de huit réunions ici à cause de la résistance avec les peulhs. Parce que à un moment donné on en avait marre d’eux. Parce que tous ceux qu’on prenait ici en matière de terrorisme ou de djihadiste ici c’était tous des peulhs et qui étaient hébergés chez d’autres peulhs. Imaginez-vous un monsieur qui ait quitté dans son pays, il est arrivé tu lui as donné place lui avec ses animaux. Et ce monsieur là il est tuteur de celui qui vient te faire du mal, c’est écœurant, voyez-vous. A un moment donné moi-même j’étais vraiment révolté hein, j’étais révolté. J’avais voulu, un moment donné même que ceux-là on les rapatrie chez eux. On ne pouvait plus respirer voyager à Kong c’était difficile. »

La contribution des CCM à l’épreuve de l’extrémisme violent rencontre de nombreuses difficultés. Ces difficultés sont entre autres les conflits intracommunautaires, le problème de leadership dans les CCM et au sein des organisations de la société civile, la non-reconnaissance de l’autorité des FDS, le mode de vie en autarcie des communautés et la stigmatisation des peulhs. Ces difficultés constituent des facteurs de vulnérabilités chez les CCM et contribuent à la dégradation de l’environnement sécuritaire des zones frontalières du nord. Le recours à la mise en valeur des acquis d’une bonne compréhension des objectifs et missions et le renforcement des capacités organisationnelles et de fonctionnement des CCM permettraient une meilleure gestion de la problématique de l’extrémisme violent. Par ailleurs, il est répertorié au chapitre des recommandations, les actions stratégiques et sécuritaires spécifiques à la lutte contre l’extrémisme violent.

 

III. Discussion et recommandations

3.1. Discussion

Déterminants sociaux relatifs aux tensions communautaires qui affaiblissent les capacités d’actions des cellules civilo-militaires

Les facteurs sociaux relatifs aux tensions communautaires sont les conflits interethniques (Gnonsekan 2014) : la stigmatisation de la communauté peulhe partout dans le nord, la précarité de l’emploi, les conflits agriculteurs et éleveur, le mode de vie en autarcie des communautés. Ces déterminants prospèrent dans un environnement marqué par une pauvreté structurelle, un incivisme généralisé et ne font qu’affaiblir les actions jusque-là engagées en faveur de la consolidation de la paix et de la cohésion sociale. La promotion des forces de défense et de sécurité auprès des populations et la participation (Leboeuf 2016) de ces dernières à la prévention de la sécurité restent tout de même une vue d’esprit. Car les relations entre les communautés ne sont plus au beau fixe et cela alimente les tensions. Par ailleurs, le modèle de la triangulation de l’information entre les forces de défense et de sécurité (FDS), les populations et les autorités administratives ne répond objectivement pas à la demande de sécurité constatée dans les localités de Kong, Téhini, Kaniasso. En effet, le poids de la culture sur les activités de sécurité menée par les CCM sur le terrain reste important. Dans un monde patriarcal, où les femmes sont reléguées au second plan, associer les femmes aux initiatives de sécurité locales (Meyer 2007) est une intention qui peut conduire à des formes diverses de conflits d’intérêts, affectant ainsi la cohésion sociale. L’intelligence collective des femmes n’est pas mise à contribution dans les actions de sécurité menées par les cellules civilo-militaires (CCM), notamment pour le relais d’informations. Les femmes sont peu représentées, voire même inexistantes dans les effectifs des membres et au sein des bureaux des cellules civilo-militaires. Pour celles dont honneur leurs a été fait pour participer à quelques actions, elles n’ont aucune autonomie et mènent les actions sous la bannière des hommes avec quelque fois des actions mal orientées qui ne cadrent pas avec les objectifs et missions des cellules civilo-militaires. En revanche, à Korhogo et Ouangolodougou où les femmes sont valorisées au sein des cellules civilo-militaire, l’expérience nous a démontré qu’elles sont indispensables et efficaces dans leurs rôles.

 

-Imminence de la menace des groupes extrémistes pour les régions frontalières de la Côte d’Ivoire

Cette étude diagnostique des capacités organisationnelles et du fonctionnement des cellules civilo-militaire de la zone frontalière de la Côte d’Ivoire, a permis d’identifier certains facteurs sociologiques (Koffi 2006) pouvant alimenter les réseaux tentaculaires des groupes extrémismes. Les dysfonctionnements observés dans la gestion des cellules civilo-militaires ainsi que certains facteurs de menace de l’extrémisme violent fragilisent les dispositifs de sécurité mises en place par les forces de défense et de sécurité. Les dynamiques conflictogènes de la localité de Bouna s’apprécient à travers de nombreux facteurs tels que l’orpaillage clandestin, les conflits entre agriculteurs et éleveurs, ethniques et fonciers, la crise gérontocratique entre jeunesse et responsables de communauté, la non-reconnaissance de l’autorité des forces de défenses et de sécurité, le mode de vie en autarcie des communautés, la stigmatisation des peulhs et surtout un incivisme généralisé. Ces dynamiques conflictogènes ont la capacité de mettre à la disposition des groupes extrémistes les ressources humaines dont ils ont besoin.

A Bouna le mode opératoire de l’enrôlement des groupes extrémistes est connu. Les groupes extrémistes proposent la somme de deux cent cinquante mille francs CFA (250.000 Fcfa) et une moto à toutes personnes désireuses de participer à leurs activités. Le mode de vie en autarcie et les conflits ethniques rendent difficiles les activités de la cellule civilo-militaire. A Ouangolodougou, les capacités de résilience des jeunes se construisent autour des activités génératrices de revenus telles que les Motos-taxi. Entre s’engager dans les trajectoires des groupes extrémismes et être moto-taximètre, la seconde option parait plus raisonnable pour les jeunes. En effet, les sommes proposées lors des enrôlements sont nettement inférieures à ce que l’activité des moto-taxi peut générer par mois. La localité de Ouangolodougou est un carrefour commercial et une réelle opportunité d’insertion socio-professionnelle pour les jeunes. Ces atouts socioéconomiques que présente la localité de Ouangolodougou rendent quasi-inefficaces les tentatives d’enrôlements des groupes extrémistes (Du Bois 2006). La cellule civilo-militaire de Téhini a exclu toutes formes de coopération avec la communauté peulhe, en justifiant sa position avec la thèse des antécédents terroristes reconnue et généralisée à tous les peulhs de la communauté.

Qui plus est, les peulhs retranchés dans les montagnes subissant ainsi l’exclusion sociale peuvent être une base arrière d’un foyer de l’extrémisme violent (De Maillard 2003). Dans les localités de Minignan et Kaniasso la résilience des populations se construit autour de l’occultisme4 sous la bannière des chasseurs traditionnels communément appelés Dozo. Les Dozo font partie intégrante du dispositif de sécurité des forces de défense et de sécurité. Ils partagent les mêmes corridors avec les FDS en se relayant au besoin. L’initiative des cellules civilo-militaires permettant la participation des Dozo aux actions sécuritaires de la zone facilitent le renseignement et la coopération des populations. La pratique des sciences occulte par les Dozo a permis d’épingler certains individus des groupes extrémismes. Les patrouilles des Dozo dans les forêts et surtout sur les pistes d’immigration clandestine ont permis aux forces de défenses et de sécurité de maîtriser et de contrôler le flux migratoire de cette zone frontalière.

La cohésion sociale reste précaire dans la localité de Kong, les populations ne tardent pas à se faire justice elles même (Bénit-Gbaffou 2009) et les ressentiments compte tenu des litiges passés entretiennent des conflits latents. Par conséquent les Dozo ne se sentent pas concernés particulièrement par « l’affaire CCM ». Enfin dans les localités de Doropo, Ferké et Korhogo, le phénomène de l’extrémisme violent est vécu comme des rumeurs (Gautron 2010). La plupart des conflits de ces zones proviennent d’un leadership religieux. Dans ce leadership religieux, les leaders instrumentalisent les jeunes (Yemba 2009) et cela engendre des prises de position selon le leader qu’ils affectionnent. Dans cette confrontation idéologique, comme (Grégory Daho 2009) les biens publics font l’objet de destruction. Cette forme de manifestation du leadership religieux portée par les prédicateurs islamiques venus de la sous-région, peut constituer également une porte d’entrée à l’extrémisme violent.

Au regard de la littérature sur le phénomène d’extrémisme violent, cette étude diagnostique des capacités organisationnelles et du fonctionnement des cellules civilo-militaires a permis d’identifier de nombreux signes précurseurs de l’extrémisme violent dans toutes les localités visitées. La menace extrémiste plane sur la zone frontalière ivoirienne. C’est le lieu pour les cellules civilo-militaires de renforcer la communication de proximité avec leur partenaire d’appui afin de prévenir tous les actes sociaux de nature criminogènes.

 

3.2. Recommandations

Les observations et les propositions faites permettent de suggérer sept recommandations qui peuvent être déclinées en axes de projets.

Ainsi nous avons recommandé :

-Au R4P : Apporter un appui technique et financier à la mise en œuvre des interventions de lutte contre l’extrémisme violent ;

-Doter les cellules civilo-militaires d’outils de travail (R4P & CNS) 

-Mettre en place un dispositif de sécurité frontalière ;

-Au CNS (Conseil national de sécurité) : renforcer les ressources matérielles et financières des cellules civilo-militaires ;

-Œuvrer pour le développement communautaire et aider les plus vulnérables avec les AGR ;

-Communiquer spécifiquement sur les risques sécuritaires locales portées par les dynamiques conflictogènes locales ; 

-Reconstituer, redynamiser et élaborer un plan d’actions des cellules civilo-militaires.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

-Bénit-Gbaffou C., Fabiyi S. et Peyroux E. (eds), 2009, Sécurisation des quartiers et gouvernance locale. Enjeux et défis pour les villes africaines (Afrique du Sud, Kenya, Mozambique, Namibie, Nigeria). Paris, IFAS-Karthala.

-Bois P. de, 2006, « Anciennes et nouvelles menaces : les enjeux de la sécurité en Europe », Relations internationales /1 (n° 125), p. 5-16.

-Boukhars Annouar, 2022 Trajectoires de la violence contre les civils par les groupes islamistes militants d’Afrique, Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

-Brodeur J.-P., 2003, Les visages de la police, Pratiques et perceptions. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.

-ComNat-ALPC., 2012, Enquête nationale sur les armes légères et de petit calibre. Sous la direction du Pr Alain SISSOKO. Abidjan.

-Daho G., 2009, « Nouvelles menaces », « nouvelles guerres » : la construction des discours sur le désordre international, Les Champs, p. 109-130.

-Diarra L., 2021, « Radicalisation et perception de la menace terroriste dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire : Le cas de Bounkani », African Center for Peace Studies, Timbuktu Institute.

-ÉVALUATION ET PERSPECTIVES DES MENACES SÉCURITAIRES, « Rapport de synthèse pour le Forum Technology against Crime (TAC) », édition 2016. Edité par Jean-Pierre Maulny et Sabine Sarraf, IRIS.

-Forum de Dakar : « L’Afrique mobilisée face aux nouvelles menaces sécuritaires », par Aboubacar Yacouba Barma, 20/09/2022, 17 : 50 (SD).

-Gautron V, 2010, « La coproduction locale de la sécurité en France : un partenariat inter-institutionnel déficient », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. VII |, mis en ligne le 27 janvier 2010, consulté le 20 octobre 2022.

-Gnonsekan P. O., 2014, Lutte Contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères et de petit calibre en Côte d’Ivoire : Facteurs explicatifs de la faible adhésion des populations civiles du district d’Abidjan au Programme de dépôt volontaire d’armes de la COMNAT-ALPC, Master 2, Centre de Recherche et d’Action pour la Paix

-KOFFI K. B. A.-M., 2006, L’opération de maintien de la paix de l’ONU en Côte d’Ivoire (ONUCI), Diplôme d’études approfondies (mémoire), Université Cocody-Abidjan.

-Lebœuf A., 2016, La réforme du secteur de sécurité à l’ivoirienne, Programme Afrique subsaharienne, les Études IFRI.

-Le Goff T., 2004, « Réformer la sécurité par la coproduction : action ou rhétorique ? », in ROCHE S. (dir.), Réformer la police et la sécurité, Paris, O. Jacob, 81.

-Maillard J. de, 2003, « Vers des politiques locales de sécurité », in Roche S. (dir.), En quête de sécurité. Causes de la délinquance et nouvelles réponses, Paris, A. Colin, 283-295.

-MEyer N., 2007, « Le renforcement du volet répressif ? », Revue Juridique de l'Environnement, numéro spécial. Le droit de l'environnement en Nouvelle-Calédonie, états des lieux et perspectives, p. 57-71.

-Neves P. et da Costa S., 2008, « Police de proximité et dualité de la sécurité publique dans la ville d'Aracaju (Brésil) : ou comment faire payer les pauvres pour leur sécurité », Autrepart, n°45, p. 29-42.

-Rawford A., 2001, « Vers une reconfiguration des pouvoirs ? – Le niveau local et les perspectives de la gouvernance », Déviance et Société, vol. 25, n° 1, p. 3-32.

-RGPH 2021 « Résultats globaux définitifs du rgph 2021 : la population vivant habituellement sur le territoire ivoirien se chiffre à 29 389 150 habitants (www.gouv.ci).

-YEMBA K. T. A., 2009, Les nouvelles menaces de la paix et de la sécurité internationale, Master 2, Université de KISNGANI.

 

 

 

1 Lacune en cours de dépassement grâce à la création d’une commission paritaire au titre du traité d’amitié et de coopération (Tac) : https://rti.info/article/politique/3534, consulté 22 août 2022 à 18h30.

2 Transformer-lExtrémisme-Violent-Feb18.pdf (sfcg.org).

3 Résilience pour la paix (R4P) est une initiative quinquennale financée par l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et mise en œuvre par Equal Access International (EAI) pour renforcer la résilience communautaire, en particulier des femmes et des jeunes, afin de favoriser le vivre ensemble entre les communautés dans les régions frontalières du nord de la Côte d'Ivoire.

4 Forum de Dakar : l’Afrique mobilisée face aux nouvelles menaces sécuritaires, par Aboubacar Yacouba Barma, 20/09/2022, 17 : 50 (SD).

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Réprimer le terrorisme et protéger les droits humains

Seydou Mallet, Enseignant Vacataire, Université Des Sciences Juridiques Et Politiques De Bamako, Bouréma Kansaye, Enseignant Chercheur, Université Des Sciences Juridiques Et Politiques De Bamako

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