La délinquance juvénile est un phénomène consubstantiel à toute société humaine. Cette assertion se fonde sur la pensée durkheimienne qui soulignait le caractère normal du « crime » (donc de la délinquance des jeunes) puisqu’aucune société humaine ne pourrait en être exempte (Durkheim, 1894, 2007). Cette délinquance juvénile se présente sous différentes formes, et le gangstérisme juvénile est une de ses nombreuses manifestations. Le phénomène des gangs de rue a suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs partout dans le monde, notamment au Canada (Lanctôt & LeBlanc, 1996) et aux Etats-Unis (Choo, 2007).
Les gangs de rue désignent « un regroupement plus ou moins structuré d’adolescents et de jeunes adultes qui privilégient la force et l’intimidation du groupe pour accomplir des actes criminels, et ce, dans le but d’obtenir pouvoir et reconnaissance ou de contrôler des sphères d’activités lucratives » (Guay et al., 2015 : 20). Ce sont donc des groupes centrés sur des activités de rue, dont l'implication dans des activités illégales fait partie de son identité en tant que groupe. Ils ont été décrits comme un phénomène principalement masculin. Mais de plus en plus, parallèlement aux études antérieurement citées, des réflexions, décrivant des groupes mixtes, affirment la présence de membres féminins au sein des bandes des jeunes. D’autres études évoquent des groupes de jeunes déviants composés exclusivement de filles (Adler, 1975 ; Fournier, Cousineau & Hamel, 2004 ; Chesney-Lind, 2015).
Comme ailleurs, il existe des gangs de jeunes en Côte d’Ivoire et particulièrement à Abidjan. Les membres desdits gangs ont pris la dénomination de « microbes ». Le phénomène des gangs des microbes à Abidjan, à cause de sa récurrence et de sa prolifération, suscite l’intérêt des chercheurs (Sadia, 2014 ; Gaulithy, 2015 ; Bamba, 2016) et des organisations, notamment Interpeace & Indigo Côte d’Ivoire (2017) et l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) à travers sa division information documentation et recherches (DIDR) (2017). Ceux-ci sont préoccupés par le besoin de cerner les contours de ce gangstérisme juvénile qui fait beaucoup de victimes à Abidjan.
Au regard de ce qui précède, ces travaux quoique dignes d’intérêt, n’en sont pas pour autant exempts de remarques. En effet, ils semblent occulter la question du genre, n’ayant pas mis au cœur de leur démarche cette question, à savoir la place des filles au sein des gangs des microbes. Par ailleurs, la santé mentale des jeunes impliqués dans les gangs des microbes apparaît de plus en plus comme une réalité largement sous-évaluée, même s’il existe des écrits en la matière (Laurier, 2012 ; Chesney-Lind, 2015). Mais, ces écrits ne semblent aborder que la « réalité occidentale », notamment le Québec et les « Afro américains ». Notre recherche entend justement s’inscrire dans le contexte africain et particulièrement ivoirien. Elle vise à répondre à diverses interrogations au nombre desquelles : comment et pourquoi des jeunes filles rejoignent-elles les gangs des microbes ? Quels liens peut-on établir entre l’appartenance à ce gang de rue et la victimisation des jeunes filles, et quelles sont les répercussions de telles victimisations en termes de troubles de la santé mentale ?
En ce qui concerne l’étude des gangs de rue, différentes approches théoriques permettent de comprendre l’appartenance de jeunes à des groupes juvéniles producteurs de violence. Pour cette étude, deux modèles théoriques paraissent intéressants du fait qu’ils semblent bien comprendre, d’une part pourquoi des jeunes s’affilient à des groupes déviants pour commettre des délits et d’autre part les rôles qu’ils jouent au sein desdits groupes. La première grille théorique à laquelle la présente étude fait référence est la théorie de l’apprentissage. Elle a plusieurs variantes : les théories de l’apprentissage social de Bandura et de Feldman, la théorie de l’apprentissage de la conduite antisociale d’Akers (Koudou, 2007). Bien qu’elles soient intéressantes, elles ne mettent pas en évidence, entre autres, que l’aspect cognitif en ignorant l’environnement notamment du délinquant dans lequel évolue l’individu.
C’est la raison pour laquelle la variante de l’apprentissage qui retient l’attention dans cette recherche est la théorie de l’association différentielle Sutherland (Gassin, 2003). Celle-ci fait référence aux habitudes acquises au travers des relations avec les autres individus et l’environnement dans lequel le sujet agit. Elle postule que le comportement délinquant n’est pas inné, mais appris. Cet apprentissage se fait essentiellement par l’association avec d’autres individus qui, eux, ont déjà une expérience dans le domaine. L’apprentissage fait donc référence à la mise en contact avec un « réseau » délinquant (Koudou, 2007). Cette grille d’analyse apparaît opportune du fait qu’elle semble expliquer, en partie du moins, la manière dont les jeunes filles s’affilient aux gangs des microbes.
Le féminisme constitue le second référentiel théorique de cette recherche (Parent, 1992). L’intérêt pour cette approche est triple. Tout d’abord, elle permet de mieux comprendre la logique de domination masculine qui est présente dans les gangs de rue mixtes. Aussi est-elle utile pour analyser le rôle que jouent les jeunes filles au sein des gangs. Si auparavant le rôle des jeunes filles dans ces bandes était essentiellement limité à des tâches de soutien ou d’entretien du groupe, il est désormais de plus en plus fréquent de voir des membres féminins commettre eux-mêmes des actes de violence. Ensuite elle offre une perspective féministe de l’étude des trajectoires, en s’intéressant au poids des différentes formes de violences subies, et des désavantages notamment au sein de la cellule familiale, comme des mécanismes qui poussent ou peuvent pousser des filles à l’expérience déviante, à se joindre à des gangs (Chesney-Lind, 2015). Enfin, la démarche féministe s’est, de manière pertinente, appuyée sur l’approche phénoménologique pour étudier le vécu des jeunes filles ou femmes associées aux bandes délinquantes. C’est l'un des grands mérites du féminisme que d'avoir rappelé cette réalité essentielle et élargi l'optique des chercheurs qui s’intéressent aux jeunes filles ou femmes contrevenantes.
Cette étude, de nature qualitative, se propose principalement d’étudier le vécu de jeunes filles affiliées aux gangs des microbes. Secondairement, elle vise à comprendre les liens entre affiliation au gang et victimisation ainsi qu’entre la victimisation et la santé mentale de ces jeunes filles ayant appartenu aux gangs des microbes.
Pour cette recherche deux hypothèses ont été formulées. D’une part, nous fondant sur la théorie de l’association différentielle de Sutherland, nous postulons que les jeunes filles prennent la décision de rejoindre les gangs des microbes parce qu’elles sont en relation sociale avec des membres desdits gangs. D’autre part, au regard de l’approche féministe, nous soutenons que plus la durée d’affiliation aux gangs est longue, plus les jeunes filles sont victimisées et plus elles présentent des troubles de santé mentale.
La démarche méthodologique empruntée pour vérifier les hypothèses est décrite ci-après.
I. Méthodologie
A. Caractérisation des variables
La première hypothèse a deux variables : une variable dépendante (décision de rejoindre les gangs des microbes) et une variable indépendante (en relation sociale avec des membres des gangs).
Les modalités de la variable dépendante sont : prendre la décision de rejoindre les gangs des microbes et ne pas prendre la décision de rejoindre les gangs des microbes. Les dimensions de la variable indépendante sont : être en relation sociale avec des membres des gangs et ne pas être en relation sociale avec des membres des gangs.
La seconde hypothèse énoncée admet trois variables : une variable dépendante (les troubles de santé mentale), une variable indépendante (durée d’affiliation aux gangs) et une variable intermédiaire (les victimisations).
La variable à expliquer (les troubles de la santé mentale) possède deux modalités que sont l’existence de troubles et l’inexistence de troubles. La variable intermédiaire (les victimisations) est concomitante et interagit avec la variable indépendante pour expliquer les troubles. Elle se réfère aux différentes formes d’événements vécus par ces jeunes filles pendant leur association aux gangs de rue des microbes. La variable explicative (durée d’affiliation aux gangs des microbes) a deux dimensions. Subséquemment, la période d’affiliation inférieure ou égale à trois mois est désignée « courte durée » et celle qui excède trois mois est qualifiée de « longue durée ».
B. Sujets
Dans le cadre de cette recherche, nous n’avons voulu retenir que des sujets considérés comme « mineures en conflit avec la loi ». Ainsi, nous avons interviewé trois jeunes filles affiliées aux gangs de rue à Abidjan, qui ont été interpellées et mises sous garde au Centre d’observation des mineurs (COM) d’Abidjan. Ces mineures contrevenantes ont été sélectionnées grâce à la technique du tri expertisé (Angers, 1992 cité par Fournier, Cousineau & Hamel, 2004). Cette technique a consisté à faire appel aux spécialistes, ici les intervenants du COM, pour confirmer que ces mineures en conflit avec la loi ont effectivement été associées à des gangs de rue et y ont vécu certaines expériences. La fourchette d’âge de ces jeunes filles se situe entre 14 et 17 ans. La collecte des données a été réalisée entre décembre 2016 et février 2017 et réactualisée en octobre 2019.
C. Instruments de collecte de données
Pour cette étude de cas, l’utilisation de l’observation documentaire (N’Da, 2015), d’entretiens individuels semi-directifs ainsi que d’échelles d’évaluation a été nécessaire. Ainsi, les dossiers individuels de chacune des mineures contrevenantes ont été consultés auprès des services de l’assistance socio-éducative du COM. Cette observation indirecte a permis de recueillir des informations générales (âge, niveau scolaire, domicile, fratrie, état de santé, infraction commise, antécédents judiciaires, etc.). Chaque enquêtée a été aussi soumise à un entretien individuel semi-directif et à deux outils d’évaluation. Les principaux thèmes abordés au cours des entrevues sont les suivants : le processus d’affiliation aux gangs, le mode opératoire des gangs, les expériences vécues au sein desdits gangs et les rapports avec les personnes extérieures aux bandes de rue.
Quant aux échelles d’évaluation, il s’agit d’une part de la version française de l’Impact of Event Scale – Revised (IES-R) (échelle d’impact de l’événement) et d’autre part de l’inventaire de dépression de Beck, en anglais Beck Depression Inventory (BDI). L’impact of Event Scale – Revised (IES-R) a été traduit par Brunet et coll. (1998) à partir de la forme révisée de l’échelle d’Horowitz (1979). Cette échelle est construite autour du triptyque (Intrusion – Evitement – Hyperactivité neurovégétative) et propose en 22 items, par exemple (« des images de l’événement surgissaient dans ma tête ; j’avais du mal à dormir ; j’ai rêvé à l’événement ») avec cinq niveaux de cotation allant de zéro (pas du tout) à quatre (extrêmement). Elle donne un score de sévérité des symptômes post-traumatiques à partir des trois sous-scores dont il faut faire la somme ou la moyenne. Un score total de 22 points obtenus indique la présence d’un état de stress aigu et un score de 36 points suggère l’existence d’un trouble de stress post-traumatiques. Cette échelle a la qualité d’évaluer aussi bien l’état de stress aigu (ESA) que l’état de stress post-traumatique (ESPT) (Jehel & Vermeiren, 2001).
Par ailleurs, la version abrégée de l’inventaire de dépression de Beck est une composée de treize items. Chaque item est constitué de quatre phrases (exemple de l’item 1 : Je ne me sens pas triste ; je me sens cafardeux ou triste ; je me sens tout le temps cafardeux ou triste et je n’arrive pas en sortir ; je suis si triste et si malheureux que je ne peux pas le supporter.), correspondant à quatre degrés d’intensité croissante d’un symptôme : de zéro à trois. La note globale est obtenue en faisant la somme des scores des treize items. L’étendue de l’échelle va de 0 à 39. Plus la note est élevée plus le sujet est déprimé : de zéro à treize (pas de dépression) ; de quatre à sept (dépression légère) ; de huit à quinze (dépression d'intensité moyenne) et de seize et plus (dépression sévère) (Cottraux, 1996). Le BDI a permis de mesurer les cognitions dépressives des mineures contrevenantes, c’est-à-dire d’évaluer les aspects subjectifs de leur dépression.
D. Méthodes d’analyse des données
En effet, hormis les données découlant des échelles d’évaluation, le contenu des verbatims des entrevues a fait l’objet d’une analyse qualitative. Aussi, l’approche phénoménologique a-t-elle été choisie pour mieux comprendre les expériences vécues par les enquêtées au sein des gangs des microbes. (N’Da, 2015).
II. Résultats
Les résultats s’articulent autour de trois principaux points : l’exposé des cas, le processus d’affiliation des enquêtées aux gangs des microbes et les victimisations de même que leur retentissement sur la santé mentale des jeunes filles.
A. Exposé des cas
Comme son nom l’indique, l’exposé des cas ne consistera qu’à présenter le parcours de chacune des participantes retenues dans cette étude sans faire d’analyse. C’est à la suite de cet exposé que la latitude nous sera donnée de faire des commentaires et une analyse.
1. Cas Soya (pseudonyme)
L’enquêtée Soya a 17 ans au moment de l’enquête1. Elle a un niveau troisième mais est sous ordonnance de garde provisoire (OGP) au Centre d’observation des mineurs (COM) d’Abidjan. Cette jeune fille avait l’âge de sept ans quand son père mourrait. Après le décès de ce dernier, la continuité de l’éducation de cette orpheline est assurée par le grand-père paternel qui la recueille chez lui. Soya a fréquenté un établissement catholique pour jeunes filles dans une banlieue d’Abidjan et a vécu dans l’internat dudit établissement. Elle dit avoir été exclue de ce pensionnat et de facto de l’établissement pour manquement grave au règlement intérieur. En effet, elle avoue avoir fait des tatouages sur ses cuisses, une pratique qui était formellement interdite par le règlement intérieur de cette institution. Cette adolescente reconnaît avoir appartenu à une bande de jeunes microbes avec qui elle a passé la majeure partie de ses journées. Elle a été interpellée par la police à l’issue d’un vol. De fait, des semaines après son exclusion du pensionnat de jeunes filles, Soya a pris l’initiative d’y retourner, un matin, en compagnie de certains amis. Cependant, elle a été la seule à escalader la clôture du pensionnat et les autres l’y attendaient dehors. Une fois sur les lieux, elle s’est introduite furtivement dans les bureaux et dortoirs et y a dérobé des objets et la somme de quatre cent mille francs CFA. Au moment de sa fuite, elle est aperçue et aussitôt rattrapée par les agents chargés de la sécurité des lieux. Ses autres complices prennent alors la fuite. Arrêtée, elle est mise à la disposition des autorités judiciaires. Au mois de novembre 2016, elle est admise au Centre d’observation des mineurs.
Son dossier individuel au COM mentionne qu’elle est une délinquante primaire. Cependant, au cours des entrevues réalisées, cette mineure a révélé qu’elle n’était pas à son premier acte délictuel. Elle avoue avoir été, à maintes reprises, l’auteur de plusieurs vols contre des membres de sa famille élargie comme en témoignent ses propos : « avant qu’on m’attrape et qu’on m’amène ici, je volais des parents, des tontons et des tanties chez qui je partais. Je volais et puis je fuyais. A cause de ça, ils ne veulent plus me voir chez eux ». Pour Soya, les objets ou sommes volés servaient à l’entretien de la bande à laquelle elle appartenait. Cette déclaration de l’enquêtée est évocatrice en la matière : « ce que je vole, j’envoie et on partage et on dépense ensemble. Quand eux, ils ont pour eux, ils me donnent aussi. Nous sommes des frères de sang2, c’est comme ça on fait… On marche ensemble, ça fait un peu longtemps… 8 mois ».
2. Cas Betty (pseudonyme)
En quatrième position dans une fratrie de six enfants, Betty est âgée de seize ans3 et est non scolarisée. Elle a été en mise sous garde en juin 2016 au Centre d’observation des mineurs de Yopougon.
Après le divorce des parents, cette adolescente vit avec sa mère dans un quartier précaire de la commune de Yopougon dénommé Mossikro. Son père, quant à lui, s’est remarié. Betty ainsi que trois autres de ses frères sont à la charge de sa mère qui a du mal à faire face, toute seule, aux nombreuses obligations liées à son nouveau statut de mère chef de famille. Sans emploi et sans occupation véritable, cette jeune fille passe la plupart de son temps donc en compagnie d’amis qu’elle a rencontrés durant ses fréquentes sorties tant diurnes que nocturnes. Betty dit appartenir à une bande mixte de jeunes microbes dans la commune de Yopougon : « j’ai des camarades, filles comme garçons, avec qui je me promène… Ça faisait deux mois qu’on sortait, on faisait tout ensemble ». C’est au cours de l’une de leurs sorties nocturnes que Betty et ses amis vont attaquer un hôtel de la commune. Cette opération, mal planifiée, tourne mal et la bande de jeunes, au nombre de six avec une parité de sexe, est arrêtée et conduite au commissariat de l’arrondissement. Cette adolescente dit avoir passé trois mois en compagnie des autres membres de la bande. Le chef d’accusation retenu contre elle et ses autres complices par la justice et pour lequel, elle est en observation au COM est l’association de malfaiteurs, vol de nuit en réunion avec violences n’ayant pas entraîné des blessures, portant sur des téléphones portables et des sommes d’argent.
3. Cas Maï (pseudonyme)
Agée de quatorze ans4, Maï est déscolarisée et a le niveau CM2. Elle est une mineure en conflit avec la loi. Délinquante primaire selon son dossier individuel, cette adolescente a été arrêtée pour vol en réunion portant sur cinq complets de pagne. Vivant dans une famille monoparentale, cette enquêtée a confié qu’elle a abandonné l’école à l’âge de treize ans pour des raisons économiques. Elle s’est orientée, par la suite, vers le commerce informel. C’est ainsi qu’elle est devenue une vendeuse ambulante. Dans cette activité, elle a fait la rencontre de jeunes filles qui exerçaient le même métier qu’elle. Cette rencontre avec ces jeunes filles qui appartenaient déjà à une bande de jeunes délinquants a été le point de départ d’une courte affiliation à cette bande. En effet, révèle Maï, « … les filles avec qui je vendais sur la route m’ont montré au chef du groupe. Le chef m’a dit de voler quelque chose pour leur envoyer. Après ils ont dit d’aller on va voler. C’est quand on est parti voler pagnes qu’on nous a attrapés ». Lui ayant demandé combien de temps après la première rencontre avec le chef de gang, il leur a été demandé d’aller voler ensemble, elle a répondu par ces mots : « ça faisait un mois comme ça. »
Après ce bref exposé des cas, nous aborderons dans la suite de nos propos le processus d’association des sujets aux gangs des « microbes » d’une part et les victimisations et la santé mentale de ces sujets d’autre part.
B. Affiliation des enquêtées aux gangs des microbes
L’affiliation des jeunes filles aux gangs des microbes a été analysée suivant deux axes : les facteurs d’association et le processus d’association.
1. Facteurs d’association des enquêtées aux gangs des microbes
A travers les récits des enquêtées, l’on s’aperçoit que l’engagement dans les gangs des « microbes » est un phénomène multifactoriel. En effet, les motivations qui ont conduit ces jeunes filles à s’associer à leurs différentes bandes sont diverses. Elles sont regroupées autour de deux grandes catégories de facteurs : les problématiques familiales et les caractéristiques personnelles.
Problématiques familiales
Institution de socialisation primaire, la famille n’est pas toujours arrivée à répondre aux attentes de certaines enquêtées et à satisfaire leurs besoins essentiels (encadrement, protection et sécurité). Ainsi, des difficultés vécues au sein des familles constituent un des motifs de l’association de jeunes filles aux gangs de « microbes ». C’est le cas de Betty chez qui le manque d’encadrement et de supervision parentale a été un facteur qui a facilité son intégration à la bande de jeunes délinquants. Par ailleurs, Maï, confrontée à l’indigence économique de sa famille, a été contrainte d’abandonner l’école pour le commerce de rue. C’est dans cet espace que cette enquêtée a fait la rencontre de pairs délinquants qui, par association et en lui faisant miroiter un « mieux-être », l’ont conduite à leur bande. Pour ce faire, il existerait une relation entre la pauvreté de la famille et l’adhésion de cette jeune fille à son gang de rue. Fort de ces différents vécus familiaux, il n’est pas infondé de considérer que l’adhésion à un gang est liée à une ‘’(més)adaptation’’ familiale des jeunes filles, en quête de reconnaissance et d’appartenance. Dès lors, les gangs sont devenus pour ces enquêtées une alternative à cette mauvaise adaptation à leurs familles d’origine. De ce point de vue, les membres des gangs ont remplacé les membres des familles, et l’expression « frères de sang » employée par l’enquêtée Soya traduit aisément sa représentation de ce que sont les membres de son gang d’appartenance.
Caractéristiques personnelles
Les caractéristiques personnelles que l’étude a pu mettre en évidence sont essentiellement les difficultés comportementales et les expériences de vie négatives. Les difficultés comportementales des enquêtées sont liées à des situations d’adversité comme le décès d’un parent (Soya), le divorce ou la séparation des géniteurs (Betty, Maï). Ces difficultés résultent donc d’une réaction à leur environnement immédiat, aux problématiques familiales. Ces difficultés montrent qu’un ou plusieurs de leurs besoins n’ont pas été comblés. Ce qui fait qu’elles ont présenté de réelles difficultés d’adaptation qui ont affecté simultanément plusieurs sphères de leur vie, notamment la sphère scolaire (échec scolaire), la sphère familiale (fugue) et la sphère sociale (délinquance). Et parce que leurs besoins sont restés sans réponse ou insatisfaits, ces jeunes filles intègrent et intériorisent à leur fonctionnement psychologique les répercussions de ces difficultés. Par la suite, elles extériorisent ces insatisfactions et ces frustrations par une prise de décision. En d’autres termes, nos entretiens ont montré que la volonté de ces jeunes filles d’intégrer ces bandes de jeunes délinquants dérivait surtout du désir de résoudre les difficultés auxquelles elles sont confrontées.
2. Processus d’association aux gangs
Le processus d’appartenance des enquêtées aux différents gangs obéit à une suite d’opérations successives : recrutement, initiation, acquisition du statut de membre.
Etape du recrutement
Le recrutement est l'ensemble des actions mises en œuvre pour chercher, sélectionner puis intégrer de nouveaux membres. Les données du terrain révèlent que cette étape obéit à une rationalité des jeunes filles, en raison de préférences, dénotant une recherche de profit. En effet, les trois mineures affirment toutes avoir rejoint leurs gangs respectifs par le biais d’amis ou de camarades qui en étaient eux-mêmes membres, affirmation confirmée par ces propos : « il y a un jeune du quartier qui m’a dit que mon comportement lui plaît et il veut que j’appartienne à son groupe et c’est comme ça que je l’ai suivi » (Soya) ; « c’est une amie qui m’a envoyée dedans » (Betty) ; « les filles avec qui je vendais sur la route m’ont montré au chef du groupe. C’est lui qui m’a dit de venir avec eux, et que si j’acceptais, j’allais avoir beaucoup de choses5 comme mes camarades avec qui je vends. C’est comme ça que je suis rentrée dans le groupe » (Maï).
Au regard de l’association différentielle de Sutherland, il faut nécessairement « une porte d’entrée », un point de contact entre un individu qui n’a pas encore intégré un groupe délinquant : un membre dudit groupe entretenant des relations sociales avec le « non membre ». Ainsi, dans les cas étudiés, nous remarquons cette donne (cf. « un jeune du quartier » (Soya) », « une amie » (Betty), « les filles avec qui je vendais » (Maï)). C’est donc par le biais de cette personne-ressource que le contact avec le gang est établi, pour déboucher in fine sur le recrutement.
Etapes d’initiation et d’acquisition du statut de membre
Après l’étape de recrutement, ces enquêtées semblent être toutes passées par une phase initiatique. C’est une forme de test au cours duquel le nouveau membre doit démontrer aux autres membres son aptitude à appartenir au gang en passant avec succès l’épreuve. Le rituel initiatique auquel ces jeunes filles ont été toutes soumises est le vol, c’est-à-dire qu’elle avait l’obligation de rapporter au sein du gang un objet ou de l’argent volé. C’est la satisfaction totale à cette obligation qui confère au nouveau membre le statut de membre du gang et permet de gagner la confiance du groupe.
En tant que membres du gang, ces mineures ont été appelées à jouer des rôles pour assurer la pérennité et la cohésion de la bande. L’une des enquêtées (Betty) dit avoir joué des rôles que nous désignons sous le vocable de « rôles subalternes ». Dans ces rôles, elle a été dans une position subordonnée, invisible ou alors reléguée à des tâches purement secondaires d'assistance aux garçons. C’est ce qu’elle explique dans cet extrait de son discours : « Moi et puis certaines filles, on reste dans le fumoir et quand les garçons viennent avec ce qu’ils prennent avec les gens, c’est nous qui gardons ça. Ou bien les chefs nous disent d’aller vendre aussi pour leur envoyer l’argent. »
En revanche, Soya, plus intégrée, a eu des rôles primaires. La jeune fille a été en première ligne jouant les premiers rôles, visible, pratiquant les activités illégales et violentes au même titre que les garçons : « Je vais aussi sur le terrain pour ratisser avec mes frères de sang… On s’appelle frères de sang parce qu’on partage tout, ensemble, on vit ensemble, on cause ensemble, on mange ensemble, on dort ensemble, on fait tout ensemble. Quand on va, chacun a son petit couteau sur lui. » Par ailleurs, elle ne nie pas avoir été souvent un objet sexuel pour certains membres du gang : « ils m’ont fait ça », a-t-elle ajouté.
Ces trois phases résument globalement les circonstances et les modes d’affiliation de ces mineurs aux bandes de rue et les différentes fonctions occupées6. Notons au regard des récits relatés par nos sujets, le rôle important du « tutorat » exercé par le ou les pair(s) délinquant(s) plus expérimentés dans le processus d’affiliation de la jeune fille au gang. C’est le tuteur qui favorise tant le recrutement et l’initiation que le statut de membre.
Par ailleurs, les raisons de l’affiliation varient d’une enquêtée à une autre. Si la quête de la reconnaissance et de la valorisation sociale justifierait l’affiliation de Soya à son gang, Betty et Maï auraient plutôt été motivées par des raisons de subsistance liées à la satisfaction de leurs besoins primaires.
Il est bon de souligner que, si l’affiliation de ces adolescentes aux gangs relève d’un choix individuel rationnel et volontaire, il en est autrement de leur « désaffiliation » qui, elle, est totalement involontaire dans la mesure où les liens avec les gangs ont été rompus à cause des différentes interpellations par la police. Ces données permettent de mettre en évidence le caractère rationnel et volontaire de l’intégration aux groupes de pairs délinquants par les jeunes en général et les jeunes filles en particulier, qui a pour point de départ un besoin éprouvé par le sujet (cf. « reconnaissance et valorisation sociale », « besoins primaires »). Cela, par l’entremise d’un tuteur, favorise son recrutement, son initiation et son acquisition du statut de membre. Par un processus de communication à l’intérieur du gang, la jeune fille va « apprendre » en menant des activités illégales (vols, agressions, recel, etc.) « se perfectionner ». Ce groupe, pour le regard extérieur7, est délinquant ; il évolue en dehors des valeurs et des normes. Toutefois, pour les membres des gangs, notamment les jeunes filles, ces groupes sont perçus comme sécurisants puisqu’il s’y déroule des relations sociales marquées par la solidarité (cf. ce qui a été indiqué plus haut : « on partage tout, ensemble, on vit ensemble, on cause ensemble, on mange ensemble, on dort ensemble, on fait tout ensemble ».), la fraternité (cf. « nous sommes frères de sang »). C’est donc cet environnement qui à la fois sécurise le sujet (la jeune fille) et l’endurcit dans son activité criminelle (membre du gang). Ainsi, pourrait être présentée la décision des jeunes filles de s’affilier à un groupe délinquant (le gang des microbes) à la lecture de notre perspective théorique : l’association différentielle.
Par ailleurs, il nous été donné de constater que les enquêtées ont rejoint les gangs de microbes parce qu’elles ont présenté plusieurs handicaps au niveau de la famille : famille désunie et faible surveillance maternelle qui se caractérise par le laxisme et l’absence de la mère. En somme, il y a une absence de supervision parentale8 (Betty), des relations très problématiques avec la famille9 et des pressions liées à l’indigence économique (Maï). Elles s’y sont senties abandonnées. Outre ces désavantages familiaux énumérés précédemment, la violence constitue un fait marquant de l’histoire de vie des enquêtées, en particulier Soya. En effet, sa fuite du domicile familial pour rejoindre le gang des microbes constituait une échappatoire à la violence physique et verbale qu’elle subissait au contact de ses parents. Dès lors, les différents gangs constituaient pour ces participantes des familles de substitution. On comprend mieux dès lors la raison pour laquelle elle pouvait tenir les propos suivants : « ce que je vole, j’envoie et on partage et on dépense ensemble. Quand eux, ils ont pour eux, ils me donnent aussi. Nous sommes des frères de sang, c’est comme ça on fait… On marche ensemble, ça fait un peu longtemps… 8 mois ».
Cette constatation montre bien l’intérêt de s’être intéressé aux trajectoires de vie des enquêtées afin de mieux comprendre leur implication dans les gangs des microbes et les comportements délinquants qu’elles y ont adoptés, en référence à la théorie féministe.
Après avoir abordé le processus d’affiliation des jeunes filles à ces gangs, voyons à présent les victimisations subies par les mineures en conflit avec la loi et l’impact sur leur santé mentale.
C. Victimisations et leur retentissement sur la santé mentale des mineures en conflit avec la loi
1. Victimisations subies
Pendant la durée de leur affiliation aux gangs de rue, ces mineures contrevenantes ont connu des fortunes diverses. Le tableau ci-après présente de façon synthétique les différentes victimisations qu’elles ont subies ainsi que les auteurs desdites victimisations.
Tableau 1 : Répartition des enquêtées en fonction de la durée d’affiliation et des victimisations subies
Source : notre enquête, 2016-2017
Les victimisations subies par ces adolescentes sont de plusieurs formes : physiques (coups et blessures), psychologiques (humiliations, dévalorisation et privations), verbales (injures dégradantes), sexuelles (attouchements sexuels et viols) et auto-victimisations (consommation de substances psychoactives). Soya, dont la durée d’association à son gang est de huit mois, cumule plusieurs formes de victimisation. Betty réunit trois formes de victimisation après avoir passé trois mois en compagnie de sa bande de rue. Maï présente, quant à elle, pour avoir participé pendant un mois aux activités du gang des microbes, deux formes de victimisation, notamment des coups reçus des populations lors de son arrestation et surtout les agressions sexuelles par les pairs. Les données du tableau 1 nous conduisent à faire quelques remarques. D’une part, quelle que soit la durée d’affiliation, on est toujours victimisé, particulièrement les abus physiques. D’autre part, le nombre de victimisations subies semble être lié à la durée d’affiliation. Autrement dit, les jeunes filles qui sont plus victimisées, le sont parce qu’elles ont passé plus de temps au sein des gangs. Aussi, ces victimisations ne sont pas uniquement le fait des pairs du gang, elles impliquent également les populations par leurs injures ainsi que leurs atteintes à l’intégrité physique des mineures contrevenantes et les adolescentes elles-mêmes par leur consommation des substances psychoactives. Il reste tout de même avéré que certaines de ces adolescentes ont été témoins et/ou auteurs d’actes de violence envers autrui. C’est le cas de la jeune Soya.
2. Retentissement des victimisations sur la santé mentale des mineures contrevenantes
Les mineures en conflit avec la loi que nous avons interrogées ont vécu une diversité d’événements traumatisants dont le retentissement dans leurs sphères émotionnelle, comportementale et sociale est significatif. Le tableau suivant présente les résultats des évaluations de la dépression subjective et du syndrome post-traumatique.
Tableau 2
Source : notre enquête, 2016-2017
Les informations contenues dans le tableau ci-dessus relèvent chez Soya et Maï un niveau de dépression et de trouble de stress post-traumatique plus élevé que chez Betty. Ces observations ne montrent aucun lien entre la durée d’affiliation et les problèmes de santé mentale. Autrement dit les symptômes présentés par les jeunes filles ne sont pas liés au temps passé au sein de la bande.
III. Discussion
L’étude visait deux objectifs. Le premier se proposait de comprendre le vécu de jeunes filles affiliées aux gangs des microbes. Le second aspirait à évaluer la nature des victimisations vécues par ces adolescentes et les troubles mentaux y afférents. Deux hypothèses ont été énoncées pour l’étude. La première repose sur l’idée que les jeunes filles prennent la décision de rejoindre les gangs des microbes parce qu’elles sont en relation sociale avec des membres desdits gangs. La seconde hypothèse postule que plus la durée d’affiliation aux gangs est longue, plus les jeunes filles sont victimisées et plus elles présentent des troubles de santé mentale.
L’étude a permis de faire trois constatations essentielles : l’affiliation, un choix sans contrainte, les violences et les agressions, une réalité prégnante du vécu de jeunes filles impliquées dans les gangs de rue et le lien entre troubles mentaux et la durée d’affiliation.
A. L’affiliation, un choix… sans contrainte
Les données du terrain montrent que les trois enquêtées se sont affiliées sans aucune contrainte aux différents gangs. En sus, leurs premiers contacts avec les bandes des microbes ont été facilités par des connaissances qui appartenaient déjà aux gangs. Une fois dans le groupe, elles ont posé des actes pour se faire accepter. Tous ces faits valident la théorie de l’association différentielle de Sutherland convoquée pour cette recherche. Pour cette théorie, le comportement délictueux est appris par association avec des pairs dans lequel on note transmission et imitation de techniques et attitudes délinquantes. Dans le cadre de notre étude, cette théorie nous a permis de mettre en évidence comment s’est faite l’affiliation des jeunes filles : certes une association à des référents délinquants mais également une décision personnelle de faire partie du groupe ainsi que des actes posés pour gagner la confiance du groupe et recevoir son acceptabilité.
B. Les violences et les agressions, une réalité prégnante du vécu de jeunes filles impliquées dans les gangs de rue
Les résultats présentent les violences et les agressions comme une réalité prégnante du vécu de jeunes filles impliquées dans des gangs de rue. De ce point de vue, les résultats rejoignent ceux de Fournier, Cousineau & Hamel (2004) et de Chesney-Lind (2015) qui soulignent que les victimisations constituent un aspect marquant de l’expérience de jeunes filles associées aux gangs. Par ailleurs, la présente étude postule que, dorénavant, la durée d’affiliation à la bande est une variable à prendre en compte dans l’expérience de victimisations, car la victimisation multiple et répétée serait liée à la durée d’affiliation à la bande.
Il convient de remarquer que les rôles joués par les jeunes filles au sein des différents gangs, les victimisations subies, les troubles présentés. En somme, le vécu de ces enquêtées conforte le choix et l’utilité de l’approche féministe pour cette étude.
C. Le lien entre troubles mentaux et la durée d’affiliation
Il ressort de l’étude qu’il n’existe aucun lien causal direct entre les troubles mentaux présentés par les sujets et la durée d’affiliation dans la mesure où Maï, après seulement un mois de fréquentation de son gang présente les mêmes symptômes que Soya qui a huit mois d’affiliation. Ce qui signifie que d’autres paramètres tels que la caractéristique de l’événement victimisant peuvent également déterminer le rapport de l’individu à l’événement ; l’association à un gang n’est donc pas sans conséquences (Laurier, 2012 ; Chesney-Lind, 2015).
Au regard de ce qui précède, on peut affirmer que la première hypothèse de l’étude est confirmée, alors que la seconde l’est partiellement. Qui plus est, cette recherche réaffirme que le phénomène des microbes à Abidjan n’est pas exclusivement masculin comme laisse croire une certaine opinion. Même si la littérature indique une pratique à dominante masculine, nos résultats renforcent l’apparence mixte du phénomène, c’est-à-dire qu’on y trouve aussi bien des garçons que des filles. Cette mixité du phénomène avait déjà été mise en évidence par Sadia (2014) qui avait présenté le « petit garçon », surnom donné à une mineure « microbe » de quinze ans séjournant au Centre d’observation des mineurs pour le délit d’association de malfaiteurs. Par ailleurs, les résultats mettent en évidence une forme de « fraternité criminelle » entre les membres des gangs des microbes, basés sur l’entraide et la solidarité. Les travaux réalisés précédemment en Côte d’Ivoire par Interpeace & Indigo (2017) et DIDR-OFPRA (2017) sur la problématique consolident cette observation. Aux Etats-Unis, Adler (1975) avait fait le même constat au sein des gangs féminins quand il a parlé de « sisters in crime ». Les résultats de l’étude ont des rapports de similitude avec les recherches menées au Canada (Lanctôt & LeBlanc, 1996) et aux Etats-Unis (Adler, 1975 ; Choo, 2007) qui évoquent la présence de filles dans certains gangs de rue.
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L’un des enseignements majeurs de cette étude est que les cas étudiés, c’est-à-dire les trois jeunes filles impliquées dans les gangs de rue à Abidjan souffrent de problèmes de santé mentale. Cette recherche a consisté à faire une étude de cas, ce qui pourrait laisser entrevoir des limites quant à la représentativité de l’échantillon en vue de la généralisation des résultats. En dépit de cet état de fait, ils nous permettent de mettre en évidence que les actes de violence qui caractérisent les membres de ces bandes cachent ces souffrances psychiques. Ce sont des sujets qui sont en difficulté et la violence dont ils font preuve devrait être perçue comme une forme d’appel à l’aide. Aide, parce que ce sont des personnes en détresse et les différents événements de vie vécus semblent avoir bouleversé le monde intérieur de ces jeunes. Les actes de violences perpétrés ne sont, en réalité, qu’une expression de cette souffrance, de cette blessure intérieure qui suppure. Leur action violente n’est que la face visible de l’iceberg. Toute la grande partie enfouie représente les troubles internalisés qui ont besoin d’être révélés par une évaluation systématique. Cela requiert, en conséquence, l’intervention auprès de cette clientèle sinistrée, d’un spécialiste de la santé mentale qui prendra en compte l’état de santé mentale du client. Ce sont donc des sujets à risque qui ne sont pas à l’abri de la récidive. Il y a lieu de mettre en place une véritable politique de prévention que nous appelons « prévention écosystémique » qui, en plus des jeunes, pourrait intégrer la famille, l’école et la communauté. Cette prévention écosystémique a la particularité d’ancrer les solutions dans le milieu des individus.
Bibliographie
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1 En 2017.
2 « Frères de sang » : nom qu’elle donne aux membres de son groupe
3 Au moment de l’étude.
4 Au moment de l’étude.
5 Fait référence aux biens matériels et financiers.
6 Les cas étudiés ont permis de mettre en évidence ces différentes fonctions : rôles primaires (en première ligne) et rôles secondaires (activités de recel, etc.).
7 Par extérieur, nous faisons allusion aux personnes non membres de ces groupes : autorités administratives, policiers, la population, etc.
8 La supervision parentale regroupe un ensemble de comportements qui permettent aux parents de bien connaître leur adolescent et l’environnement dans lequel il évolue
9 Les relations de Maï avec sa famille peuvent être qualifiées de problématiques eu égard au fait que cette dernière a évoqué des tensions régulières dans ses rapports avec sa mère pour diverses raisons (sorties multiples sans l’informer, découchage, etc.).